Le vendredi matin, chaque pilote a son emploi du temps dédié aux médias et aux interviews. Lewis et Sebastian ne sont pas attendus au même endroit, pourtant, ils arrivent ensemble sur le paddock. Ce dernier porte un tee-shirt rouge sur lequel on peut lire les mots : "ARE WE ALL GONNA DIE?"
Lewis porte des vêtements lambda, mais il est clair que, marchant à côté de Sebastian, il affiche son soutien.
— Est-ce que vous pouvez nous parler de votre tee-shirt ?
— C'est un tee-shirt qui s'adresse directement à la FIA. Et ce n'est pas une question rhétorique, j'attends vraiment une réponse.
— Est-ce que vous accusez la FIA pour tous les décès enregistrés depuis le début de la saison ?
— Je n'accuse personne. J'exprime simplement mon inquiétude. Quand on dit que la Formule 1 est un sport à risques et qu'on peut en mourir, ce n'est pas ce qu'on veut dire.
— Vous êtes dernier du classement, à égalité avec Alexander Albon. Est-ce vous craignez pour votre vie ?
Sebastian baisse la tête, les lèvres serrées.
— Oui. Oui, je crains pour ma vie.
⸻
— Bonjour, Alexander, merci de venir à notre micro. Les deux séances d'essais libres ont été difficiles de votre côté, vous avez trouvé une explication ?
— Non, malheureusement, pas d'explication. C'était difficile, on cherche encore pourquoi.
— Vous avez été accusé par certaines personnes d'être en cause du nouveau classement et des deux morts du dernier Grand Prix car c'est vous qui avez proposé une qualification en grille inversée. Qu'est-ce que vous répondez à ça ?
— Je suis dernier ex-aequo avec Sebastian. Je vais mourir, comme tout le monde. Je ne suis fautif de rien.
⸻
— Qu'est-ce qu'il vient de dire ?
— Je crois que nous avons tous entendu la même chose...
— Il serait temps que la FIA intervienne. Cette situation devient dramatique.
— Après sept morts... la situation était dramatique il y a sept Grand Prix. La FIA n'a plus le choix.
⸻
Lewis s'éloigne de l'agitation du paddock. Il préfère aller courir pour remettre ses idées en place.
⸻
— Ça va mieux depuis la semaine dernière ?
— Désolé de t'avoir accusé, frérot, mais tu m'as tellement énervé à contredire toutes mes théories, alors qu'elles se sont toutes vérifiées.
— Ouais je comprends. Pas de rancœur, Charles. Mais faut se serrer les coudes, surtout dans notre écurie. On peut pas se monter les uns contre les autres, on a un ennemi commun.
⸻
Sebastian et Alex le savent : l'un d'eux va se faire éliminer dimanche soir. Ils pensent même pire que ça : que l'un d'eux va mourir dimanche soir.
Ils ont 48 points chacun et seulement une qualification et une course pour les départager. Dès le samedi, il faut se démarquer.
⸻
— Je vous l'ai déjà dit, je ne mettrais pas un pied dans cette voiture !
— Arrête ton cirque, Esteban ! On a assez de problèmes comme ça !
— Mais on marche sur la tête. Je vais pas conduire pour me faire tuer juste après !
⸻
Alex est déterminé. Il ne se souvient pas de la dernière fois qu'il a eu une telle détermination. Il devait sûrement encore porter les couleurs de Red Bull. Il peut le faire. Il va le faire. Il va se sauver.
Sebastian n'affiche pas la même mine : il est angoissé. Soudainement, il a l'impression qu'il n'est plus très sûr de l'endroit où se situe chaque commande sur son volant. Il a l'impression qu'il ne sait plus quelle pédale sert à accélérer et à freiner.
⸻
— Mais tu vas pas t'y mettre, Lewis ! Toi mieux que les autres tu devrais me comprendre...
— Je sais que ça fait peur, mais on va trouver les personnes qui nous veulent du mal. Mais si on arrête de conduire, ils auront gagné. On sera vivant, mais mort intérieurement.
⸻
Le départ de la Q1 est lancé, et les pilotes s'élancent les uns à la suite des autres sur le circuit de Silverstone. Deux pilotes en particulier jouent leur vie sur ce circuit. L'un s'applique, roule proprement, soigne ses virages ; l'autre est paralysé, franchit des limites de piste, voit ses chronos annulés.
