Viva Las Vegas [Terminée]

By Nomnomio

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A Las Vegas, tout brille. Lumières, champagne, jeux de casino et de pouvoir, femmes fatales, rien n'est trop... More

Prologue
Episode 1
Episode 2
Episode 3
Episode 5
Episode 6
Episode 7
Episode 8
Episode 9
Episode 10
Episode 11
Episode 12
Episode 13
Episode 14
Episode 15
Episode 16
Episode 17
Episode 18
Episode 19
Episode 20
Episode 21
Episode 22
Episode 23
Episode 24
Episode 25
Episode 26
Episode 27
Episode 28
Episode 29
Episode 30
Episode 31
Episode 32
Episode 33
Episode 34
Episode 35
Episode 36
Episode 37
Episode 38
Episode 39
Episode 40
Episode 41
Episode 42
Épilogue

Episode 4

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By Nomnomio


Dans Las Vegas, à l'écart du centre-ville et de son agitation, se dressait un imposant et magnifique manoir à l'européenne qui suscitait la curiosité des passants égarés. En effet, lorsqu'on vivait en plein désert, posséder un immense parc à la pelouse verte parsemée d'arbres et arbustes abondants était le signe extérieur de richesse ultime.

A l'abri de la douce fraîcheur qu'offraient les figuiers sycomores et les chênes, une femme était assise sur un banc en pierre sculptée, des lunettes de soleil protégeant ses yeux gris. Elle tournait d'un air absent les pages de La fausse subtilité des quatre figures du syllogisme, par Emmanuel Kant. Vue comme ça, elle semblait être l'une de ces femmes fragiles et délicates, cultivées, un peu absentes. Une beauté diaphane. Mais il ne fallait pas s'y tromper. Derrière ce masque de perfection sereine se cachait un esprit affûté comme le fil d'un rasoir. Sybille Benz n'était pas de ces femmes qui ne réfléchissent pas à ce qu'elles font. Sybille savait parfaitement ce qu'elle voulait, et elle le faisait. Parce qu'elle le pouvait.

Un nuage passa devant le soleil. Avec des gestes raffinés, elle referma son livre après y avoir inséré un marque-page, puis reprit le chemin de son domicile d'un pas tranquille.


Kimmy, Kimberley Benz de son nom complet, observait sa mère avec affection par la fenêtre de l'étage. Nul doute que ces deux là se ressemblaient beaucoup. Du haut de ses vingt et un ans, Kimmy possédait le charme, le mystère et l'intelligence acérée de Sybille. Dangereux de se fier à son apparence mutine de fillette trop vite grandie. Kimmy était au moins aussi ambitieuse que sa mère — si ce n'était plus. Elle esquissa un sourire puéril en entendant la porte s'ouvrir dans son dos à la volée.

Le jeune homme qui débarquait s'arrêta net lorsqu'il la vit au beau milieu de sa chambre. Il afficha un regard ostensiblement agacé avant de refermer derrière lui.


— Qu'est-ce que tu veux ? lança-t-il sur un ton agressif.
— Je n'ai pas le droit de venir prendre des nouvelles de mon petit frère bien-aimé, Andrew ?
— Oh, ça va. Tu me prends pour un con ? Tu viendrais pas me voir si t'avais pas quelque chose à me dire.


Kimmy se tourna face à son frère, sourire faussement innocent collé aux lèvres.


— Tu as vu la nouvelle recrue de papa ?


Andrew se laissa tomber sur son lit avec un soupir exaspéré.


— Non, et alors ? Il te plaît, c'est ça ?
— Voyons, Andy, voyons... Comme je suis ta sœur et que je t'aime, évidemment, je voulais te prévenir. Ce n'est pas une recrue ordinaire...
— Ah, vraiment ?
ironisa-t-il. Est-ce que je pourrais savoir le rapport avec moi ?
— Il a été engagé pour être ton garde du corps...
— Quoi ?!


