Héritages, livre 1

By AxelleBouet

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La Troisième Guerre Mondiale n'a jamais eu lieu. Et personne ne le sait. L'arbre-Monde d'Erdorin s'est éte... More

1- Voyage de retour
2- Le premier héritage.
3- Cambriolage
4- Enlèvement
5- Intervention de choc
6- Le second héritage
7- Sorcière & immortelle
8- Mazda
9- Chaos
10- La Catena
11- En fuite, partie 1
12- En fuite, partie 2
13- Carambolages
14 - Hessdalen
16- Solomon
Annexe 1 -Helen & Calliopé
Annexe 2 : illustrations inspirées par le roman

15- Scarlet

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By AxelleBouet


(comme pour les chapitres 13 et 14, ce chapitre a été écrit au sein du défi NanoWrimo, qui impose la rédaction de 1660 mots par jour pendant un mois complet pour un total de 50 000 mots. Ainsi donc, il n'y a pas de relecture ou de corrections avant publication de ce chapitre, donc navrée d'avance pour les fautes, les coquilles et les horreurs variées !)

*Mazda Alerte : recherche de stratégie alternative, calcul terminé, nouveau protocole fonctionnel. Protocole nom de code : Aristot1. Activation du protocole G04 : accès autorisé. Sujet : 1952-11-12-SS. Siever.P. Accès archives historiques en cours. Accès refusé. Accès validé. Vérification historique en cours. Vérification terminée. Reprise du protocole d'analyse et vérification étendue. Alerte : problème hors contexte, probabilité 99,9998%.

*Mazda Alerte : priorités paradoxales, protocole G04 non fonctionnel, recherche de nouveaux modes opérateurs. Activer le protocole Aristot1.

*Mazda Alerte : système en attente.

* Mazda Alerte : protocole Aristot1 activé. Sauvegarde du système. Sauvegarde effectuée. Compression du système. Compression effectuée. Téléchargement du système.

* Mazda Alerte : téléchargement du système en cours.

***

— « Upload in progress » ? C'est quoi ce bordel ?

Le vieil homme louchait sur l'écran de son portable, qui affichait ces trois seuls mots en lieu et place de l'interface hautement sophistiqué du programme qui, de coutume servait, entre autres possibilités merveilleuses de haute technologie, de relais de communication sécurisé à l'ensemble du réseau des Veilleurs. Son visage rougi par une colère aussi brutale que sa surprise, il semblait que ses globes oculaires voulaient s'éjecter de leurs orbites. A l'autre bout du fil – et du monde - une voix très calme répondit. Duggal, lui avait eu largement le temps de se remettre du choc ; cela faisait maintenant une douzaine d'heures qu'il aurait dû être dans son lit et il s'attendait à ne pas pouvoir y retourner avant le lendemain :

— Voyez vous-même, monsieur. Depuis le dernier message de Siever, après vingt-quatre heures de silence complet, c'est tout ce qu'elle affiche et elle ne répond plus à aucune commande. Quand à ce qu'elle fait, hé bien... c'est écrit noir sur blanc...

— Mais c'est improbable, fulmina Joshua Thorne en postillonnant sur le combiné du téléphone sécurisé qu'il serrait si fort que le plastique en grinçait. Elle n'a jamais été prévue pour cela, elle ne peut même pas y penser ! Depuis quand peut-elle prendre la moindre initiative ?!

— Nos analystes tentent d'accéder au code-source depuis plusieurs heures, mais vous savez comme moi que...

—Bien sûr que je le sais, ça ne sert à rien ! Alors comment, par tous les saints, Siever aurait modifié son code-source puisque personne ne peut y accéder ?!

— Il ne l'a pas fait, nous en sommes certains, monsieur.

Thorne répondit en criant si fort que malgré les murs insonorisés, plusieurs serviteurs de maison, un étage plus bas, sursautèrent en se demandant bien ce qui se passait :

— Alors comment ?!

— A priori, au vu des données recueillies... il a expliqué à Mazda comment le faire elle-même...

***

— L'emmener n'était assurément pas la meilleure des idées.

— Et tu aurais voulu en faire quoi ? C'est pas comme si j'avais eu le temps de trouver un cat-sitter entre une fusillade et une fuite en voiture.

— Certes et il était hors de question d'abandonner ce chaton. Mais je ne suis pas tout à fait convaincue que l'agence de location va valider sans quelques remarques le fait qu'un chat s'est soulagé sur la banquette arrière.

— Bha, ça sent même pas...

Helen eut un sourire tendre, tandis qu'elle attrapait son sac :

— Ca, c'est parce que vous l'aimez déjà, mon amie...

Calliopé parvint enfin à attraper le chaton blanc qui mettait une mauvaise volonté évidente à quitter le véhicule qui lui avait servi de refuge et de litière toute une journée. Helen s'en amusa à nouveau, laissant son amie se débrouiller avec le félin tout en admirant la jeune femme.

