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DOCUMENT MANUSCRIT ENVOYÉ

À LA GENDARMERIE D'ABU DHABI

Dès ma plus tendre enfance, je me suis rendu compte que ma nature était un tissu de contradictions. Pour commencer, je suis doté d'une conscience écologique innée.

Recycler mes déchets était une pratique qui ne manquait jamais de m'enthousiasmer quand j'étais enfant. Elle m'enthousiasme encore aujourd'hui, et c'est pourquoi j'ai adopté cette méthode : rédiger ma confession sur une feuille de papier recyclé, et la livrer à la police. A ce moment-là (ou bien me flatté-je ?) une énigme criminelle cruelle demeurée sans solution trouvera enfin son explication.

J'ai reçu à la naissance des traits de caractère bien particuliers. Ainsi, j'éprouve un plaisir indéniablement sadique à voir perdre ou à causer la défaite. Je me souviens de mes premières expériences au karting... Dès mon plus jeune âge, j'ai connu avec intensité la volupté de gagner.

Mais ce trait coexistait avec un autre, contradictoire : un sens aigu de la justice. Qu'une personne ou une créature innocente puisse souffrir par ma faute me révulsait. J'ai toujours été fermement convaincu que le droit devait prévaloir.

Avec une mentalité comme la mienne, on peut comprendre (un psychologue le comprendrait, je pense) que j'aie choisi de faire carrière dans la Formule 1. Cette profession satisfaisait pratiquement tous mes instincts.

Le crime et son châtiment m'ont toujours fasciné. J'adore tout ce qui est roman policier et thriller. J'ai inventé, pour mon amusement personnel, les méthodes les plus ingénieuses pour commettre un meurtre.

Ce secret instinct de ma nature trouva matière à développement lorsqu'arriva un jour la mort d'Anthoine Hubert. Voir un misérable criminel mort sur le circuit me procurait un plaisir exquis. Mais attention : je n'éprouvais aucun plaisir à y voir un innocent.

J'ai la réputation d'être le pilote dont la fatalité est de gagner, mais c'est injuste. Je me suis toujours montré rigoureusement équitable et scrupuleux dans mes combats.

Je ne cherchais qu'à mettre la fédération en garde contre leurs éventuelles réactions émotives face aux appels à l'émotion de nos ténors les plus portés sur l'émotion. J'attirais leur attention sur les preuves concrètes.

Depuis quelques années, j'avais remarqué chez moi un changement, une perte de hauteur... un désir croissant d'agir plutôt que de juger.

J'avais envie – reconnaissons-le franchement – de commettre un meurtre moi-même. J'assimilais cela au désir qu'a l'artiste de s'exprimer ! J'étais – ou pouvais être – un artiste du crime ! Mon imagination, sévèrement bridée par les devoirs de ma charge, s'épanouissait en secret avec une force colossale.

Il fallait, il fallait, il fallait que je commette un meurtre !

Et, qui plus est, pas un meurtre ordinaire ! Ce devait être un crime fantastique, stupéfiant, hors du commun ! À cet égard, j'ai encore, je crois, une imagination d'adolescent. Je voulais commettre un crime théâtral, impossible !

Je voulais tuer... Oui, je voulais tuer...

Cependant, si incongru que cela puisse paraître, j'étais entravé par mon sens inné de la justice. L'innocent ne doit pas souffrir.

Et puis, un beau jour, l'idée est née d'une remarque fortuite, entendue au cours d'un échange de banalités. Je parlais avec un activiste écologique. Il observa négligemment qu'il se commettait bien souvent des atrocités contre lesquelles on ne pouvait rien. Et il me cita le cas de la Formule 1, ce métier dont le fondement même est la pollution et le capitalisme à son plus haut niveau. Les pilotes eux-mêmes étaient criminels.

ILS ÉTAIENT VINGT » FORMULE 1 ✓Where stories live. Discover now