TRINITY - Tome 3 : Rencontre...

By Romi-Viki_Cozhker

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L'institut Electre Even a été détruit, beaucoup de marqués ont été emportés. Ceux qui restent doivent trouver... More

[ Prologue ]
[ 1 ] Exode, résurrection et Arche
[ 3 ] Papillons, coussin et souffle
[ 4 ] Allégorie, ordres et contradiction
[ 5 ] Enlèvement, réunion et illuminations
[ Inter chapitre N°1 ]
[ 6 ] Horloge, départ et nuage
[ 7 ] Coffre fort, éveil et nacre
[ 8 ] Casse, coffre et tremblements
[ 9 ] Route 9, triangle et orage
[ 10 ] Patience, affaires et réunion de famille
[ Inter chapitre N°2 ]
[ 11 ] Teinture, justification et pilule
[ 12 ] Îles, souvenirs et désolation
[ 13 ] Manoir, absence et ange pleureur
[ 14 ] Café, départ et "Noticias de última hora"
[ 15 ] Loutre, espionnage et dû
[ Inter chapitre N°3 ]
[ 16 ] Testament, prianik et révélations
[ 17 ] Kazakov, patience et répulsion
[ 18 ] Intrusion, papillons et punch
[ 19 ] Voie lacté, tambour et marbre
[ 20 ] Balade, insectes et Sas
[ Inter chapitre N°4 ]
[ 21 ] Serpent de verre, Colonel et Tutelle
[ 22 ] Niveaux, Vil'Sangs et griffures
[ 23 ] Mandarine, assemblé et cynisme
[ 24 ] Problèmes, foudre et chocolat-chaud
[ Inter chapitre N°5 ]
[ 25 ] Médicament, crustacés et cascade
[ 26 ] Fascination, fiole et euphorie
[ 27 ] Plongée, omniscience et bibliothèque
[ 28 ] Art, frise et reconstitution historique
[ Inter chapitre N°6 ]
[ 29 ] Revenante, village troglodytique et 4×4
[ 30 ] Crise, promesse et électricité statique
[ 31 ] Munitions, longueur d'avance et ciseaux
[ 32 ] Anneau, Downtown et massacre
[ 33 ] Cachalots, retour au bercail et inversion des rôles
[ Inter Chapitre N°7 ]
[ 34 ] Carottes, bouquet de fleurs et détour
[ 35 ] Virée shopping, gendarmerie et vin rouge
[ 36 ] Ricochets, mousse et gardes-chasse
[ 37 ] Bois, surprise et espèce menacée
[ Inter Chapitre N°8 ]
[ 38 ] Inquiétude, visite et conciliabule
[ 39 ] Conserves, tune et manipulation
[ 40 ] Prédateur, hélicoptères et poupée de chiffon
[ Inter chapitre N°9 ]
[ 41 ] Ann, secousses et chaussures
[ 42 ] Rencontre du troisième type, méfiance et alliance
[ 43 ] Nettie Stevens, football et DC Comics
[ Inter chapitre N°10 ]
[ 44 ] Stetsons, libérations et incendie 1/2
[ 44 ] Stetsons, libérations et incendie 2/2
[ Inter chapitre N°11 ]
[ 45 ] Retrouvailles, rouge et apocalypse
[ Inter chapitre N°12 ]
[ 46 ] Ascenseur, verre et vipère
[ 47 ] Nolight Land
[ 48 ] Notruth Land
[ 49 ] Nosoul Land
[ 50 ] Serenity World
[ 51 ] Pardon, échec et mat
[ 52 ] Puissance, déchainement et avenir
[ Epilogue ]

[ 2 ] Espionnage, intervention et conteneurs

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By Romi-Viki_Cozhker

Par-dessus le culot de ma tasse remplie de sang frais salvateur, j'observe encore le camp, en direction des deux conteneurs où nous allons dormir. Apparemment, le premier à été arrangé il y a quelque temps au cas où il y ait de nouveaux arrivants, et le suivant vient d'être sommairement aménagé par quelques insulaires brusquement tirés du lit. J'ai une pensée désolée pour eux avant d'engloutir le reste de mon bol de gruau.