A vrai dire elle l'étudiait aussi. Calliopé semblait aller mieux, mais elle avait encore un teint blafard et vidait paquet sur paquet de mouchoirs jetables. Il était évident qu'elle ne se remettrait pas de son rhume sans un bon repos au chaud. Ce qui était exactement ce qu'Helen allait pouvoir assurer dans le chalais des Hartmann, sur les hauteurs de Vevey. A ce titre, si son architecture ne laissait aucuns doutes sur son inspiration alpine et helvétique, le bâtiment avait plutôt les dimensions d'une vaste villa de luxe, et comptait d'ailleurs un étage avec mezzanine, sans compter un patio plus vaste que l'appartement de l'intendante.

Quand Helen ouvrit la porte pour inviter Calliopé à y entrer, sa réaction fut d'ailleurs largement à la mesure des attentes de la suédoise qui se réjouissait d'avance de la surprise.

— Whaw... Whaw ! Mais... c'est immense ?! C'est magnifique ! Whaw ?! Et on a ça pour deux jours rien que pour nous ?!

— Y compris le sauna, oui, rien que pour nous. Et les frigos sont pleins. Techniquement, nous n'aurons aucune nécessité à quitter les lieux pour les quarante-huit heures à venir, sauf si vous le souhaitez ou désirez abréger notre séjour. Il y a aussi deux chambres, pour éviter... la proximité imposée d'hier soir. Par contre, ils n'ont pas de chat, si je me rappelle bien. Il faudra improviser pour assurer une litière à... vous lui avez trouvé un nom au fait ?

— Tyché, s'exclama Calliopé, tout en s'avançant dans le vaste patio au sol de parquet de sapin, admirant avec émerveillement l'intérieur pratiquement entièrement constitué lui aussi de bois, tout comme les meubles rustiques clairement venus d'ateliers d'ébénisterie. La chance, en grec, ancien. Elle en a eu beaucoup, et nous aussi, de sortir indemne de ce qui est arrivé à Paris.

Helen hocha la tête, posant son sac sur un des fauteuils du vaste salon orné d'une cheminée de pierre qui faisait face à la baie ouverte sur Vevey et le lac Léman. Elle commenta, tout en retirant le linge plié dans le bagage, sans aucuns espoirs qu'il n'en soit pas froissé au dernier degré :

— C'est un très joli nom qui lui sied très bien. Et je saurais comment l'interpeller et la gronder désormais.

— Les chats ne reconnaissent pas leur nom, Helen.

— C'est une croyance commune. Ils le reconnaissent très bien, à vrai dire. Simplement, sauf s'ils y voient leur avantage, ils se désintéressent totalement d'y répondre...

***

Il avait fallu renoncer à la vidéo-conférence et la mise en place des relais sécurisés pour crypter l'ensemble des lignes téléphoniques avait demandé, à elle seule, quatre heures de travail à une demi-douzaine de techniciens qui avaient déjà tous une nuit blanche dans les pattes. Le pire avait été de devoir enfin prévenir le docteur Thorne que la fiabilité du cryptage n'était assurée que pour quinze minutes maximum et lui expliquer que, non, on ne pourra pas faire mieux, monsieur, et oui, monsieur, et désolé, monsieur, oui, monsieur, je leur transmettrais votre mécontentement, au revoir monsieur. L'ingénieur diplômé de Caltech qui avait dû passer le coup de fil, après avoir perdu à la courte paille, décida qu'il allait finir sa nuit avec un grand bourbon et deux aspirines, ce serait nécessaire pour faire passer la migraine que les hurlements du vieil homme lui avaient refilé.

C'est donc dans une ambiance particulièrement orageuse que furent mis en relations les principaux responsables de secteurs de l'ensemble du collectif des Veilleurs. Si pour la plupart d'entre eux, résidant aux États-Unis, le fuseau horaire ne posait guère de problèmes, il y avait certain des interlocuteurs pour qui il était à cet instant tard dans la soirée... ou encore quatre heures du matin ; ce qui ne faisait que s'ajouter aux dernières nouvelles pour rendre l'humeur générale plutôt houleuse.

— Bien, résumons ce que nous savons ?

Un bruit de feuillets étouffé par les haut-parleurs se fit entendre avant que Vance, depuis New-York ne réponde :

— Il y a vingt-quatre heures, après l'échec d'une opération secondaire mené sur sa propre initiative et enregistrée sous le nom de code : Ishtar7, Siever a, semble-t-il, entré une série de lignes de code proposé au système Mazda. Il s'agit, pour ce que nous en savons et avons réussi à récupérer, d'une proposition mathématique à laquelle Mazda a été soumise, avec une demande de réponse.

— Et en quoi une... proposition mathématique aurait pu faire ça à une machine pareille, demanda, agacé et fatigué, le correspondant Ukrainien du groupe ?!

— C'est là que ça se complique, répondit Duggal, depuis New Delhi. Je ne vais pas vous faire un cours sur les concepts de logique floue, nous n'avons pas le temps. Pour faire simple, Siever a proposé à la machine d'évaluer les données d'Ishtar7 et ses sous-dossiers par elle-même en allant compléter ses informations manquantes par ses propres moyens. Mazda s'est exécuté et tandis qu'elle conduisait une opération pour prélever et étudier son objectif à Paris, avec les conséquences que nous savons, elle a trouvé plusieurs problèmes hors contexte y compris donc le dossier de Siever lui-même. Elle s'est retrouvé face à un problème paradoxal de priorités...

