Deux mois ont passés depuis l'entre vue entre Irwin et moi, depuis cette fameuse nuit là. Deux mois durant lesquels on s'est à peine regardés. Deux mois à l'ignorer en cours. Deux mois à l'éviter. Deux mois à faire comme si de rien n'était. Chaque matin, faire attention à ne pas le croiser, aller m'asseoir à l'autre bout de lui dans les amphis. Parfois, on n'a pas eu d'autre choix que de tolérer la présence de l'autre, quand on faisait des soirées à la planque, par exemple.
Finalement, on a avoué que Cal et moi c'était de la rigolade, qu'on était pas vraiment ensemble. Mais au contraire, Ashton à officialiser avec Virgipute. Ça fait donc deux mois qu'ils sont ensemble. Parait que c'est un record pour eux.
Je trouve qu'ils ne vont pas ensemble. Ils ont juste l'air de deux glands. Vraiment. Et ce n'est pas de la jalousie.
En parlant de jalousie, dans un mois le pari sera "fini". Et pour le moment on en est nulle part. Absolument nulle part. Ça m'énerve un peu.
Oui, je suis une joueuse.
Bref, tout ça c'est bien beau mais moi, où est-ce que j'en suis? C'est une bonne question. En fait, ça fait deux mois que je me tue au travail, deux mois que je bosse comme une acharnée alors que les cours ont à peine commencé. J'ai fini par reprendre un rythme scolaire correct, j'arrive à l'heure en classe, je suis attentive pendant les cours et j'étudie.
Tiens, au passage, maintenant que j'y pense, Reena et Nash se sont énormément rapprochés il parait, et on reste souvent ensemble. Avec Dylan et Carolyn en plus, généralement. C'est la bande habituelle et ça me plait, je suis bien avec eux, on rit beaucoup, je n'ai pas à faire semblant de quoi que ce soit, je peux m'exprimer librement et j'ai trouvé des gens parmi lesquels je me sens en confiance, ce qui est une chose rare pour moi.
J'ai recommencé à fumer, aussi, mais juste la clope. Pas le joint. Ça, je me le suis interdit. Momentanément en tout cas. J'avais arrêté la cigarette, même si bon, ça m'arrivait encore d'en griller une, occasionnellement seulement. Or là, j'ai repris vraiment: y a la clope matinale, la clope de midi, la clope de quatre heure, la clope du soir, et la clope d'avant d'aller dormir. Chaque jour, la routine. Chaque nuit, la routine.
Mes insomnies ont repris de la vigueur ces dernières semaines. Si je dors trois heure par nuit, c'est beaucoup. J'ai le visage totalement marqué par les cernes et j'ai souvent du mal à me concentrer ou bien je déconne de fatigue.
En ce moment même, je suis dans mon lit, les yeux perdus à fixer le plafond, les mains sur le ventre, la mâchoire serrée.
Il est exactement 4h32. Une nuit de plus sans vraiment dormir. Je ne m'en plains pas, j'ai l'habitude.
Je ne sais pas pourquoi mais je sens que cette journée va marquer un changement. Un changement monumental par rapport aux deux mois totalement plats qui viennent de passer.
7h30
Je suis habillée en noir, des Docs noires, un skinny noir, un sweat noir. Mes cheveux blonds sont lâchés et lissés, j'ai un trait d'eye-liner assez fin et du mascara. Classique, il y a des choses qui ne changent pas.
Derrière le bâtiment des amphithéâtres, je grille une clope. Ma deuxième aujourd'hui. Détail sans importance. J'ai le vague à l'âme et surtout du temps à tuer. Alors je fixe le ciel gris en attendant et en fumant. Comme chaque matin quoi.
Je suis tranquillement assise par terre quand mon téléphone vibre. Je le tire de ma poche et lâche un hoquet de surprise suivi d'un juron face au nom qui s'affiche sur mon fond d'écran verrouillé.
De: Irwin.
Je ferme les yeux. C'est une blague, forcément une blague. De mauvais goût mais une blague quand même.
Je regarde à nouveau et non. Son nom s'affiche bien clairement. Comme quoi, mon pressentiment nocturne va peut-être se justifier.
Je ne veux pas lire le message, même si je sais que dans trois minutes exactement, ma curiosité va l'emporter sur ma fierté et je vais regarder.
Un œil s'ouvre. Le deuxième suit. Je craque.
De: Irwin.
Bradley, j'aimerai qu'on parle. ...
L'étonnement se glisse sur mon visage et dans mes pensées. Parler? De quoi donc?
Je déverrouille mon cellulaire pour lire la suite du message.
De: Irwin à 7:33
Bradley, j'aimerai qu'on parle. ...
J'ai beaucoup réfléchis ces deux derniers mois, j'aimerai mettre une chose au clair.
Je me mords la lèvre, je serre les poings. Je ne veux pas le voir. Je ne veux pas lui parler. Rien de tout ça.
De: Moi à 7:37
Exprime toi par textes. J'veux pas t'voir.
Grossière erreur de ma part. Mon cellulaire vibre à nouveau. Je baisse les yeux, anxieuse.
De: Irwin.
Lève la tête.
Je ne réfléchis pas et lève la tête. Je vois un grand châtain approcher, la démarche traînante, le regard perdu, les mains dans les poches. Ashton. À nouveau, un texte.
De: Irwin.
Trop tard.
Je rage intérieurement. Je bouillonne même. Comment je fais toujours pour être aussi stupide?
Je le regarde à nouveau avancer d'un pas lent et assuré. Je le déteste. C'est officiel. Il arrive finalement face à moi. Je le fixe puis tourne la tête, les yeux rivés sur ma cigarette comme si c'était la huitième merveille du monde. Son regard me transperce, j'ai toujours cette impression qu'il lit en moi comme dans un livre ouvert, je fais tout pour le fuir.