Mon palais et mes papilles gustatives ont l'impression de se retrouver à l'orphelinat... Je jette presque mes couverts sur la longue table en tôle et attrape le poignet de la blonde pour la tirer derrière moi. Je profite de la foule juvénile s'égayant dans l'obscurité pour filer à l'anglaise.

Tjana lâche une exclamation surprise mais me suis, se contentant de terminer à l'aide d'une seule main son bol dans lequel elle à mélangé sa tasse de sang pour voir si ça aurait meilleur goût.

— T'fois quoa ? me questionne-t-elle, la bouche pleine.
— Je fais ce qu'on fait le mieux : espionner, chuchoté-je.

Une bâtisse élaborée sur le modèle d'un chalet canadien apparaît entre les bicoques. Elle est plus tarabiscotée, avec de la tôle, des éléments récupérés, recyclés, des fenêtres discordantes... Bref, montée avec les moyens du bord.

— Tu oublies la castagne, chuchote la blonde.

Je lui souris en lui faisant signe de se taire. Nous nous faufilant jusqu'en dessous d'une fenêtre, celle en bois sombre. Tjana s'assied à côté de moi, le dos contre le mur. Je croise son regard et lève une main vers sa tempe. Comprenant mes intentions, la blonde hoche la tête. Après avoir placé deux doigts à la tempe de ma sœur, le voile écarlate sort de ma tête, s'étend dans la pièce dans laquelle se trouvent les deux hommes : un salon.

— Alors c'est ça, ce que tu as fait durant toutes ces décennies ?
— J'ai essayé de refaire ma vie comme j'ai pu, en faisant quelque chose d'utile pour les générations futures. Toi aussi, tu as fait quelque chose dans ce goût-là, à ce que j'ai vu.
— Chez moi, ç'a mis plus de temps. J'ai d'abord essayé d'être un homme normal.
— Ç'a raté...

Les deux se figent, s'observent attentivement, rient de conserve après avoir prononcé exactement les mêmes paroles, mot pour mot, en même temps. Ils reprennent leur sérieux. Apparemment, ils se sont déjà raconté beaucoup de choses pendant que nous mangions et buvions : Arthur et son pensionnat, Wolfgang et son Arche, en profitant pour se raccommoder un minimum. Tant mieux, de cette façon, ils arriveront directement au vif du sujet, et nous, nous entendrons ce qui nous intéresse vraiment.

Karl rit.

— Qu'est-ce qui te fait sourire comme ça ? demande Wolfgang en se servant une tasse de café, qu'il remplit à ras bord.

Cet homme ne fait jamais les choses à moitié, dites-moi.

— Nous sommes observés. Mais ce n'est pas grave, cela ne m'empêchera pas de te montrer l'attaque pour que tu comprennes à qui nous avons à faire, poursuit Karl en tendant une main vers son interlocuteur.

Ce dernier recule dans le fond de son siège en cuir élimé, levant une main face à lui pour lui faire signe de s'arrêter, ce que Karl fait. Sa main reste levée, à mi-chemin entre sa canne et la tempe du roux.

— Tu es en train de me dire que nous sommes espionnés ? Par tes gamins ? Tu ne peux pas leur demander de partir ?
— Non. Ces deux-là sont particulièrement désobéissants.
— Y a un télépathe, c'est ça ? sourit son interlocuteur.

— Bingo. Je vois que tes fonctions intellectuelles n'ont pas été atteintes.

Par-dessus sa tasse de café tiède, Wolfgang fusille du regard le sourire moqueur de son interlocuteur.