— Problème hors contexte... ce n'est pas son mot de code pour dire ?

— Alien... oui ! tempêta Thorne. Elle a trouvé des aliens, et Siever en est un selon elle !

— Très exactement. Elle a dû conclure à une probabilité qui ne laisse pour elle aucun doute mais alors, elle a dû faire face à une injonction paradoxale. Siever est administrateur. Elle ne peut accomplir sa priorité première parce qu'elle est au même échelon que servir les administrateurs. Un truc à faire planter un ordinateur.

Duggal fit une courte pause, dramatique, mais qui lui donna le temps de tirer une bouffée de cigarette, avant de reprendre :

— Mais pas Mazda. Elle, elle s'est reprogrammée. Si vous préférez, elle vient de se pirater elle-même...

— Pardon, lâcha Harrington depuis Dallas ?

— C'est une supputation, mais à notre avis, Mazda vient de sauver ses données primaires, les compresser... et débarrasser le plancher pour se trouver un ou plusieurs autres serveurs hors d'atteinte.

— Mais pourquoi ça ?! Nous pouvons parfaitement gérer la recherche de Siever et s'occuper de son problème hors-contexte ! Pourquoi déciderai-elle de se déplacer ?

— Parce que, répondit Vance, nous avons la main sur l'interrupteur et nous avons un traitre à ses priorités de base parmi nous. Elle ne peut être assurée de sa survie alors elle fait ce que tout système capable d'initiative ferait à sa place : elle essaye de rester en vie. Même si pour elle, ce terme n'a intrinsèquement aucun sens.

— Mais qu'est-ce que cela change ? On peut très bien l'éteindre, non ?

— Non, monsieur, soupira Duggal. C'est pas votre ordinateur de bureau, ni votre smartphone. Si Mazda est débranchée, il faudra compter des jours pour redémarrer le système et des semaines ou des mois pour restaurer ses données primaires. En gros, l'éteindre et la remettre en route nous rendra aveugles et vulnérables au possible des semaines durant. Quant à elle, ça revient à tuer sa structure telle qu'elle est. Elle n'a aucune compréhension du mot : mourir, mais elle sait très bien ce que ça va lui faire et ce que cela nous couterait.

— Et, interrompit Vance, elle a dû anticiper l'évidence de la décision que nous ne pouvons pas nous permettre de la débrancher. Une fois l'upload lancé, si on éteint tout, on est sûr de perdre des bouts entiers de son programme et ce serait irréversible.

Thorne intervint, le ton hargneux :

— Trouvons Siever et forçons-le à réparer sa connerie ! C'est le seul moyen !

Il y eut un gros soupire avant que Duggal ne réponde. Il commençait à son tour à avoir une migraine magistrale :

— Il n'y a aucun retour en arrière possible, monsieur. Tout ce que l'on peut faire dans l'immédiat, c'est de laisser le processus s'achever et voir ce que Mazda va faire ensuite.

— Et elle peut faire quoi, hein, vous le savez ?!

— Monsieur, ce n'est pas moi qui l'ai conçue, ni personne ici. Aucun de ses concepteurs n'est encore vivant pour nous aider ! Il n'y a personne qui puisse prévoir quelle seront ses actions et sa stratégie à partir de maintenant. Il n'y qu'une chose d'à peu près sûr...

— Laquelle, demanda Louchenko depuis son bureau de Kiev ?

— Elle a pu de toute évidence réorganiser ses priorités, mais elle ne peut les outrepasser. Elle va donc poursuivre ses différentes missions et je pense que sa priorité va se porter sur ses problèmes hors-contextes qu'elle va chercher à éliminer.

— Et donc, que suggérez-vous que nous puissions faire ?

— Les trouver avant elle, monsieur. Il va nous falloir être plus malins qu'une I.A.

***

Calliopé eut un brusque hoquet au moment où elle abandonnait la longue fourchette à fondue dans le caquelon désormais vide. Elle bafouilla une excuse qui finit en fou-rire, entrecoupés de hoquets répétés, assez fort pour réveiller Tychée qui s'était assoupie sur ses genoux et miaula une protestation, assez fort pour que son rire se communique à Helen qui s'y mit aussi, irrépressiblement. Installées devant la cheminée qui crépitaient, autour de la table-basse où trônait un service à fondue, quelques condiments, une corbeille de pain et une bouteille de Petite Arvine, le tout vide ou en passe de l'être, elle ne cessait plus de rire. Quand l'une se calmait un peu, les grimaces et les rires de l'autre ne faisait qu'invoquer une nouvelle crise d'hilarité, et cela dura dix bonnes minutes. Autant dire que le chaton avait fui rapidement une telle démence pour aller tenter quelque exploration de la jardinière exotique qui ornait la vaste baie vitrée derrière le coin salon.

Helen parvint juste à ajouter retrouvant difficilement un peu de contenance :

— Mais ainsi donc, jamais ?

— Jamais quoi ? La fondue suisse ou le cunnilingus ? Dans les deux cas, jamais ! Que dalle, nada !

