Rebecca Jimenez
l'odeur de l'enfer
octobre 2003
On m'avait toujours vendu le lycée comme les "meilleures années d'une vie", et je cherchais encore qui était l'escroc qui avait inventé cette foutaise. J'aimais les cours, pas de souci, à partir du moment où on nous enlevait des heures de technologie, je ne pouvais que faire la roue. Mais le volume horaire et la charge de travail à la maison étaient tels que je me sentais débordée du haut de mes seize ans.
Mes cernes à la fin d'une semaine de contrôles étaient quasi les mêmes que ceux de Nahïl, qui travaillait réellement.
- Je sors, à plus tard.
Passant tel un coup de vent, Talia quittait déjà l'appartement sous les râles d'Amine qui ne savait faire que ça depuis quelques semaines. Depuis que notre sœur et Tarik avaient décidé de se mettre véritablement ensemble. L'annonce s'était faite de manière plutôt étrange et clairement malaisante, il y avait eu un blanc après qu'Andrieu ait assumé devant tout le groupe qu'il sortait avec 'Lia, et j'avais eu peur de perdre son jumeau.
Il s'était limite senti trahi que Tarik soit le copain de sa sœur à cause d'une jalousie mal placée. Tarik c'était son pote à lui, pas celui de Talia. Enfin bref, il avait fini par devoir l'accepter car ce n'était vraiment pas dans le style de l'autre tigresse de se laisser dicter ses choix.
Hmm, j'aimerais être comme Talia quand je serais plus grande, le caractère de merde en moins.
L'appartement était pratiquement vide en ce début d'après-midi, les parents étaient au travail et trois des cinq enfants Jimenez se trouvaient un peu éparpillés de partout. Il ne restait qu'Amine et moi, vu que ce dernier n'avait pas cours aujourd'hui et que j'avais déjà fini le lycée.
- Beck', ça te dit d'aller manger un truc dehors ?
- Non, j'ai encore de l'histoire à apprendre, répondais-je à l'aveugle, le nez dans mon cahier.
- Allez viens, t'as déjà révisé tout le week-end.
- Oui et ce n'est pas as-
- Je te filerai mes contrôles de seconde, madame Saumal est du genre à faire les mêmes sujets.
Prenant en considération les dernières paroles d'Amine, je fixais les lignes sur le papier quadrillé où les mots commençaient à zigzaguer, et soupirais pour m'avouer vaincue. De toute façon, je ne retenais plus rien tellement j'étais fatiguée.
- D'accord. Mais c'est moi qui choisis où on va, prévenais-je directement mon frère en attrapant ma veste qui traînait sur mon lit.
- À vos ordres miss l'intello.
Je dévisageais Amine qui se mettait à sourire en me demandant de faire vite, qu'il m'attendait devant la porte. Rapidement, je refermais mon cahier et ignorais l'appel de Nabil, n'ayant pas le temps pour un petit moment chit-chat. Et puis, si c'était encore pour l'entendre se plaindre du lycée, j'avais assez donné.
En parlant de lui, même si on n'était pas dans la même classe cette année, ça ne nous empêchait pas de nous voir autant qu'avant. C'était fusionnel avec Nabil, j'avais besoin de ma dose hebdomadaire sous peine de craquer et d'aller me ravitailler auprès des jeunes qui traînaient dans le coin. J'exagérais évidemment, mine de rien je tenais à ma vie, mais au final je n'étais pas loin.
D'ailleurs, depuis que son frère et ma sœur sortaient ensemble, on avait encore plus de chance de se croiser.
- Bon alors, dis-moi où tu veux que je t'emmène, déclarait théâtralement Amine après qu'on soit montés dans sa voiture.
- Le libanais pas loin, il fait une super bonne cuisine.
- J'espère pour toi que j'vais pas finir avec une merde dans l'estomac, je levais les yeux au ciel en secouant la tête. Alors vas-y pour le libanais.
- Merci de m'emmener manger.
- Y a pas de quoi Becky, ça faisait longtemps qu'on s'était pas fait un truc à deux, ma p'tite sœur commençait à me manquer.