Le garçon bondit de son lit, furibond, ses yeux lançant des éclairs. Kimmy n'avait pas perdu sa tranquille assurance. Elle savait quelle serait sa réaction. Elle le connaissait par cœur...


— Où est le problème ? Papa pense à ta protection, ça devrait flatter ton ego démesuré...
— Garde du corps, mon cul ! Tu sais aussi bien que moi que ça cache autre chose ! Pourquoi toi t'en aurais pas un, sinon ? T'es la plus faible de nous deux.
— Si tu le dis, Andrew...
, murmura la jeune fille avec un sourire de sphinx.


Son frère ne l'entendit même pas, trop occupé à laisser éclater son indignation.


— Garde du corps ? Plutôt mouchard, ouais ! Fais pas l'innocente, tu sais aussi bien que moi que papa veut me tenir à l'œil plutôt qu'autre chose.
— Tu as ramené une fille avec toi, Andy, non ?
interrogea brusquement Kimmy sans le moindre préambule.


Cette question prit le jeune homme de court.


— Ah... ouais, c'est vrai. Eh ben, pas besoin de me payer une nounou-mouchard, il y a déjà Kimberley Benz, ricana Andrew amèrement.
— Allons, je vous ai juste vus arriver par la fenêtre. Et je me demandais où elle était à l'heure actuelle.
— Ah, ben, bonne question... Je lui ai montré les toilettes et je suis remonté direct ici.
— Tu ferais mieux de la retrouver. Papa n'apprécie pas trop qu'on laisse des étrangers se promener dans le manoir comme ça...


♦♣♥♠


Lucy Mitchell cherchait Andrew en vain dans les couloirs sans fin de la propriété Benz. Il l'avait guidée jusqu'aux toilettes lorsqu'elle avait déclaré une envie pressante, avant de disparaître. Impossible de savoir où il était parti.

La jeune fille se maudit intérieurement. Son attention fut soudain attirée par un bruit de voix étouffé, qui la guida jusqu'à la porte massive d'un bureau. Elle essaya d'identifier le timbre arrogant de son petit ami, s'approchant jusqu'à coller l'oreille au battant. Une discussion lui parvint, plus ou moins nettement.


— ... et tu n'oublieras pas, pour la fête, le buffet doit être dans le plus grand salon, quitte à faire dégager quelques grabataires... Tu as appelé ceux que je t'ai demandés ?
— Évidemment, Ellroy. Fais-moi confiance, voyons, j'ai tout organisé. Tu peux te reposer sur moi.
— Je sais, Nietzsche, je sais.
— Et, tu sais, j'ai reçu un message pour toi...
, murmura le dénommé Nietzsche en baissant la voix.


Lucy avait toujours été une fille curieuse. C'était plus fort qu'elle, cette curiosité presque malsaine, cette habitude de tendre l'oreille au moindre soupir et de regarder partout où ses yeux pouvaient se promener. Une curiosité maladive, vraiment. La rouquine se colla à la porte comme si elle essayait de la traverser. Les mots lui arrivaient par bribes.


— Frank Mitch... réunion au sommet... crime organisé...


Tant de mots croustillants ! A ce stade-là, il fallait prendre des risques. La jeune fille se baissa pour coller son œil contre la serrure mais n'eut pas le temps de terminer son mouvement. La porte s'ouvrit violemment et elle manqua de basculer en arrière sous l'effet de la surprise.

En face d'elle, un grand homme brun, la quarantaine bien passée, très élégant ; son visage était particulièrement dur et hautain. Elle savait qui c'était. N'importe qui vivant à Las Vegas connaissait la figure d'Ellroy Benz. Celui-ci tira sur son cigare avant de la scruter à nouveau de ses yeux froids. Lucy sentit un frisson la parcourir devant ce regard aussi glacial et menaçant qu'une lame de couteau. Ce n'était pas cet Ellroy-là qui était connu de toute la ville pour ses bonnes œuvres et ses casinos luxueux, le chef de famille affable et prospère. Ce qu'elle avait en face d'elle, c'était l'homme d'affaires... de toutes sortes d'affaires.