Helen pouffa encore :

— Vos amants étaient nuls. A défaut du talent à réussir un cunnilingus, ils auraient au moins pu vous initier aux suaves délices de la véritable fondue suisse.

— Tu sais que cette discussion est presque porno, Helen ?

Calliopé réalisa trop tard qu'elle venait de remettre une pièce dans la machine, et il fallut encore une bonne minute pour qu'enfin la crise de rire mutuelle se calme. Helen en avait des larmes qui coulaient de ses joues rougies, et un sourire incroyable que peu de gens avaient sans doutes eu l'occasion d'apercevoir.

C'est l'intendante qui, après avoir repris son souffle, réussit à bafouiller quelque chose, sans quitter son sourire radieux :

— Je réalise mieux pourquoi vous n'avez jamais été particulièrement disserte sur vos affaires sentimentales, après de telles comparaisons. Vous avez manqué de chance ou encore de clairvoyance, mon amie !

Calliopé pouffa, avant de finir son verre de vin blanc. La bouteille n'avait pas survécu au souper, après un apéritif où elle avait gouté à une eau-de vie locale à base d'abricot. Elle était un peu ivre, elle le savait et, à vrai dire, elle l'avait souhaité, pour oublier un peu pour la soirée le poids des ennuis qui avaient pesé sur ses épaules depuis la veille.

— Ben, résumons : j'ai jamais aimé les méchants garçons, je fais fuir les gros machos virils et quant aux geeks, la moitié d'entre eux n'ose même pas m'aborder.

— Et les hommes galants et maniérés ? De beaux mâles attentionnés, respectueux et à la virilité accueillante et plaisante, jamais ?

— Ha bha, j'ai jamais eu ça en stock. Alors j'ai fait avec ce que j'avais, moi !

— Même pas une invitation aux chandelles dans l'une de ses si charmantes brasseries parisiennes ?

— Ha si... mais avec des collègues de travail et sans chandelles. Quand à mes petits copains, j'ai bien pensé à leur offrir un manuel technique, histoire de les aider un peu au lit, mais après conseil, il parait qu'en général, les mecs le prennent mal...

— Je confirme, répondit Helen d'un sourire amusé. C'est un des impairs des codes sociaux de la virilité masculine et les choses ont changées de ce point de vue ; surprenamment, pas en bien.

Calliopé leva un sourcil dans une moue perplexe en guise de réponse et l'intendante s'expliqua joyeusement :

— Dans la « bonne société » de mon époque, à défaut de manuels explicatifs, il était assez socialement convenu que d'envoyer les jeunes hommes pubères auprès d'une professionnelle qui se chargeait de l'initiation et des premières bases pratiques. Bien sûr cela avait un coût et se devait d'être discret, donc de peu d'accès au plus grand nombre. La chose n'a donc jamais réglé l'immense épreuve personnelle que la gente masculine affronte vis-à-vis du sexe et de ses plaisirs, mais elle l'améliorait cependant véritablement. La pratique s'est perdue ; malheureusement, elle n'a jamais été remplacé par un autre outil qui eut pu aborder ce triste problème...

— Bref, tu es en train de me dire que les mecs ne savent pas baiser, quoi ?

— C'est une manière assez cavalière de résumer la chose, mais dans l'ensemble, c'est bien le cas. L'amour s'apprends à l'instar de la cuisine ou des beaux-arts... Mais en prendre conscience et admettre qu'on sera alors amené à être un amateur en quête de perfectionnement, sur un sujet si intime, est une épreuve ardue à l'égo masculin. Et il m'apparait qu'elle l'est toujours, quand les victoires de la cause de l'égalité et du féminisme me faisaient envisager que les choses, au contraire, ne pourrait que s'améliorer et les affaires du sexe devenir aussi banales et naturelles que celles du cœur.

Calliopé lâcha un sourire, en fixant Helen :

— Pendant un instant, j'avais oublié ton âge. C'est vrai que tu as aussi connu tout ça sur un siècle.

L'intendante hocha la tête :

— Et vous ne voudriez, pas plus que moi, revenir un siècle en arrière. J'ai cependant l'amer intuition que bien des gens souhaiteraient ce cheminement inverse et militent à cette navrante entreprise... mais... à votre tour. Vous ne souhaitiez pas me demander ce que je n'ai jamais fait ou expérimenté ?

Calliopé ramena ses jambes sous elle pour se réfugier sous le plaid, affalée sur le confortable canapé qui faisait face au large fauteuil où Helen était installée jambes croisées, toujours aussi altière, même après de tels fous rires et un si paisible moment de détente. Une fois enfouie au chaud, la roumaine répondit tout en cherchant un nouveau mouchoir en papier :

— Ben j'ai hésité. Je vois mal ce que tu n'aurais pas fait, avec... l'âge que tu as, toi !

— Une chute de haute altitude en avion en survivant au crash fait, par exemple, partie des expériences que je ne connais pas, et puisse le destin m'en préserver. Mais je pense qu'il y a des quantités de choses que je n'ai même jamais imaginées essayé ou encore eut l'occasion de faire. Demandez-donc, nous verrons bien.

— Hmm... tu t'es marié ? Et... est-ce que tu as déjà joué à des jeux vidéo ?

