Netkal : le dernier voyage de...

By Bollyandco

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Tout commence par une bagarre, que Sooraj tente d'arrêter et qui le force à rencontrer le coude de Tanveer. P... More

Sur la route
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Sur la route
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Sur la route
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 37
Chapitre 38
Chapitre 39
Chapitre 40
Chapitre 41
Chapitre 42
Bangalore
Chapitre 43
Chapitre 44
Chapitre 45
Chapitre 46
Chapitre 47
Chapitre 48
Netkal
Bonus.

Chapitre 36

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By Bollyandco

Mon père ne m'a jamais posé de question. Sur ce qui s'est passé, sur la manière dont ça s'est passé. Il n'a jamais cherché à connaître les moindres détails, sans réaliser qu'il ne m'a jamais demandé ce que je ressentais, ce que j'espérais. Son agissement partait d'un bon sentiment. S'éloigner le plus possible de la douleur pour ne pas l'alimenter, pourquoi pas. Trop craintif à l'idée de faire un faux-pas qui risquerait de mettre mes émotions à l'épreuve, il a fini par me donner l'impression que rien ne s'était jamais produit. Ni ma relation avec Radhika, ni notre fuite, ni la naissance de notre enfant. Toute une partie de moi, supprimée. Ignorée.

Je ne devrais pas lui en vouloir, personne n'encaisse de la même manière, et il n'y a pas de bonne ou de mauvaise façon d'être après ce qui est arrivé. J'ai perdu ma femme et mon fils, il a perdu sa belle-fille et son petit-fils. Il souffre, lui aussi, mais sa façon d'accepter la situation a fait grandir ma souffrance. Ne pas parler d'eux, c'était trop radical. Le voir tous les jours, finalement, c'était également un rappel régulier. Pas étonnant que j'aie suivi ces allemands sans sourcilier. Si nous n'étions pas allés rendre visite à mon père cette semaine-là, nous ne serions jamais montés dans cet avion.

Un raccourci facile à établir, qui explique le gouffre qui nous sépare aujourd'hui.

Shakti a fait l'inverse de mon paternel. Dès qu'elle a su, elle a foncé. Encore et encore. J'ai autant détesté qu'apprécié. Elle semble avoir vécu le même enfer, les mêmes frayeurs. Quelque chose, quelque part dans sa vie, l'a poussé à regarder le gouffre sous ses pieds. A hésiter. Sauter ou rester ? Je pense savoir pourquoi elle ne veut pas quitter Netkal. Je pense savoir pourquoi elle s'acharne tant à son travail. C'était sa solution. Ce qui lui a permis de faire marche arrière et de s'éloigner du saut ultime.

De donner un sens à la personne qu'elle est.

Et moi ?

Qui suis-je, au fond ?

Souvent, Surya m'apparaît en rêve. Il court vers moi, m'impose sa découverte. Il a trouvé un chiot dans la rue d'à côté, il veut me le montrer. Si possible l'adopter, sans que sa mère ne le sache. Le jeune labrador se débat sur mes genoux, ne parvient pas à tenir debout. Compliqué de lui faire plaisir, Radhika éternue dès qu'une boule de poils s'approche d'elle. Mais ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas le nourrir, l'apprécier. Il faut lui trouver un nom, d'ailleurs. On aime davantage quelque chose qu'on a nommé. C'est une grosse responsabilité, mais Surya sait déjà ce qu'il veut. Et c'est là que le rêve change, se transforme. Nuit après nuit. Un prénom différent à chaque fois. Kushi, Damini, Ila... Il prononce le nom et c'est terminé. Je pleure ensuite pendant des heures, car je ne sais plus : est-ce un souvenir incomplet, ou juste un rêve ?

Qu'est-ce qui est vrai, qu'est-ce qui est faux ?

Le bracelet à son poignet, est-ce vraiment le mien ? Le Kara¹ de mon arrière-grand-père, cet acier qui a vu des générations et dont chaque marque possède sa propre histoire ? Je voulais tant lui transmettre, mais l'ai-je vraiment fait ? Et ses cheveux ont-ils toujours été aussi bouclés, ou est-ce la longueur qu'ils auraient eu aujourd'hui ?

N'est-ce pas horrible, de ne plus savoir une chose aussi simple ?

Ne suis-je pas horrible, ne pas savoir ?

Assis dans l'ancienne chambre de Shakti, je sèche mes cheveux à l'aide d'une serviette. Une toilette s'était imposée après notre matinée dans la terre. La crasse a disparu, mais mes mains sont toutes calleuses. A jamais blessées. Brûlées, d'une certaine façon. L'immode tee-shirt de l'hôpital ainsi que le reste de mes vêtements ont fini dans un bac. Je ne porte qu'un lungi propre turquoise et une chemise rouge à rayures blanches que je n'ai pas boutonnée. Tanveer et Ayaat sont rentrés peu après Shakti et moi. Je les entends à l'extérieur discuter de leur enfance. Le rire de la jeune femme a quelque chose de doux, alors qu'elle accroche le salwar de ce matin, qu'elle vient de nettoyer. Automatiquement, je repense à la cassette. Celle qui est tombée dans le bus.

Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ?!

— Si c'est ça, je me casse !

La voix de Shakti résonne dans le couloir, en parfaite harmonie avec ses pas, lourds. Sa mère est peut-être rentrée ? Qu'est-ce que j'ai raté, encore ? Je délaisse la chaise pour le sac de Tanveer et cherche la cassette quand la porte s'ouvre. Shakti referme violemment et croise les bras, avant de réaliser qu'elle n'est pas seule.

— T'es encore là ?!

— Tu te casses où ? dis-je en reprenant mes recherches, allant plus en profondeur.

— En Amérique, Tanveer m'a dit que tu pouvais m'y emmener.

— Non.

Et puis quoi encore ! Quelques secondes plus tard, elle m'envoie un drap qui se déplie sur ma tête.

— Qu'est-ce que tu fais ? me questionne-t-elle en s'approchant. Qu'est-ce que tu cherches ? Des problèmes ? D'autres médicaments à me rendre ?

Je décide de lui adresser une grimace en guise de réponse. Le temps de remettre un peu mes cheveux en ordre, j'aperçois le trésor tant désiré : la fameuse cassette de Tanveer que j'agite fièrement. Voilà ce que je cherche. Voilà ce qui va me faire voyager une seconde et me permettre de ne pas gaspiller mon temps à me prendre la tête avec moi-même. A ne pas sombrer.

— Ne me dis pas que c'est...

— Si !

Elle attrape l'extrémité du drap et me fouette avec.

— Imbécile ! Remets ça à sa place !

— Tu ne veux pas l'écouter ? Allez... ON va l'écouter !

Comme si c'était LA chose à faire. Confirmer mes soupçons. Il y a de vieux mots d'amour entre Tanveer et Sahira, là-dedans. C'est précieux. Privé. Loin d'une compilation musicale habituelle. L'intimité que conserve ce petit objet a un pouvoir unique sur le militaire.

— Non. ON ne va pas l'écouter sinon ON va m...

Mourrir ? Est-ce difficile à dire après ce qui s'est passé ? Difficile à articuler devant quelqu'un dont c'est la volonté principale ? J'offre une expression de douceur. Qu'elle reste elle-même, avec ce langage sans crainte dont elle connaît le secret.

Elle se relève, prête à quitter la pièce avant que je ne fasse quoi que ce soit de plus.

— Il n'est pas le psychopathe que tu imagines.

Pause. Est-ce que ma phrase veut dire quelque chose ? Suis-je vraiment convaincant en disant ça ? Pas du tout. Je réessaye.

— Il a bon cœur, tu sais.

— Il va arriver d'une minute à l'autre ! s'inquiète-t-elle.

— Mais non, mais non... Il est dehors avec Ayaat, ils sont trop occupés pour venir ici.

Je tourne l'objet entre mes doigts, comme un magicien. Rien de plus amusant que d'accroître la tentation de l'autre.

— Non, ce n'est pas bien...

Elle secoue sa tête, croisant de nouveau les bras en guise de protestation.

— Si c'est trop personnel, on éteindra. Promis.

Évidemment que c'est trop personnel. Evidemment que ma promesse ne tient pas.

— Je ne sais pas...

Sans la laisser finir, je me lève vers sa vieille machine stéréo que je tire jusqu'à la porte avec un peu de mal. Assis ainsi, Tanveer ne pourra pas nous surprendre. Shakti s'installe à mes côtés, baissant le volume avant que j'ajoute la cassette. Elle arrange ensuite sa longue jupe pourpre pour ne pas dévoiler ses jambes.

Au moment où j'ai appuyé sur le bouton play, un bruit étrange a démarré. Un son aigu, pas net, suivi d'un bruit mécanique peu attractif. Paniquée, le médecin a tout de suite sauté sur le bouton stop. Mauvaise idée. La cassette n'a pas aimé.

— Merde ! La bobine ! Trouve-moi un crayon ! hurle-t-elle.

Maintenant, aucun doute. Tanveer va nous tuer. J'aperçois une trousse près de vieux livres d'école sur l'étagère, que je fais malheureusement tomber en essayant de l'atteindre. Je lui tends immédiatement le premier crayon que mes doigts attrapent et avec une précision chirurgicale, le médecin démêle le désastre.

— T'es une pro, je commente plutôt impressionné par sa rapidité.