"Je dois aller jusqu'en Q2. Je n'ai plus le choix. C'est lui ou moi, et ça ne sera pas moi."
"Je ne connais pas ce circuit ? Est-ce que j'ai déjà roulé ici ?"
"Je vais passer. Je vais passer."
"Je ne veux pas mourir. Tout sauf ça."
"Fin de la Q1. Tu es P9. Tu passes en Q2."
"Q1 terminée, tu es P12."
⸻
Sebastian s'en veut. Il quitte le garage avec son casque, honteux. P12. Sur douze pilotes. Il avait une chance de prendre de l'avance pour la course, mais il a été incapable de la saisir. Il a tellement peur
— Sebastian !
Le pilote sourit légèrement en voyant Alex s'approcher.
— Salut. Félicitations pour ta qualif.
Alex hausse les épaules. Il est P10, ce qui n'est pas incroyable, mais il ne peut pas dire ça à la personne qui est P12, alors il répond simplement :
— On verra bien demain.
Sebastian hausse les épaules. Effectivement, ils verront bien qui va mourir demain.
⸻
Le pilote fronce les sourcils en lisant un tweet. Si la personne qui l'a écrit dit vrai, et que les calculs ne sont pas bons, alors tout change. Et un profil de tueur deviendrait sérieusement envisageable.
⸻
— Donc tu soupçonnes la FIA, demande Daniel, et George hausse les épaules.
— Disons que je suis d'accord avec les points qu'avance Lewis. Pourquoi ? Tu es sur une autre piste ?
Daniel hausse les épaules.
— Alex.
— Alex, répète George.
— Bah, oui. Il est toujours dans les derniers, et pourtant jamais éliminé. On dirait qu'il profite des éliminations pour se frayer un chemin jusqu'en haut.
— Mais, quand même...Alex...
Daniel hausse les épaules.
— Si c'est la FIA, tu trouves ça plus normal ?
George secoue la tête.
— Bien sûr que non, mais... pas quelqu'un qu'on côtoie, comme ça...
Daniel hausse à nouveau les épaules.
— J'en sais rien. C'est une idée comme ça.
⸻
— Je suis Fernando Alonso.
— Oui, monsieur, mais vous devez être fouillés, comme tout le monde ici.
— Je suis un pilote ! Je roule chez Alpine !
— Oui, monsieur, mais je dois regarder à l'intérieur de votre sac. La sécurité est renforcée pour le Grand Prix.
Fernando acquiesce.
— Si ça peut éviter un nouveau meurtre, fouillez même mes poches.
⸻
— La FIA a écouté les demandes des pilotes, et la vigilance est très présente sur le circuit. Le nombre d'agents de sécurité a été multiplié par cinq.
— Effectivement, et tout le monde a été fouillé à l'arrivée sur le paddock ainsi que dans les gradins.
— Voilà enfin des mesures sensées mises en place, ça fait plaisir !
— Espérons qu'elles portent leurs fruits...
⸻
— Et c'est parti pour le Grand Prix de Silverstone, notre dixième rendez-vous de la saison !
— Leclerc et Verstappen sont au combat, le monégasque réussit à passer...
— C'est très serré, Verstappen va avoir le DRS dans quelques tours, il faut que Leclerc prenne de l'av...
— Oh c'est le crash entre les deux pilotes !
— Incroyable, mais que s'est-il passé ?
— Les roues... contact des roues... c'est terrible... Max est allé à la faute contre Charles, mais la voiture de ce dernier est bien plus endommagée...
⸻
— Ça va ?
— Ça va. C'est sa faute, il n'a pas laissé la place.
⸻
— Tout va bien ?
— Non... enfin, moi oui, mais pas la voiture.
— Box, box.
— C'est sa faute, il m'a collé.
⸻
-Et c'est l'abandon pour Charles Leclerc, tandis que Verstappen continue, sa voiture n'a aucune trace de l'accident.
— Un peu injuste, ce genre de situation, avec la nouvelle réglementation...
— Ah, ça, c'est aux commissaires de gérer, mon cher collègue.