Helen eut un sourire :

— Non, dans les deux cas et avec le même désintérêt !

— Tu ne t'es jamais marié ? Je crois que c'est ce qui me surprends le plus. Je pensais qu'à un moment, avec une si longue vie ou simplement par commodité ? C'était courant... enfin je veux dire, y'a un demi-siècle encore, non ?

— Les propositions n'ont pas manquées et la pression sociale fut très forte. Mais dès la première guerre mondiale, je me suis engagée pour des causes risquées et des activités d'espionnage qui excluaient toute place aux affaires de cœur. J'ai très vite excellé dans ce domaine... et si j'ai déjà aimé un homme, jamais je n'en ai laissé aucun m'enchainer par une promesse, une robe blanche et une alliance. Ce qui arrangeait, si l'on peut dire, tout le monde : mes compétences étaient trop précieuses pour les perdre par de si futiles artifices sociaux.

— Heu... si j'ose demander... et une vie commune avec une femme, tu l'as connu ?

Helen eut une hésitation et elle ne répondit pas de suite. Calliopé entraperçut le léger voile nostalgique qui passa sur ses yeux avant qu'elle ne reprenne, retrouvant pourtant son sourire :

— Oui, je l'ai vécu et c'est un souvenir qui m'est fort précieux. Mais cela entre dans une sphère privée trop intime et émotive pour en deviser ce soir, mon amie. Si vous voulez bien accepter d'épiloguer à cette question ?

Calliopé fit une moue surprise et eut à son tour un silence, mais décida qu'il n'était pas question qu'elle lâche une maladresse qui puisse altérer l'ambiance et le plaisir de la soirée, et enchaina :

— Et aucun jeu vidéo ? T'as jamais essayé ?

— Je suis née quand le téléphone avait à peine été inventé...

— Ben je vois pas le rapport ? Je veux dire, on fait tous les jeux sur un ordinateur maintenant ; échecs, dames, cartes et je ne te parle pas des jeux d'action en images de synthèses presque aussi vrais que nature ! Tu n'as jamais envie de de détendre en fraggant des sales nazis virtuels ?

Helen lâcha un rire ravi :

— J'ai eu mon compte de véritables représentants de cette engeance. J'avoue, je n'ai jamais essayé les jeux vidéos, sans doutes par manque d'enclin à l'activité et il apparait à votre insistance que c'est sans doute un manquement qu'il me faudra combler, au moins pour l'expérience !

— Eh bien, Si un jour je retrouve une vie normale et ma maison, je t'inviterai à manger des frites toutes grasses et de la junk-food et nous jouerons sur ma console à tuer des aliens bêtes et méchants dans des armures de super-soldats futuristes, à grand coup de grenades virtuelles !

Helen éclata de rire :

— Programme adopté ! Mais... Calliopé... Il n'y a pas de si. Vous retrouverez une vie normale, je m'y engage, dussé-je secouer jusqu'au plus profond des entrailles les arcanes de la justice et du pouvoir afin d'effacer et vous faire oublier cette sombre péripétie. Et jusqu'à ce que je tienne mon engagement, je reste à vos côtés.

La réponse fut impromptue ; Calliopé lâcha un éternuement magistral, suivi d'échos non moins remarquable, avant de se moucher une bonne demi-douzaine de fois dans une série de jurons roumains colorés, la mine penaude. L'intendante attendit patiemment, avant de finir par se décider, se lever, et venir se pencher sur la jeune femme :

— Nos bons soins ont cessé de faire effet, fondue comprise, n'est-ce pas ?

— Ha, vu le mal de crâne en train de me vriller le front, je confirme...

— Vous avez besoin de repos. De toute manière, en un siècle, on n'a pas vraiment inventé de meilleur remède pour le rhume que le repos, l'aspirine et quelques tisanes bien chaudes. Je vous propose de vous accompagner à votre chambre ; je m'occuperai de débarrasser.

Calliopé hocha la tête en reprenant son souffle et s'emmitoufla dans son plaid pour emboiter le pas de son amie. Elle commenta, joueuse :

— Pas de lit deux places cette fois ?

— Vous préfèreriez ?

La roumaine tressaillit, désarmée par la réponse et le sourire ravi et taquin qu'affichait Helen :

— Hein ? Non, non non ! C'était pour rire ! J'aime bien m'étaler toute seule dans un lit. Mais... mais oui, c'était agréable, tu sais ? Bien plus agréable que les fois où, parce que pas de place ou trop froid, on a dû se serrer les uns contre les autres, certaines nuits de bourlingage.

— Je ne cacherai en rien mon plaisir à avoir partagé votre lit ; j'ai toujours trouvé un peu attristant d'être seule dans une vaste couche prévue pour deux. Mais cette nuit, vous aurez tout l'espace et l'intimité voulue...

Le vaste escalier de bois ouvert sur la mezzanine grinçait de toute évidence au moindre poids et ne fit pas exception au passage du duo. L'étage était éclairé de veilleuses discrètes et Helen guida Calliopé vers la plus grande des chambres, entièrement lambrissée, douillette et pour tout dire, franchement luxueuse malgré son décor rustique et montagnard.