— T'as toujours voulu en rencontrer un autre, après ce renard. J'ai toujours su que tu serais un parent laxiste et gâteau.
— Ça, c'est pour les grands-parents.
— J'm'en branle. Empêche-le de nous écouter ! Fais un... un... une cloche vide !
— Une pièce blanche.
— C'est la même chose ! affirme Wolfgang en balayant l'air de la main.
— Même si je voulais, je ne pourrais pas. Elle est trop puissante, réplique Karl en prenant une gorgée sereine.
— Une niveau... Une niveau 5 ? demande lentement le patriarche, peinant à croire que ces mots sortent de sa bouche.

— Authentique, confirme le Professeur en levant cinq doigts.

Tjana me donne un petit coup de coude pour attirer mon attention. Elle a un grand sourire et frétille sur place, comme si nous étions deux petites filles ayant surpris leurs parents à les louanger.

Je me pince les lèvres pour m'empêcher de sourire. C'est vrai qu'entendre que je suis si puissante est satisfaisant. Pourtant, ça me cause quelques soucis. La traversée en train à été éprouvante pour moi et mes pouvoirs.

— La « déesse » ? questionne-t-il, un brin moqueur.
— Oui. Maintenant, assez perdu de temps.

Sans plus prendre la peine de demander sa permission, comme s'il l'avait depuis longtemps déjà, Karl pose deux doigts à la tempe de Wolfgang.

Je romps le contact aussitôt.

Tjana me secoue l'épaule.

— Mais qu'est-ce que tu fais ? chuchote-t-elle.
— Le Professeur allait montrer à Wolfgang la nuit de l'attaque.

La blonde se fige, comprenant où je veux en venir.

— Tu tiens vraiment à tout revoir ? Jusqu'à la fin ? demandé-je en faisant référence à Taima.

Je sens mes yeux me brûler en y repensant. Ceux de Tjana brillent aussi. Mais nous nous ressaisissons de suite en clignant des yeux. Pleurer ne fera pas avancer nos affaires. Ce n'est pas comme cela que nous retrouverons notre petite sœur.

Pour toutes ces raisons, nous nous contentons de rester assises là, dans l'obscurité que les yeux d'Arsène ne peuvent me décrire et que les sphères de Tjana ne peuvent tout à fait dissiper, dos contre la bicoque en bois, en pierre et en métal, ma main dans la sienne.

Nous patientons plusieurs minutes. J'essaie de faire le vide dans mon esprit, de garder la tête froide, mais, malgré ce que j'ai dit à Tjana, revie cette nuit d'horreur.

Je la revie, putain.

Je revoie la tache rouge s'étendant sur l'abdomen de Taima, la bulle nous empêchant de la rejoindre, la lumière bleue, cette créature, sa disparition...

J'essaie de garder la tête froide mais mes yeux me brûlent. Et je suis certaine que Tjana est dans le même état que moi. Je n'ai pas besoin de ressentir son aura ressemblant à un océan dans la tourmente. Il me suffit de la sensation de ses doigts tremblant serrant les miens, toujours plus fort.

Nous restons immobile jusqu'à ce que je sente que l'esprit du Professeur quitte le passé pour revenir à l'instant présent. Le voile s'étend de nouveau dans le petit salon après que j'ai replacé une main sur la tempe de ma sœur.

Wolfgang passe machinalement une main dans ses cheveux roux foncés après que Karl a retiré sa propre main, comme si bouger lui permettait de mieux revenir à la réalité. Ses traits sont choqués, une larme perle à sa paupière gauche. Sa marque en est réapparue, tant il a vécu les souvenirs du Professeur. Des écailles rouge-orangé forment trois « griffures » barrant son œil gauche.

— Tu comprends, maintenant ?

Le roux se contente de hocher la tête. Il déglutit, ses mains agrippent sévèrement les accoudoirs de son fauteuil. Son regard se perd sur sa gauche, en bas, sur une chaise qui est tombée tout à l'heure, lorsque Lev est venu le chercher et qu'il s'est levé dans la précipitation pour quitter sa maison et rejoindre la place du foyer.

— Je comprends pourquoi vous êtes venus ici, et pourquoi Lev vous a menés jusqu'à notre camp.