— La ferme, siffle-t-elle entre ses dents.

Elle est loin d'avoir fini quand la porte se cogne à son dos.

— Sooraj, tu pourrais me...

— Ce n'est pas Sooraj !

Shakti coupe la parole à Tanveer, tout en refermant la porte d'un coup sec. Évidemment qu'il arrive maintenant, sinon ça n'aurait pas été drôle ! Je m'assois tout de suite à côté de la jeune femme pour augmenter le poids contre la porte.

— Shakti ? Qu'est-ce que tu fous là ?

Elle me regarde, je la regarde. Il faut dire quelque chose... vite !

— Elle se change !

Quel con...

— T'es bête ou quoi ?! Je ne me changerai jamais devant toi ! me dit-elle en me frappant avec son pied. Le militaire se met à rire, essayant de nouveau d'ouvrir la porte.

— Je peux regarder, moi aussi ?

Bien tenté, Tanveer.

— Je ne suis pas en train de me changer ! Je...

— Désolé. Je ne sais pas, c'est sorti comme ça...

Shakti reste concentré sur la bobine, mais répète ce que je viens de dire de manière plus ridicule. J'en aurais ri, si la situation avait été moins pressante.

— Qu'est-ce que vous faites ? J'ai besoin de mes lunettes. Sooraj, regarde dans mon sac.

Il essaye de nouveau d'ouvrir la porte, mais nous résistons. Des lunettes ? Tanveer porte des lunettes ? Des lunettes de soleil ou de vue ?

— Non, non... On fait... des trucs, lui répond-elle.

Elle n'est pas plus convaincante que moi en situation de crise.

— Une seconde ! Ajoute Shakti.

— Dites, vous allez bien ? s'inquiète Tanveer.

Encore un peu... c'est bon ! Shakti me renvoie la cassette que j'attrape, puis plonge au fond des affaires de Tanveer. Une fois que c'est fait, elle m'envoie aussi le crayon et ouvre en dernier la porte.

— Qu'est-ce que vous faisiez... avec un crayon ? demande le militaire, amusé.

— Je me casse, j'ai dit ! reprend-t-elle, faussement furax.

Je laisse Tanveer pour suivre le docteur, lui offrant au passage notre outil magique. Elle fait subitement demi-tour avant de descendre les escaliers pour me dire.

— Si ça ne marche plus, t'es coupable !

Et elle reprend son chemin, furieuse, dévale les marches et ignore sa mère au passage. Un cadre du mur tombe au même moment, alors que Tante Bhavani s'est écartée pour laisser passer la tornade que représente sa fille.

— Je vais passer ma vie à courir après elle, si ça continue, murmure la mère de Shakti, qui observe le médecin s'éloigner. Elle ramasse ensuite les morceaux de verre de la photo qui vient de s'écraser. Je m'accroupis pour lui donner un coup de main. C'est une photographie de classe, probablement de Shakti durant ses études. Je peux reconnaître ses cheveux à des kilomètres. Volumineux et détachés. L'une des rares, sur l'image, à ne pas avoir attaché sa masse capillaire de façon plus professionnelle.

— Ô ma fille...

— Est-ce que ça va ?

Avant qu'elle ne puisse me répondre, Tanveer traverse la pièce et rejoint Ayaat dans la cuisine. Vite fait, bien fait. Nous sommes ici comme chez nous, vraiment !

— Rien, rien... C'est juste que... Vous savez, je n'ai pas réussi à suivre votre conseil, c'est plus fort que moi.

— C'est pour ça qu'elle hurle depuis tout à l'heure qu'elle s'en va ?

J'essaye de me montrer rassurant, de parler d'un ton léger pour enlever l'inquiétude qui pèse sur les épaules de Tante Bhavani. En vain.

— Je suis responsable de son bonheur, elle finira par le comprendre. Je ne le répéterai jamais assez, mais je veux qu'elle profite de ce que le monde a à lui offrir ! Netkal, ce n'est pas assez bien pour elle. Et un jour, ça finira par rentrer dans sa petite tête.

— Il suffit de lui trouver une remplaçante. N'importe qui pourrait prendre sa place à l'hôpital... Peut-être quelqu'un du village ? Ainsi, votre problème sera réglé !

— Vous, vous pourriez ?

Tante Bhavani me prend de court. Je ne sais pas quoi répondre. Dans ce genre de situation, autant ne rien dire, non ? J'imagine que cet endroit n'a pas seulement besoin d'un médecin, mais de personnes bienveillantes et capables. Des gens prêts à aider, des gens éduqués prêts à les soutenir dans leurs différents projets.

J'ai dit une bêtise.

N'importe qui n'était pas le bon terme.

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1. Bracelet Kara : Bracelet sikh en acier, sous la forme d'un cercle parfait.

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