Cache-Cœur

By FannyAndre

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Ellen Hadler est le prototype de la fille parfaite : issue d'une famille aisée, mannequin, étudiante en droit... More

Prologue
Chapitre 1 (partie 1)
Chapitre 1 (partie 2)
Chapitre 2 (partie 1)
Chapitre 2 (partie 2)
Chapitre 2 (partie 3)
Chapitre 3
Chapitre 3 (partie 2)
Chapitre 4
Chapitre 6 (partie 1)
Chapitre 6 (partie 2)

Chapitre 5

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By FannyAndre

Quand je rejoignis King's Cross, j'étais dans un état de nerfs inhabituel. Je m'étais changée trois fois, presque comme si j'allais à un rendez-vous amoureux, et non revoir mon ex-meilleure amie. 

Pourtant la pression me semblait aussi importante, cette fille avait compté pour moi comme une histoire d'amour. Pas le côté sentimental, mais son impact sur ma vie, mes pensées ou la manière dont je me percevais ; qu'y avait-il de si différent entre amour etamitié, au fond ? Peut-être cela se jouait-il à quelques nuances, mais pas grand-chose. Après tout, elle m'avait donné envie de m'affirmer, de trouver la personne que je voulais devenir ou d'être quelqu'un de meilleur. Et quand j'y réfléchissais, peu de mecs étaient arrivés à un tel résultat. À part Heath ?

On oubliait Heath ! Rien à foutre de ce type. Je l'aperçus enfin. Elle avait changé sans changer tout à fait. Son style était toujours aussi garçonne et urbain, le genre que je serais incapable de porter, mais ce n'était plus la Léna ado que j'avais quittée. Son corps et son visage s'étaient affinés. Elle s'était coupé les cheveux courts, avec un côté asymétrique original. Son teint était encore plus mate que d'habitude, elle avait dû passer du temps au soleil.

Puis elle me sourit alors que je ne savais plus trop comment lui dire bonjour, que je me sentais bien empotée, et je me rendis compte que j'étais ridicule. Je fis claquer mes talons jusqu'à elle, rentrant un peu malgré moi dans mes automatismes de modèle, après tout, c'était le moment de « bien présenter ».

— Léna, tu es trop belle ! Cette nouvelle coupe te vieillit juste ce qu'il faut, j'adore.

Au départ, elle sembla hésiter à me répondre quelque chose, puis elle se contenta d'un simple :

— Tu m'as manqué.

Le genre de sourire qui vous accueille avec gentillesse, même si un peu timide. Sans réfléchir plus, je la serrai donc contre moi, laissant déborder le sentiment que je ne pouvais m'empêcher d'éprouver : la joie de revoir quelqu'un que j'avais tellement regretté !

Je me demandai une seconde comment les gens « normaux » géraient des retrouvailles. Quelque chose me disait que cela incluait un repas, de l'alcool, toutes ces choses caloriques. Une légère appréhension monta en moi. Bien décidée à jouer le jeu devant l'une des seules de mes connaissances à ne pas savoir mes soucis sur le sujet, je lançai, ravie :

— Tu as faim ? Je te propose un petit arrêt dans un resto indien, puis on ira à la maison. OK ?

Toujours faire semblant : on pouvait se convaincre ainsi que c'était vrai. Et en emportant le repas chez moi, je pourrais toujours plus facilement picorer sans que ça se remarque. Elle hésita une seconde avant d'acquiescer. Cette pauvre demi-minute faillit me faire paniquer. L'idée qu'elle veuille en rester là m'aurait fait trop bizarre. Je n'avais pas pu la décevoir si vite, non ? D'habitude, cela prenait quand même plus de temps. 

Puis un doute me vint. Je savais parfaitement que mon frère jumeau et elle avaient eu une relation avant notre départ de France. Personne ne l'avait dit, mais il aurait fallu être aveugle pour l'ignorer. Notre déménagement précipité pour l'Angleterre avait peut-être même un rapport avec ça, mon cher père voulant éloigner son riche rejeton de la graffeuse. Ils ne s'étaient jamais revus, je pouvais en déduire qu'elle ne l'avait pas forcément bien vécu. Et si c'était ça le problème ?

— Je suis seule au loft, ma coloc Christy est en déplacement, j'ajoutai, espérant ne pas faire trop louche avec ma sortie.

Quelque chose passa sur son visage, comme si elle se détendait un peu.

— Où habites-tu ?

Je souris sans y penser. J'adorais mon quartier, il était juste parfait et j'en étais assez fière, ayant toujours tendance à m'en vanter.

— South Kensington. Il y a un esprit très frenchy de ce côté de Kensington, tu verras. J'ai besoin de m'entourer d'un univers un peu français, sinon mon second pays me manque trop. Tu devrais y emménager !

Je réalisai un peu tard que les loyers de mon quartier ne devaient pas s'accorder avec les Vans en mauvais état qu'elle portait. Oups ! Pour noyer ma bourde, je la saoulai d'infos inutiles, de petites questions sur son voyage... Il n'y avait pas plus doué que moi pour le « small-talk » comme on disait ici.

Les heures qui suivirent, on en profita pour se redécouvrir calés confortablement dans mon salon autour de la table basse.. Léna et moi avions eu des chemins si différents qu'il semblait presque bizarre de se retrouver à nouveau ensemble. Quand on y pensait, sans cette rencontre dans le métro, lorsqu'un pickpocket avait voulu me voler mon Burberry chéri de l'époque, empêché par Léna la Zorro des temps modernes, qu'est-ce qui aurait pu réunir une fille de St-Germain des près et une graffeuse d'Argenteuil ? Trois ans plus tard c'était toujours vrai. Une faisait les beaux-arts, tandis que l'autre s'était dirigé vers des études de droit – en dilettante – et du mannequinat – en galérant –, confirmant ce grand écart qui nous séparait.