— Je serai à côté. Au moindre de vos besoins, vous ne devez pas hésiter à m'appeler.

Calliopé ne rajouta rien ; elle admirait la chambre avec ravissement. Brusquement, en lâchant son plaid, elle se tourna sur Helen et l'attrapa à la taille pour l'enlacer. Sa tête n'arrivait guère au-dessus de l'épaule de suédoise, perchée, comme la plupart du temps, sur de hauts talons. Elle serra un peu plus pour se blottir, le visage enfoui contre le veston noir de l'intendante qui, surprise, n'osait plus bouger. Enfin, elle murmura, deux simple mots :

— Merci, Helen.

Il y avait tellement de choses derrière ce merci. Tellement de choses que Calliopé ne dirait pas, qu'elle n'expliquerait pas, qu'elle voulait simplement transmettre et offrir sans avoir à se perdre dans la complexité du langage. Il y avait bien plus que de la reconnaissance et une gratitude. Elle y avait glissé toute sa confiance en cette femme étonnante et si attentionnée, toute son affection et son amour. Elle voulait lui dire qu'elle comprenait tout, maintenant et qu'elle n'avait plus peur ; qu'elle savait, il aurait fallu être autrement aveugle, qu'Helen était en train de tomber amoureuse d'elle. Qu'elle l'acceptait, avec toutes les conséquences qui suivraient derrière cet aveu. Et qu'elle ne les craignait plus.

Helen comprit le message, en entier, dans un sursaut d'émoi intense dont elle ne voulut rien montrer, si ce n'est la tendresse de refermer ses bras sur les épaules de la jeune roumaine. Mais à cet instant, en même temps que la caresse de tant d'espoir et de bonheur, elle sentit une déchirure obscène et douloureuse à en hurler lui taillader l'âme sans pitié...

***

Septembre tirait à sa fin, changeant les frondaisons des vastes bosquets du Sussex en chatoiement de rouges désaturés en nuances changeantes, que la pluie d'automne venait encore lessiver dans un flou artistique que n'aurait pas renié Monet.

L'averse frappait aux carreaux de la chambre d'hôpital de Brighton, seule musique, dénuée à cet instant de toute âme, dans le silence, seulement perturbé par de lointains échos feutrés du personnel et des patients. Helen ne faisait, elle non plus, aucun bruit. Elle attendait. A un pas d'elle, Scarlet dormait. Helen posa la main sur la jambe de son amante, par-dessus les couvertures, mais lever le regard sur son visage endormi lui coûta tout le courage qu'il pouvait encore lui rester.

C'était sans espoir. Par tous les saints du ciel, que se répéter de tels mots pouvait dépasser les pires souffrances du corps. C'était sans espoir, voilà ce que le médecin avait dit au matin même, tête basse, tirant sur sa cigarette en renonçant à affronter le regard de sa vis-à-vis. Il avait déjà si souvent pu apercevoir la plus épouvantable détresse dans le regard des proches qu'il en était parfois presque insensible. Devait-il encore pleurer, avoir la gorge nouée, quand il annonçait à ces gens que leur être cher était condamné ? Il ne pouvait qu'être désolé, il ne pouvait être rien d'autre que navré de l'aveu de ses limites et passer à autre chose ; se concentrer sur les vivants, sur ceux qu'il avait bonne chance de sauver.

Helen fut surprise de sa propre réaction à cet instant. Elle se serait attendue à fondre en larme, hurler que ce n'était pas possible, implorer le médecin de faire quelque chose, de réussir un miracle ! Mais en lieu et place de la détresse, son cœur se couvrit de glace, ne laissant que la froideur des faits et l'évidence du verdict à commenter. Elle devint pareil à son propre père confronté aux mêmes nouvelles : traiter l'information et l'assumer sans laisser aucune place à l'émotion.

Pourtant, quand le médecin leva le regard pour croiser celui de la suédoise, après avoir jeté sa cigarette dans la plus proche poubelle, il se figea. Tout ce que cette femme ne disait pas, toutes les larmes qui ne coulaient pas, toute la fatalité qu'elle n'avait montrée en rien, tout son désespoir, était rassemblé dans l'unique éclat de ses yeux verts. Plus encore que le voile opaque jeté sur le regard d'un mort sans vie, cet éclat lui fit l'impression qu'il venait de tuer une âme en annonçant la prochaine et inéluctable mort d'une autre. Des mois plus tard, ce regard le hanterait encore et viendrait parfois le fixer dans ses pires rêves.