— Un Leclerc qui se fait rentrer dedans ne marque pas de points, tandis qu'un Verstappen fautif pourrait en marquer comme si de rien n'était...
⸻
— Je suis combien ?
— P9 pour le moment.
— Neuf ?! Qui est P1 ?
— Ocon.
— Il nous refait une Hongrie...
— Dire ça revient à envisager que tu ne seras pas P1 ?
— Arrête de me parler, je n'arrive pas à me concentrer !
⸻
— Tu es P2.
— Quoi ?! P2 ?! Incroyable !
⸻
— Je suis loin des autres, je vois personne devant moi...
— Tu es P1, Esteban.
— Hein ?! C'est pour ça !
⸻
— Drapeau rouge.
— Quoi ? Je suis combien ?
— P7.
— C'est une blague ! Long ou court drapeau rouge ? Drapeau rouge basique ou drapeau rouge quelqu'un est mort ?
⸻
— Tu es P10. P10.
— J'avais entendu la première fois.
— P10.
⸻
— Un autre accident vient de se produire, mais il semble être plus grave que le premier car les images ont immédiatement été coupées. Comme d'habitude, nous attendons des nouvelles le plus rapidement possible.
— Ce que nous savons pour l'instant, c'est qu'il s'agit de Sergio Perez et de Sebastian Vettel. Nous n'avons pas plus d'informations.
⸻
— Bah, Lewis, ça va pas ? demande George en le voyant assis par terre, la tête dans les genoux, et le pilote secoue la tête.
— C'est Seb. Il était dernier du classement. Il est sûrement déjà mort à l'heure qu'il est. Esteban avait raison, on aurait pas dû faire cette course.
⸻
— Ils nous font croire qu'ils rajoutent de la sécurité pour faire ça !
— Mais, c'est peut-être un accident...
— Combien de morts il te faut pour voir qu'il n'y a jamais eu de mort accidentelle cette saison, Carlos ?!
⸻
— Et c'est avec une grande tristesse que nous vous annonçons le décès de Sebastian Vettel.
— Vous allez bien ?
— Je vous avoue que ça me met un coup.
⸻
— P5, Alex, P5.
— C'est ça qu'on veut ! C'est ça ! Allez, pas d'élimination !
⸻
— La FIA veut savoir si vous voulez faire le podium ?
Esteban, vainqueur du jour, secoue immédiatement la tête, et il est suivi par Daniel et George, respectivement P2 et P3.
— Possible de ne pas faire les interviews ou amende, demande ce dernier, et Toto secoue la tête.
— Amendes. Mais aucune question sur les accidents.
— Je sais que l'ambiance n'y est pas mais félicitations pour ta victoire, lance Daniel à Esteban, qui hausse les épaules.
— Merci. C'est pas le moment de dire ça mais je suis très heureux.
⸻
— Tu as entendu la radio d'Alex. On dirait qu'il s'en fiche, s'il y a des morts. C'est vraiment inadapté comme comportement.
⸻
Fernando essaie de garder le sourire en voyant toute la joie qui fuse autour de son coéquipier. Il a gagné son deuxième Grand Prix aujourd'hui. Lui, le présent et le futur de l'écurie. Tout ça pendant que Fernando est arrivé P10.
Quand ils étaient vingt, P10 était une place déjà limite. Maintenant, être P10, c'est être en bas du classement. Il se retrouve huitième sur douze au classement général, et il sait très bien que les choses vont très vite à ce niveau-là. À la prochaine course, il peut se retrouver dernier comme cinq places plus haut. Tout repose sur ses épaules.
Fernando est inquiet.
⸻
— Je viens d'avoir des nouvelles de Sergio, il va rester à l'hôpital pour la nuit, annonce Christian, et Max fronce les sourcils.
— Quoi ? Pourquoi ?
— Au service psychiatrie. Il ne va pas bien du tout. Gros traumatisme. Je vais aller le voir, mais avant ça... félicitations, tu as repris la tête du classement.
— Merci.
— Personne n'a la tête à faire la fête, hein ?
— Hmm, j'ai vécu des situations plus adaptées, quoi.
ILS ÉTAIENT VINGT, ILS NE SONT PLUS QUE DOUZE.
↠ vos pensées, suggestions, pronostics
https://www.reddit.com/r/ilsetaientvingt/