— Oui, mademoiselle ? Qui êtes-vous et que faites-vous sur ma propriété ? interrogea-t-il enfin.
— Je... je... heu, Andrew...
, parvint-elle à balbutier.


Ellroy poussa un profond soupir, mélange d'exaspération et d'ennui. Andrew. Encore Andrew. Toujours Andrew... Qu'allait-il faire de ce gamin ?


— Vous ne devriez pas traîner avec mon fils. C'est un idiot, lâcha-t-il.


Que répondre à ça ?


— Vous voulez entrer, je suppose. Apparemment vous étiez très intéressée par cette pièce. Allez, entrez.


Lucy le suivit, effrayée. Elle n'en menait pas large. Cette réaction désinvolte de la part de l'entrepreneur était d'autant plus terrifiante qu'elle s'attendait à autre chose. Pas de trace de colère, rien. Et il l'invitait à entrer dans le bureau, comme si c'était normal. Elle vit l'autre homme de la conversation : Ed Carter – appelé Nietzsche par certains, le conseiller et meilleur ami d'Ellroy, assis sur un confortable fauteuil. Des yeux impassibles, un front dégarni, un visage assez banal aux traits mous, un air bonhomme. Ne pas se tromper sur Nietzsche : ce n'était pas vraiment la bonhommie qui définissait son caractère, et s'il était toujours exquis, c'était uniquement pour les apparences. Habitude de gérant d'hôtel de luxe. Mais tout ça, Lucy ne le savait pas.

Ellroy Benz s'avança jusqu'au bureau, sur lequel il s'appuya, puis tourna son attention vers la rouquine.


— Alors, jeune fille, comme ça mon fils vous a amené dans cette maison, et vous voilà l'oreille collée à la porte de mon bureau. Que devrais-je en penser ?
— Monsieur Benz, je... Je suis vraiment navrée, je ne sais pas quoi dire, je suis affreusement confuse...


Il leva la main pour l'arrêter.


— Pourquoi y a-t-il toujours des écervelés comme vous pour nous empêcher de travailler proprement...
— « Proprement » ?
ne put s'empêcher de relever Lucy, surprise.


Une détonation troubla alors l'atmosphère sereine de la pièce. La jeune fille eut un sursaut désordonné et s'affaissa sur le sol comme un pantin désarticulé. Nietzsche n'avait pas bougé, mais une crosse métallique luisait dans la main d'Ellroy Benz.


— Oui. Proprement, répéta celui-ci.


Nietzsche se leva pour examiner le corps. Aucun doute possible, elle s'était pris la balle en pleine poitrine. Il lui tâta le pouls au cas où, par pur acquis de conscience.


— Nietzsche, tu diras à Lee de nous débarrasser de cette emmerdeuse, le plus vite possible. Est-ce que l'homme que j'ai engagé est arrivé ?
— Oui, je l'ai laissé prendre ses quartiers dans l'aile est. Dans le même couloir que ton fils.
— Parfait.


Benz, toujours aussi calme, essuya son costume qu'il réajusta, passa une main sur ses cheveux gominés et sortit de la pièce. C'était bientôt l'heure du dîner, et il n'était pas question que qui que ce soit de la famille ne soit pas présent à l'heure. C'était la règle.


♦♣♥♠


Les Benz ainsi que Nietzsche, considéré en quelque sorte comme une extension de la famille, s'installèrent silencieusement autour de la longue table en bois vernis. Comme d'habitude, Ellroy trônait à l'extrémité, sa femme à sa droite et Andrew à sa gauche. Nietzsche siégeait à côté de Sybille et Kimmy à côté de son frère. Et, comme d'habitude, la chaise d'Andrew était vide.


— Kimmy, où est ton frère ? interrogea froidement Ellroy.
— Je présume que, comme à chaque repas, il tient à exprimer ses libertés individuelles en arrivant en retard...
, répondit la jeune fille, stoïque.