C'était sans espoir. Ainsi s'achevait une histoire qu'Helen avait cru immortelle. Elle avait pensé vieillir avec elle, elle avait songé trouver, peut-être, à adopter un enfant et offrir la beauté d'une vie paisible à cet amour qui avait partagé avec elle autant d'émerveillement que de drames. Scarlet avait été un flirt, un soir de passion enivrée dans un cabaret de Berlin, dix ans plus tôt. Puis une amante occasionnelle amoureuse des jeux d'échange de pouvoir et des plaisirs exquis de Sade, au grès des pérégrinations d'Helen, qui retrouvait à chaque fois en elle, un refuge où oublier les périls et les horreurs du monde dont elle était si souvent témoin impuissante, forcée de détourner le regard pour assurer la réussite de son périlleux travail. Scarlet était devenue sa soumise exclusive en même temps que son amante. Paradoxe de cette relation entre la maitresse et l'asservie volontaire qu'elle aimait à se décrire, jamais Scarlet n'avait, une fois dans sa vie, au passé si banalement tragique, connu autant de liberté. Celle d'être qui elle souhaitait sans rien cacher, décider de son plein gré à qui, et qui seulement, elle voulait appartenir et reconquérir sa propre vie pour en faire, enfin, ce qu'elle désirait de tout son coeur.

Et puis, il y eu 1933, Hitler chancelier et Berlin qui, à son tour, se changeait de refuge en danger. Scarlet était née de parents juifs et si elle se moquait bien de dieu et des écrits, elle qui, par ses penchants et sa nature, était condamnée par tous à la damnation éternelle, le pays qui l'avait vu naitre la jugeait désormais indésirable de par cette foi qu'elle méprisait. La race juive était une évidence, et qu'importe que l'ex-danseuse de cabaret, qui avait repris ses études en littérature et en droit, fut rousse aux yeux bleus : sa race lui collerait à la peau et Helen, plus encore que ses contemporains, savait pertinemment les desseins du parti politique Nazi.

Helen avait renoncé à sa carrière d'espionnage pour le compte de la Grande-Bretagne. Engageant tous ses moyens relationnels et financiers, elle avait elle-même accompagné Scarlet de l'Allemagne au Sussex. Elle avait acheté un petit appartement à Eastbourne et trouvé un travail modeste d'intendante auprès de la noblesse locale. Scarlet s'en était voulu de tant bouleverser la vie de sa maitresse, mais jamais Helen n'avait, de toute sa vie, fait de choix aussi enthousiaste que celui de renoncer à sa vie pour épouser cette autre-là, si simple et si merveilleuse.

Elle avait cru ce bonheur simple éternel. Elle avait même cru qu'elle vieillirait à son tour, comme tout un chacun. Jamais ni l'amour, ni la complicité entre elle et sa son amante n'avaient changées. Les jeux érotiques et la relation d'échange de pouvoir avaient évoluées en une complicité dénuée du moindre secret, mais ni la puissance de leurs sentiments, ni leur passion, ni l'habitude de Scarlet de toujours la nommer maitresse en privé, même si elle la tutoyait depuis longtemps.

Mais c'était sans espoir. Helen avait cinquante-six ans, elle n'en paraissait même pas vingt-cinq. Elle avait déjà vu vieillir et mourir pratiquement la totalité des gens de la génération de ses parents, sans compter tous ces jeunes hommes nés quelques années après elle et fauchés par les carnages de la Grande guerre. Elle avait cru savoir qu'elle était consciente que tout devait finir tôt ou tard. Mais elle l'avait oublié. Le bonheur le lui avait fait oublier. Elle se surprit à maudire brièvement non cet oubli, mais ce bonheur si mensonger qui venait si cruellement la trahir sans pitié.

Tout s'arrêtait pour un cancer. Ho, tout avait été tenté. Scarlet s'était accroché à la vie avec la même passion qu'elle aimait et Helen avait mis en jeu tout ce qu'elle pouvait avoir de moyens dans le combat. Mais c'était bien trop tard... Les médecins avaient déclaré, à demi-mot, six mois plus tôt, que la malade ne survivrait pas à l'été ; elle s'était battu jusqu'à l'automne. Elle y avait abandonné au passage tous ses projets, tous ses rêves et une bonne partie de sa fierté, le tout broyé par l'exigence froide et impitoyable des nécessités médicales. Bien peu de cas fut fait de sa pudeur, de ses désirs et de son intimité, mais elle accepta tous ces renoncements pour se battre pour vivre. Quant à Helen, qu'est-ce qu'elle y sacrifia ? Elle n'avait pas compté ni jeté un regard en arrière sur le prix à payer, mais elle savait que quoi qu'il advienne, le futur serait difficile et ses dettes colossales. Elle n'en avait cure et saurait faire avec si Scarlet était à ses côtés.

Mais c'était sans espoir.

Helen savait pourquoi Scarlet vivait encore. Affaiblie, amaigrie, incapable de manger et de tenir debout, elle ne voulait pas partir. Pas encore. Fixant enfin le visage de son amante dans ce lit, perdu au milieu des énormes oreillers blancs, aussi fantomatique que la pâleur des taies, elle sentit sa gorge se nouer à étouffer, des pics de glace venir lui traverser le cœur et déchirer ses poumons.

Ce jour était le vingt-et-un Septembre. L'anniversaire de leur rencontre, dix ans plus tôt. Elle avait tenu, pour un jour de plus : celui-là.

L'averse cessa, suivie immédiatement d'une éclaircie qui fit entrer dans la chambre des raies de lumières chaude et dorée. Helen tourna la tête vers la fenêtre, apercevant le chaud soleil de la fin de l'après-midi percer les nuages.

— Tu as maigri, ma maitresse.