~ Tu veux quoi? je lui crache quand il arrive à ma hauteur.
~ Des cookies.
Je lève la tête pour le regarder à nouveau et le foudroie du regard. Imbécile.
~ C'est bon, je déconne. Parler c'est tout.
~ Je déconne pas avec toi, je grogne. Et bah parle, maintenant que t'es là.
Je ne le regarde de nouveau plus et je fixe ses pieds. Il y a encore et toujours les mêmes Vans noires. Ses fameuses Vans noires. Je tire une taffe. Je n'ai pas envie d'entendre la suite, même si ma curiosité s'impatiente. Je fixe toujours ses chaussures.
~ Regarde moi.
Je me mords l'intérieur de la joue et recrache lentement la fumée. J'obéis, lève la tête et l'observe. Cet enfant m'énerve au plus haut point. Je remarque rapidement en le détaillant pour la première fois depuis deux mois que ses traits son tirés, son regard est vide et des cernes marquent le dessous de ses yeux. Ses cheveux ont poussés, et il a abandonné son fidèle head-band.
~ J'aimerai qu'on oublie tout ce qu'il s'est passé cette nuit là Bradley, il enchaîne bêtement.
Un rire froid m'échappe. Je regarde autour de lui, comme si un détail futile pouvait me sauver de cette situation. Mais rien, alors je reporte mon attention sur lui, la rage écrite sur mon visage. La colère que je ressens quand il me fait face me consume.
~ Mais Irwin, ça fait deux mois que ce qu'il s'est passé cette nuit n'existe plus. Deux mois que je ne sais plus qui tu es, même si je ne l'ai de toute façon jamais su. Deux mois que tu es un inconnu pour moi, et que ça me convient très bien. Deux mois et toi tu débarques maintenant comme une fleur? T'es en retard boy, je dis d'une voix glaciale.
Je me lève sans lui laisser le temps d'ajouter un mot et m'apprête à lui échapper. Mais sa voix me retient. Oh divinités, je déteste l'emprise qu'il a sur moi.
~ Alors c'est ça ton truc?
Je me stoppe. Et attend la suite.
~ Tu craches ton venin et puis tu fuis? Tu crois que partir c'est la solution? Attaquer puis courir loin de ce qui pourrait être source de problème? C'est petit Brooke. Tu vaux mieux que ça, non? il s'exclame d'une voix forte et puissante, à faire trembler le sang qui coule dans mes veines.
Je me retourne et le toise du regard un instant. Je le déteste tellement.
~ Qu'est-ce que tu en sais d'abord? Qu'est ce que tu sais de moi Irwin? Hein? Vas-y, dis moi, j'attends? A part être capable de me dire que je fuis pour une raison que tu ne connais même pas, tu ne sais rien, absolument rien de moi. Et c'est très bien comme ça.
Je ne bouge toujours pas, et je sens ma voix se durcir au fur et à mesure que je parle.
~ Alors maintenant lâche moi. Laisse moi vivre ma vie sans me saouler et vis la tienne tranquillement. On n'est rien l'un pour l'autre, et on n'a jamais rien été d'autre que ça, c'est clair? Juste deux inconnus. Donc c'est fini de t'acharner sur moi, tu ne gagneras pas à ce jeu là.
Il s'approche de moi et je ne bouge pas. Pour une fois, je suis plus ou moins prête à écouter ce qu'il a à me dire. Mais je le déteste toujours plus.
Puis, je ne vous explique pas mon étonnement et ma tête face à la suite.
Il lève son bras et positionne sa main devant moi, comme pour serrer la mienne. Je hausse un sourcil sans comprendre, surprise.
Mais ce qui suit, le pire, c'est ce qu'il dit.
~ Je m'appelle Ashton Irwin. Et toi? il déclare en souriant.
Je fixe sa main et hausse les sourcils. J'hésite un instant. Pas longtemps.
À nouveau, un rire m'échappe. Plus froid encore, plus distant, plus négatif. Les sourcils du châtain se froncent.
Je ne prends même pas la peine de répondre et tourne les talons en levant les yeux au ciel. Je le laisse en plan et ne me retourne pas. Surtout pas, je ne prend pas le risque de changer d'avis. J'enfile mes écouteurs pour être sûre de ne pas l'entendre me rappeler, car je sais que s'il le fait, il y a trop de chances que je fasse ce qu'il me dit, comme chaque fois, alors je file en cours le plus vite possible.
Non mais vraiment quoi, la blague. Repartir à zéro? Et puis quoi encore? On l'a déjà tenté une fois, même si on sait tous que ça n'avait aucune sincérité, et on a bien vu le résultat.
Aller vivre à Los Angeles et gagner un million du jour au lendemain aussi? Non. C'est tentant, mais non. C'est juste n'importe quoi. C'est hors de question. Ce n'est même pas envisageable. Ce n'est pas aussi facile la vie, on ne peut pas tout effacer comme ça, encore moins ce qu'il s'est passé entre lui et moi. Ce n'est pas une poignée de main, un sourire et une accolade qui vont me faire oublier.
En classe, le prof de philosophie arrive. Oh divinités, je déteste la philo. J'aime tous mes autres cours, je les trouve cool et souvent intéressant, mais philo ça craint. Le cours va commencer et la porte s'ouvre à la volée. Évidemment, je sais qui est celui qui vient seulement d'arriver, le seul à arriver volontairement en retard à tout les cours.
Il veut un nouveau départ? Parfait. Il va l'avoir. Mais ce sera loin d'être celui qu'il espérait. Très loin même. À l'opposé de ses espérances. Il prend place juste devant moi et me glisse un regard noir en passant. Je souris.
Le jeu reprend.