Le père de famille émit un soupir d'exaspération. Son rejeton lui causait tant de soucis, comme s'il n'en avait pas assez. Un jeune voyou incontrôlable, voilà ce qu'il devenait. Pourtant, il aimait Andrew. Plus que Kimmy, même, peut-être à cause de ses conceptions patriarcales, selon lesquelles son héritier ne pouvait être que le garçon. Sybille ne l'aidait pas vraiment dans l'éducation du gamin. Toujours si détachée. Elle avait, pour sa part, une préférence très marquée pour Kimmy, à tel point qu'elle ne semblait capable d'exprimer que du mépris vis-à-vis de son fils immature.

Du bruit dans l'escalier, et le fauteur de troubles apparut dans la salle à manger. Sans mot dire, le visage buté, il se dirigea d'un pas traînant vers sa chaise, sur laquelle il se laissa tomber. Son arrivée jeta un silence très pesant, jusqu'à ce qu'il s'exprime enfin, de sa voix toujours si agressive.


— Quoi ?


Le sang d'Ellroy ne fit qu'un tour, et toute la tablée sentit qu'il n'allait pas tarder à éclater. Il se tournait déjà vers son odieux gamin mais la douce main de Sybille se posa sur son bras.


— Andy, ton père t'a déjà demandé un nombre incalculable de fois d'arriver à l'heure au dîner.
— Et alors ? On est dans un pays libre, que je sache.
— Qu'est-ce qu'il faut pas entendre,
commenta Kimmy dans son coin, en retenant un ricanement moqueur.
— Pour commencer, tu ne réponds pas sur ce ton à ta mère,
répliqua durement Ellroy à l'adresse de son fils. C'est peut-être un pays libre, mais ici ce n'est pas une propriété libre, tu n'as que dix-huit ans, et tant que tu mèneras ta vie de pacha ici, tu obéiras à mes ordres ! C'est clair ?
— Pff...
— Je ne veux pas de « pff » ! Je veux un « oui », net et précis. Alors, c'est clair ?
— C'est ça...


Le père frappa un grand coup sur la table, faisant tressauter l'argenterie.


— Tu n'es qu'un jeune vaurien ! Tu finiras comme un minable délinquant tel que tu es parti, et à ce moment-là, il ne faudra pas compter sur moi !
— Tu vas arrêter de me gonfler, papa ? Tu peux bien parler de délinquance, tu t'es vu ?


Un grand froid s'abattit sur la pièce. La règle était de ne jamais parler des « affaires » d'Ellroy en famille. Celui-ci tremblait de rage. Il croisa les yeux gris de Sybille qui lui intimèrent de rester calme. Il se tourna alors vers son fils le plus paisiblement possible au vu de la situation.


— Dans ta chambre, Andrew. Tout de suite.


Le jeune homme se leva brusquement, furieux, et balança sa serviette qui fit rouler un verre par terre. Il partit tandis que le cristal se brisait au sol.


— Sept ans de malheur..., murmura Kimmy d'un ton égal.


♦♣♥♠


Andrew tira un paquet de cigarettes de son tiroir et s'en alluma une. Le soir se couchait au-dehors, il le voyait depuis le lit sur lequel il était allongé. Le garçon aspira une bouffée de nicotine en songeant à sa famille. La colère l'envahit. Son père se gourait de A à Z, et il était trop con pour le voir. Pas assez ambitieux. Il était passé à côté de plusieurs coups juteux à cause de sa prudence mal placée ; il ne pensait qu'aux apparences et au showbiz. Il ne tiendrait jamais, le vieux Benz, à ce rythme-là. Andrew pensait évidemment faire mieux. Il ne voulait pas marcher sur les traces de son père. Mais où aller pour intégrer le grand banditisme en beauté ? Il n'avait pas encore résolu ce problème, c'était bien pour ça qu'il traînait encore sa frustration dans le manoir familial.