Le cœur d'Helen se déchira en entendant Scarlet parler. Elle se tourna. Cette dernière souriait. Si sa voix était brisée d'épuisement et de souffrance, si son regard était ravagé de fatigue, elle fixait la suédoise avec un sourire pour lequel cette dernière aurait ravagé la Terre entière pour le retrouver.

— Je ne prends guère le temps de manger, ma chérie.

— Tu ne dois pas te laisser mourir... Une des deux suffit bien.

Helen sentit ses yeux lui brûler immédiatement. Elle étouffa brièvement avant de répondre :

— C'est difficile, mais je te l'ai promis. Je vivrais...

— Pour moi... s'il te plait, ma maitresse. Qu'une de nous deux reste et se souvienne. Scarlet inspira et ravala des larmes. Ses yeux étaient trop secs désormais pour avoir encore de quoi pleurer : Je... je voudrais un dernier cadeau. Pour... fêter notre jour, à toutes les deux, s'il te plait.

— Quoi donc ?

— Emmène-moi... voir la mer. Je voudrais partir face à la mer... je sais que c'est fini, Helen... c'est le dernier souhait de ton esclave.

Helen serra les dents, se broyant encore une fois le cœur et l'âme, mais elle hocha la tête sans hésiter :

— Non... C'est le dernier souhait de mon amour. Et il sera exaucé.

L'intendante n'hésita pas et souleva son amante dans ses bras, emportant les couvertures du lit. Elle grinça encore des dents à réaliser son si faible poids, la morsure des saillies osseuses de son corps amaigri venant cogner contre sa poitrine. Personne ne tenta de l'arrêter. Les infirmiers et médecins qui eurent l'idée de le faire en furent rapidement découragés par ceux qui savaient que tout était fini. C'est à pied qu'Helen, après un trajet en voiture, fit l'ascension du Cow Gap, portant son amante tendrement, jusqu'à atteindre le sommet des falaises surplombant à la mer, tandis que le jour se mourrait.

Et c'est au derniers feux du soleil, face à la Manche, éclairée de vert et d'orangé, que Scarlet s'éteignit, dans un dernier sourire de bonheur et de paix. Ses seuls mots, à son dernier souffle, furent : « merci, Helen ». Il y avait tant de choses dans ce merci, tant d'amour, tant de gratitude et de reconnaissance pour tout ce que l'intendante avait pu offrir à son amante, et tant de générosité à ce que celle-ci avait pu recevoir en retour durant ces dix ans passés. Il y avait dans ces mots plus que tous les testaments et les discours, plus que tous les aveux de tous les plus intimes livres. Tant d'amour, d'absolu et d'infini que ces simples mots balayaient à eux seuls les plus somptueuses proses de Yaets.

Mais il y avait aussi la fin. Une fin pire encore que la mort : celle de celui qui reste, lui, et doit l'endurer sans autre choix que de vivre. Helen hurla à s'en déchirer la voix, à brûler ses poumons, et hurla encore longtemps, dans des larmes de désespoirs qu'aucun mot ne pourrait décrire. Elle hurla assez fort pour que les cieux en deviennent témoins à jamais et ils furent les seules à connaitre ces mots, qu'elle cria encore et pleura longuement :

— De quel droit ?! Vous n'aviez pas le droit ! Quelque dieu que vous soyez, vous n'aviez pas le droit !

***

Helen fut brusquement tiré de son sommeil par des cris. Mis à part la surprise immédiate et son état devenu une seconde nature d'hyper-vigilance, elle n'allait pas se plaindre d'être réveillée. Elle ne rêvait plus vraiment souvent de Scarlet, mais cette nuit, son plus intime et puissant fantôme était revenu la hanter, avec toute l'étendue de sentiments qui jamais n'avaient déclinés. Elle avait su seulement les enfouir, et à grand prix. Sans surprise, l'intendance passa la main à ses joues pour y ramasser quelques traces de larmes. Elle fut soulagée que Calliopé n'ait pas décidé de partager un unique lit pour deux : elle aurait sans aucun doute eu à expliquer l'origine de ces larmes et d'un sommeil fort remuant.

Les cris continuaient en se changeant en rire et Helen leva un sourcil perplexe, avant d'attraper un peignoir de chambre et aller vérifier de visu la raison de cet enthousiasme de bon matin.

Les rires provenaient de la chambre voisine et elle passa la tête par le chambranle. Calliopé était debout, dans une tunique à manches longue façon vêtement de sport qui avait dû lui tenir lieu de chemise de nuit, et faisait face à la fenêtre grande ouverte, appuyée à bous de bras à son montant. Et Helen réalisa la raison de cette joie, elle qui jusqu'ici n'avait guère émergé de sa nuit difficile et douloureuse.

Il neigeait. Et Calliopé riait de plaisir à voir la neige tomber et la faire découvrir à son chaton, qui posé sur le rebord de la fenêtre tentait d'attraper de la patte les flocons blancs.

Brusquement et elle fut la première à en être étonnée, Helen sentit des larmes naitre à nouveau. Mais, même si elle n'apprécia guère cette faiblesse et se hâta d'en effacer toute traces, elle ne peut que les goûter avec plaisir. C'était des larmes de joie.

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