Je me pinçais carrément la peau pour ne pas vexer Amine en lui demandant si ce n'était pas à cause de Tarik et Talia, qu'il se sentait seul. Je le voulais vraiment mon libanais, et j'étais certes que mon frère ferait demi-tour direct si je commençais à m'aventurer dans cette voie-là. Du coup, je préférais rester muette sur mon siège, attendant patiemment que l'on arrive à destination.
Mon ventre n'avait fait que de gargouiller sur la route.
(...)
- C'était sûr que t'allais avoir une bonne note.
Pas peu fière de moi, je tapais dans la main d'Éléonore alors que l'on partait s'installer sur un des bancs de la cour. Mon écharpe me tenait fermement chaud en ce début frais d'octobre et je fourrais mon nez dedans, espérant vainement que celui puisse me réchauffer.
Je détestais finir à dix-huit heures, le soleil commençait à se coucher de plus en plus tôt et je n'aimais pas trop traîner dehors. Le lycée n'était pas si loin de l'appartement mais ce n'était pas pour autant que je n'avais pas de quoi flipper avec tout ce qu'il se passait en ce moment. Parfois, je voyais passer des alertes enlèvement sur les réseaux, et les victimes étaient à quatre-vingt-dix-neuf pour-cent des femmes.
De temps en temps, mes frères ou ma sœur venaient me chercher mais c'était très rare, ils avaient des occupations de leurs côtés et mes parents finissaient beaucoup trop tard pour me récupérer après les cours. Alors sur les sept minutes de trajet que j'avais à faire seule, après que nos chemins se soient séparés avec Éléonore, je serrais fortement mon trousseau de clés dans le creux de mon poing, sursautant à chaque camion blanc qui passerait près de moi.
Je haïssais cette vie.
- Tu viens toujours dormir à la maison ce week-end ? me questionnait mon amie, me tirant de mes songes.
- Oui, bien sûr. Tu veux que je ramène quoi ?
- Toi, ça suffira t'inquiètes.
- Sûre ? Je peux faire des gâteaux ou quelque chose dans le genre.
- Non, ça ira.
Je hochais de la tête avant de la poser sur l'épaule d'Éléonore qui commençait à me raconter les dernières péripéties du midi avec son crush. Elle avait des vues sur un terminale et il semblerait bien que ce soit réciproque, vu le nombre de fois où il lui souriait en retour. Mais je gardais toujours les yeux plissés quand le fameux Théodore se retournait pour rire avec ses potes.
Je restais sceptique à son sujet, ce qui n'était pas du tout le cas de Léo, qui était totalement à fond sur lui. En même temps, c'est vrai qu'il était mignon.
- Du coup, je pense à aller lui parler d'ici la semaine prochaine.
- Hein ?
Sortant d'un coup de mes pensées, je redressais ma tête pour regarder le visage d'Éléonore, fermé et décidé. Un rire nerveux me fit frissonner et rapidement, je réfléchissais à la meilleure façon pour lui dire que ce n'était pas vraiment une bonne idée. Mais ça semblait déjà perdu d'avance, vu comment elle souriait en coin.
- Je... T'es sûre ? commençais-je prudemment, tâtant le terrain pour ne pas la brusquer ou la vexer.
- Oui. On est déjà en octobre et ce petit jeu dure depuis trois semaines, il faut bien que quelqu'un se jette à l'eau, tu ne crois pas.
- Certes mais...
- Quoi, Rebecca ?
- J'ai peur qu'il joue avec toi.
La bouche d'Éléonore s'entrouvrit et, alors que je pensais qu'elle allait se mettre en rogne et me traiter de jalouse, ma meilleure amie éclatait d'un rire franc, avant de me serrer dans ses bras comme si je venais de lui offrir de l'or. Paumée avec le nez contre son cou, je lui rendais maladroitement son étreinte et cherchais comment lui dire que je ne plaisantais pas.
- Je t'adore Becky, c'est mignon que tu t'inquiètes pour moi.
- Hmm bah, d'accord mais je le pense.
- T'en fais pas, s'il jouait avec moi, il ne perdrait pas de temps à s'arrêter sur une nouvelle seconde.
Je pensais justement, qu'au contraire, c'était ce qui l'amusait le plus dans l'histoire.
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