— « Mais » ? Viens-en directement au « mais ». Toi et moi, nous savons que tout ce qu'il y a avant le « mais » n'est qu'un ramassis de foutaises qu'on essaie de te faire passer pour un bon plat de grand-mère servi sur un plateau d'argent. C'est lourd et tu sais que tu vas le regretter, mais tu l'avales quand même.
— Eh bah je comprends que t'aies laissé Eva finir comme Électre !
— J'ai essayé de la sauver ! Mais ils s'y sont mis à plusieurs sur moi. Puis tout a explosé. Tu l'as vu comme moi. Si tu ne le fais pas pour moi, fais-le pour Evangéline. Aide-moi à la sauver. Je sais qu'elle n'est pas morte. Pas Eva...

Wolfgang se prend la tête entre les mains, en proie à un dilemme : aider Karl à sauver Evangéline au risque d'attirer les Indominus Lex jusqu'à l'Arche et que tout ce qu'il a construit soit balayé en une nuit, ou l'envoyer balader pour protéger ses proches mais avoir la mort et la souffrance de bien d'autres sur la conscience, dont celles de sa vieille amie.

— Je ne peux pas vous laisser rester ici, commence-t-il, lentement. Vous allez nous attirer des ennuis, poursuit le roux en se redressant. Vous allez nous conduire à la perte de tout ce que nous nous sommes donné un mal de chien à construire.
— Wolfgang, je t'en prie, tu ne peux pas nous faire une chose pareille... Pense aux enfants, à Eva.

Avec le secouement de tête de celui qui s'en veut, Wolfgang maintient son raisonnement.

Tjana et moi échangeons un regard qui en dit long. Mon angoisse se reflète dans ses yeux d'ambre.

— Faut faire un truc pour l'convaincre.

Je hoche la tête en triturant une de mes couettes. Comment convaincre un homme qui sait que ce qu'il fait est immoral car il est décidé à protéger ceux qu'il possède déjà et ceux qui lui sont déjà proches ?

Réfléchis, Trixie. Réfléchis !

Une ampoule s'allume dans mon esprit. Je crois que j'ai trouvé.

Mon changement d'expression doit se lire facilement sur mon visage puisque la blonde bondit sur ses pieds en même temps que moi. J'ouvre à la volée la porte en bois défraîchi –- ou plutôt ma psychokinésie prend les devants pour m'épargner cette peine.

— Trixie, Tjana, par pitié, ne vous en mêlez...
— Oh que si, on va s'en mêler ! le coupe la psionikinésiste. Hors de question de rester passives sur ce coup-là !

Je m'approche à grandes enjambées de Wolfgang, qui n'a pas bougé d'un cil, si ce n'est pour tourner un visage agacé vers nous.

C'est à mon tour de plaquer mes mains sur les accoudoirs de son fauteuil pour planter mes yeux, encore plus sombres que d'habitude, dans les siens.

— Je crois que vous n'avez pas vraiment saisi les tenants et les aboutissants de cette histoire.
— Au contraire, c'est pour cela que je ne peux pas vous laisser rester.
— S'ils nous ont trouvés, ils vous trouveront aussi.
— Nous saurons rester discrets. Personne n'est au courant de notre existence.

Je plisse les yeux. Sa tasse de café vide se brise dans sa main. Le bruit est couvert par un feulement que moi seule peut entendre. Lui, sursaute au son des morceaux de céramique qui tombent par terre.

Ses yeux gris acier voyagent entre moi et sa main vide.

Il comprend que c'est de mon fait.

Je plaque mes mains de chaque côté de sa tête, envoyant valser les jolies règles moralistes que le Professeur a tenté de m'inculquer. J'ignore la ligne blanche et la grise pour directement franchir la noire, celle qui me permet de manipuler la conscience, de faire voir ce que je veux.