On frappa à sa porte, il allait répondre « non ! » mais on entra. Il soupira. Il n'y avait que Kimmy pour s'embarrasser aussi peu de son avis. Il grogna lorsque sa sœur apparut, toujours son maudit sourire aux lèvres.


— Andy, papa veut que tu descendes.
— Pourquoi, il reste de la soupe ?
ricana le jeune homme.
— Je crois qu'il a quelqu'un à te présenter...


Le sourire d'Andrew s'effaça pour laisser place à la colère.


— Mon foutu garde du corps, hein ?
— Je n'en sais rien, Andy... Allez, viens. Tu vas encore énerver papa.


Le frère et la sœur descendirent ensemble les marches dans le silence le plus complet, jusqu'à ce que Kimmy reprenne la parole de sa voix onctueuse.


— Ah, et au fait... Je crois que papa veut aussi te parler de cette fille que tu as ramené à la maison aujourd'hui...
— Merde, je l'avais totalement oubliée celle-là !
s'exclama Andrew en se tapant le front.


En plus c'était vrai. Il ne se souvenait plus jusque là être rentré du lycée avec Lucy Mitchell, sa petite amie du jour. De toute façon, il avait aussi du mal à se souvenir de qui était sa petite amie du jour. Il avait cherché Lucy tout à l'heure, mais elle était introuvable, et il en avait conclu qu'elle était repartie pour une raison ou une autre, sur quoi il était retourné à son emploi du temps très chargé de lycéen multi-redoublant.


— Si j'ai bien compris, tu peux de toute façon la rayer définitivement de ta mémoire..., murmura Kimmy.


Les deux firent un bref signe de croix à ces mots. Réflexe. C'était leur mère, très catholique, qui leur avait enseigné dès leur plus jeune âge à se signer en parlant des morts. Avec les activités de leur père, ça commençait à être lassant...

Ellroy les attendait dans le salon, assis confortablement au creux du canapé, un verre de scotch à la main, dont il admirait les reflets ambrés. Sybille se tenait très droite et digne dans son fauteuil.


— Te voilà enfin. Entre. Tu peux venir aussi, Kimmy.


Celle-ci ne se fit pas prier et prit gracieusement place sur une chaise, croisant ses longues jambes, tandis que son frère restait debout, immobile, la mâchoire serrée.


— J'ai quelqu'un à te présenter. C'est notre nouvelle recrue, et il s'appelle également Andrew.


A l'appel de ce nom, une silhouette se détacha silencieusement du mur du fond. Le jeune Andrew sursauta. Il ne s'était même pas aperçu de la présence de l'homme, tant il se fondait dans l'ombre. Celui-ci s'approcha, et tous purent le voir distinctement. De taille moyenne, mince, avec un visage tout en longueur, des yeux cernés et un nez pointu. Rien qui le distinguait particulièrement.


— Andrew est désormais ton garde du corps, Andrew.


Le jeune homme esquissa une moue sceptique. Ce gringalet ?


— Comme c'est gentil, papa, de te donner tant de moyens pour me protéger..., ricana-t-il.
— Je sens qu'il y a de l'ironie là-dessous. Tu peux expliciter, fiston ?
— Garde du corps... ou espion ?
cracha le garçon, furibond.
— Mais qu'est-ce que tu racontes ? Mon but est d'assurer la sécurité de mon unique héritier, voilà tout. Maintenant, j'ai aussi une règle de cette maison à te rappeler... Encore une fois... Quand on invite quelqu'un, déjà c'est mieux de m'avoir prévenu avant, et ensuite on essaie de ne pas la laisser mettre son nez partout. Tu vois de quoi je parle ?
— Ouais
, répondit Andrew à contrecœur.
— Bon. Cette fois était la dernière. Je ne veux plus voir un seul fouineur rôder dans le manoir. Compris ?
— Ouais.
— Très bien, Andrew, très bien. Je te laisse remonter en compagnie de ton nouveau garde du corps. Sa chambre est à côté de la tienne. Et vous pourrez faire plus ample connaissance comme ça.