Mais, comme par le passé, il suffit de quelques heures pour que ça bascule. Nous avions une connexion inexplicable. On se comprenait malgré des quotidiens totalement différents. Clairement, Léna deviendrait folle à être traitée comme un objet par un photographe à moitié connard à moitié pédant. Même s'ils étaient bien souvent juste connards. Pour ma part, je ne m'imaginais pas une seconde courir sous un pont pour aller faire un graff sauvage en pleine nuit, respirer de la peinture en aérosol et m'en foutre plein les mains. Rien que l'idée me donnait envie de frémir : les policiers qui pouvaient vous arrêter à tout bout de champ ou une agression ? Sans parler de l'abandon définitif de toute manucure.

On se retrouva bientôt à rire de tout et de rien, à repenser au passé sans que ça ne paraisse aussi gênant. Ou du moins, c'était mon impression, Léna me répondait du tac au tac quand elle prenait plus de gants à peine une heure avant. Nos fous rires se firent plus nombreux et je me détendis. Je me lançai après sa dernière anecdote sur le graff.

— Tu vas dormir dans notre chambre d'amis, lui proposai-je. Elle pourrait devenir la chambre de mon amie tout court. Qu'en penses-tu ? Je pourrais sûrement les convaincre.

— Qui ça, « les » ? La, non ? Tu parles de ta coloc ?

Je clignai des paupières. Merde ! J'avais dit ça sans réfléchir. Mais c'était bien « les » auxquels je faisais allusion : Christie et Caden, mon frère dont je me demandais déjà comment il prendrait le retour de Léna dans ma vie – et la sienne, par répercussion. Y était-il vraiment prêt ? L'avantage d'avoir des grands faux cils pour ressembler à une biche apeurée à ma séance photo, cela me donnait un air inoffensif. À traduire : un peu conne.

— Oui, je suis bête. Alors, ça te dirait ?

Léna semble un instant partagée.

— El, t'es adorable, mais tu sais que je n'ai absolument pas les moyens d'assumer un tiers de ce genre de loyer.

— Tu n'y es pas obligée, rétorquai-je sans pour voir m'en empêcher. J'en paie la moitié, pourquoi changer ?

L'idée de la retrouver comptait subitement plus que tout. Peut-être que je me sentirais enfin mieux, et non en permanence plombée. Christy était une coloc assez absente, elle ne serait jamais une amie. Je n'avais autour de moi que quelques personnes qui prenaient de mes nouvelles régulièrement. Le sentiment de solitude se renforçait au fil des années : il y avait eu la rupture avec Heath, et toutes les fêtes où je me rendais, la maladie de ma mère de plus en plus envahissante...

— Tu crois que Christy trouverait normal de me voir squatter ici sans sortir un penny ? me relança Léna.

Sans doute pas. Mais ce n'est pas comme si elle-même était irréprochable sur le sujet...

— Tu pourrais régler les factures, l'eau, l'électricité, tout ça ? insistai-je.

— Même l'intégralité ne serait pas équitable, répondit-elle, un peu moins vite cependant. T'es adorable, je suis touchée. Mais je vais me démerder. J'y tiens. Je ne serai plus à ta charge.

Ses paroles me firent plus de mal qu'elle ne pourrait jamais le savoir. Je m'étais toujours demandé comment elle considérait notre relation, ce qu'elle pensait de moi avec mon appart de luxe, ma famille bourgeoise... toujours avec une grosse trouille d'être jugée pour ça. La petite fille à papa bien proprette, qui obtenait ses amis à coups de cadeaux et de fêtes – sans doute parce qu'il y avait du vrai.

— Tu n'as jamais été « à ma charge ». Tu étais mon amie ! J'avais plus d'argent de poche que toi. Si la situation avait été inversée, je suis sûre que tu aurais fait de même. Est-ce que je me trompe ?

Une seconde, je craignis vraiment qu'elle ne m'opposât un « oui » franc et massif. Mais ce n'était pas possible, pas si...

— Non ! Bien sûr que non. Mais tu n'en auras jamais la certitude, El, voilà tout le problème. J'étais une gamine et ça ne me dérangeait pas. Mais ça ne sera plus comme ça entre nous, affirma-t-elle.

Je secouai la tête, plus résolue que je ne l'ai été depuis longtemps.

— Si tu penses tout ça, tu es bête, Len. Je suis capable de deviner si quelqu'un est honnête ou pas avec moi. Je sais reconnaître mes vraies amies et tu en as toujours fait partie... Ça m'a brisé le cœur quand on est partis pour l'Angleterre. Ton intérêt pour nous était sincère, comme le nôtre pour toi.

Je n'avais pas pu retenir ce « nous ». Être jumeau ne faisait pas vraiment de nous une personne double... et en même temps quelquefois les choses se confondaient. Les gens parlaient de vous au pluriel, vous deveniez « les jumeaux », et pour le coup en sortant avec elle, Caden s'était accaparé mon amie quelque part.

Léna sembla un peu perdue, elle contempla fixement ses couverts quelques secondes sans rien dire. Mal à l'aise, je préférai en rester là et commençai à débarrasser, sous le faux prétexte de ma séance photo du lendemain quand je me fichais bien en réalité d'y arriver cernée : à quoi servait Photoshop et les maquilleurs sinon ?



****Source image : http://sombreboite.tumblr.com****

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