D'abord, mon esprit est assailli par un scène marquée au fer rouge dans les souvenirs du patriarche : une forêt vertigineuse, une nuée d'oiseaux enragés, des hommes armés, certains rendus dangereux par la peur et l'ignorance, d'autres, heureux d'être là, des mains armées, des piaillements à en crever les tympans, deux enfants, une fille et un garçon concidérés comme des rayons de soleil par le propriétaire de ce souvenir, une femme belle comme le jour, une tentative de fuite, une rixe, des paroles incomprises, même pas écoutées quand on réfléchit bien, une sitation qui dérape, des tirs, les oiseaux vangeant le garçon et sa famille. Le père est le seul survivant, il serre dans ses bras sa famille, leur demande pardon, ses larmes se mélangent au sang. Du coin de l'œil, il se remarque un détail jaune, frustrant de gaité dans cette horreur sombre. Puis un souffle : c'est un respiration. Il tourne la tête, n'ose y croire. Sa fille ouvre difficilement ses paupières irisées de longs cils roux, le trou dans son ventre se referme, le sang cesse de couler.

Je force mon esprit à s'éloigner, même s'il est maladivement curieux et qu'il veut voir la suite de la scène hachurée par l'émotion.

Je connecte ma conscience à celle de l'homme afin de lui montrer mes propres souvenirs. Aussi douloureux soient-ils, même si je ne suis pas certaine de l'état dans lequel je vais en ressortir, même si je sais que c'est trop tôt, je dois le faire. Tout va très vite. Je revis une suite de souvenirs de Taima, la montrant forte, courageuse, déterminée, souriante, si intelligente lorsqu'elle trafique tout ces objets et qu'elle hacke en un rien de temps tous ces data-centers, si sensible et fragile lorsqu'elle perd le contrôle et qu'elle nous rappelle comme elle a besoin de nous, comme nous avons besoin d'elle. Je revis cet ultime entraînement dans la salle souterraine, le code rouge sonné par Lilith, le combat, la balle, les larmes de détresse lorsqu'elle nous cherchait désespérément du regard, son corps qui s'effondre dans les gravats, le dôme incassable, la lumière bleue, cette créature qui l'emporte sous nos hurlements et nous pleurs brûlants.

Je chancelle en revenant à la réalité. Tjana pose ses mains sur mes épaules pour me soutenir.

— Ça va, ça va...

Mes yeux me brûlent atrocement. Mes joues sont noyées de larmes. Mon souffle est court... Je me force à prendre une grande inspiration avant de vriller mes yeux dans ceux de Wolfgang. Il est figé, hautement perturbé. Nous venons tous deux de revivre l'un des pires, si ce n'est le pire, souvenirs que nous ayons en mémoire, l'un et l'autre.

— Est-ce que Karl vous a montré ça aussi ?

J'ai le déplaisir de constater ma voix tremblante, mais je poursuis.

— Vous aussi, vous avez perdu des personnes que vous chérissez plus que tout. Cet homme au brassard jaune et noir, il n'était pas là par hasard. Vous êtes lié à l'affaire, vous pouvez vous venger en nous aidant, en souvant des marqués. Ne nous chassez pas, ne nous tournez pas le dos !

Wolfgang n'a pas détourné le regard du mien. J'ai une vue imprenable sur ses iris d'acier, écarquillés, transpirants de malheur et de rage. Il se lève brusquement.

Je l'évite de justesse en me redressant, mais je suis déséquilibrée, encore secouée par les souvenirs que je me suis infligée. Tjana vient à mon aide, passe une main dans mon dos, l'autre à mon bras. Je suis vidée. Cette expérience n'était pas de tout repos ; le voyage en train, non plus.

Le patriarche nous observe, tour à tour, gravement, mâchoires contractées.

— Wolfgang... supplié-je une dernière fois, priant pour que mon apparence pitoyable le fasse flancher en notre faveur.
— Putain... lâche-t-il en passant une main tremblante dans ses cheveux lisses.

Je ferme les yeux et exhale un soupir tremblant. Cette injure était une capitulation.