Le jeune homme jeta un regard mauvais au mercenaire qui se tenait immobile derrière Ellroy, le visage imperméable. Le type lui rendit son regard sans sourciller. Le fils Benz tourna les talons, furieux, rapidement suivi de l'autre Andrew. Les marches de marbre furent remontées dans un lourd silence. Alors qu'ils venaient d'atteindre l'étage, Andrew se retourna soudain vers son garde, menaçant.


— On va mettre les choses au clair, mec. Déjà, il y a qu'un Andrew dans cette maison. C'est quoi ton nom de famille ?
— White.
— Le vrai Andrew, c'est moi. A partir de maintenant, tu t'appelles White. Pigé ?
— Pigé.
— Et deuxièmement, tu vas pas me faire chier, White. Je mène ma vie comme je veux, et j'ai pas besoin d'une putain de nounou. Alors t'as pas intérêt à me coller aux basques, pigé ?
— C'est à votre père que j'obéis.
— T'es mon foutu garde du corps, alors c'est à moi que t'obéis maintenant !
— Votre père m'a dit de n'obéir qu'à ses ordres. Ce n'est pas vous qui me payez, que je sache
.


Andrew dévisagea White, qui était resté impassible durant tout leur échange. Furieux, il repartit vers sa chambre, et son ombre lui emboîta aussitôt le pas. Rapide, discret, silencieux. Le jeune homme n'allait pas supporter ça très longtemps.


♦♣♥♠


White retira sa veste et la jeta sur le lit en bois, avant de s'approcher de la fenêtre. Le soir était tombé sur le jardin majestueux du manoir, la lune brillait haut dans le ciel. Le mercenaire se massa un moment la nuque, puis se dirigea vers sa salle de bains. Le miroir lui renvoya un visage fatigué, qui lui donnait plus d'âge qu'il n'en avait. A trente-trois ans, Andrew White semblait en avoir presque quarante. Peut-être que c'étaient les cernes bleutées, ou alors la barbe mal rasée. Il regarda un moment ses bras. On le prenait toujours pour un gringalet. Autre illusion trompeuse... Il n'avait certes pas un corps de culturiste, mais sa musculature était tout de même bien entretenue. Matins et soirs, il s'arrangeait pour faire des pompes et des tractions, où qu'il se trouve. Un esprit sain dans un corps sain, voilà le minimum nécessaire. Surtout quand on exerçait la profession de mercenaire. White avait tout cela. Sa discrétion redoutable, son acuité, son mental d'acier, voilà ce qui lui avait valu sa réputation.

Il revint dans la chambre, s'intéressa à la tringle des rideaux. Il s'appuya lourdement dessus pour tester sa solidité, puis rassembla ses forces pour se hisser à l'aide de ses seuls bras. Tout en faisant son exercice quotidien, il songea à son nouveau job. Ça ne s'annonçait pas très passionnant, pas du tout même. Le gamin capricieux était ridiculement odieux. Mais White était patient. Il lui ferait baisser d'un ton. Il s'efforçait de respirer à pleins poumons, régulièrement. Inspiration, expiration... Tirer sur les muscles de ses bras, et monter... Descendre... Il s'essoufflait plus vite, il avait l'impression, qu'à l'époque des Marines.


Il songea à son nouveau « chef ». White avait vite cerné Ellroy Benz : l'employeur idéal, juste, prêt à payer généreusement pour un boulot bien fait. Le patron en qui on pouvait placer sa confiance, toutes proportions gardées. Sa femme ? Pour le moins énigmatique. Elle parlait peu, mais pas sûr qu'elle n'avait pas son mot à dire... La fille ? Jolie, c'était tout ce qu'il avait pu voir. De toute façon, il ne tarderait pas à tous les connaître, maintenant qu'il était en quelque sorte intégré à cette famille bancale.

White avait bien besoin d'un boulot de planqué comme celui-là, de toute façon. Ça lui permettrait de se reposer, de rassembler ses forces, avant de continuer sa route harassante vers le néant.

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