— D'accord, vous pouvez rester vivre ici, mais je vous préviens, il faudra mettre la main à la pâte.
— Merci Wolf...

Il se tourne vers un Karl tout sourire, les mains tranquillement croisées sur le pommeau de sa canne.

— C'est pas pour toi que j'le fais. Mais pour cette bande de gamins, Eva, et ces deux pauv' filles.
— Les pauv' filles, elles t'emmerdent... grogne tout bas Tjana.

Je lui donne un coup de coude pour qu'elle ne ruine pas mes efforts. Il va me falloir pas mal de temps pour panser ma fierté volontairement bafouée. Je ne suis pas près de reproduire ce petit numéro de sitôt... Même si j'aime toujours autant manipuler les autres et que ça m'avait manqué.

— Maintenant, faites-moi le plaisir de sortir de ma maison. J'ai du sommeil en retard et je vais encore devoir carburer au café toute la journée de demain...

Nous sortons hâtivement de la bicoque bigarrée, la porte claque derrière nous. Les murs laissent passer les fortes exclamations de Wolfgang qui peste, mais cela sonne comme une douce berceuse à mes oreilles.

De retour à la longue table de tôle sur laquelle notre repas de minuit fut servi, nous ne sommes pas surpris de constater sa désertification. Seule une haute silhouette se découpe à notre approche.

— Salut, articule Isaac d'une voix fatiguée. J'ai été missionné pour vous accompagner à nos... nos dortoirs... termine-t-il dans un bruyant bâillement.
— Fais gaffe, tu vas gober des mouches.
— T'as vraiment des ref' de grand-mère, Tja'...

Cette dernière rit, puis nous emboitons le pas d'Isaac. Arthur Karl doit, apparemment, rejoindre les professeurs d'un côté. Nous, nous allons avec quelques jeunes et nos amis des Marked-men. Après avoir monté à pas de loup l'escalier en métal qui mène à un large conteneur et avoir poussé la lourde porte grinçante, nous découvrons un intérieur aménagé en dortoir, spartiate mais largement suffisant pour nous requinquer après quelques nuits complètes.

Tous les adolescents dorment déjà. Quelques fenêtres ont été laissées entrebâillées afin de faire circuler l'air frais. Tout au fond, une main nous fait signe de venir dormir. Nous retirons nos chaussures, que nous laissons à l'entrée, en compagnie des autres paires, et rejoignons cette main bronzée que je devine appartenir à Alysse, si j'en crois sa gracilité. Je souris en constatant qu'Alysse, Katinka et Arsène sont toujours éveillés sur leurs lits.

— Vous nous attendiez ? questionne la blonde.
— Évidemment, répond Alysse en se décalant pour lui laisser la place de se glisser près d'elle.

Isaac monte dans son lit en hauteur. Moi, je rejoins Arsène sous la couette après avoir imité Tjana en retirant mon jean pour ne garder qu'une grande chemise. Le brun m'accueille en m'entourant de ses bras réconfortants. Je me blottis contre lui et renifle son odeur, le nez écrasé contre son torse.

— Vous êtes parties en coup de vent, on n'a rien remarqué au début, chuchote le brun.
— Même pas moi, confirme son petit frère.
— Trixie a réussi à convaincre ce Wolfgang de nous laisser rester ici, explique Tjana.
— Ouais, et ce ne fut pas au prix de menus efforts... Maintenant, j'aimerais juste m'effondrer confortablement.

Le silence qui accueille ma phrase est éloquent. Tout le monde est d'accord avec moi pour se laisser emporter par le sommeil et ces lits garnis de couvertures et d'oreillers. Arsène pose un baiser sur mon front en resserrant un peu plus ses bras autour de moi. Nous n'avons même plus la force de nous souhaiter bonne nuit. Mes paupières pèsent autant que des éléphants obèses. Elles se closent d'elles-mêmes pour me plonger dans un sommeil que j'espère sans rêves, entourée de tous ces gens.

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