Victor était déjà réveillé depuis quelques heures quand les deux autres hommes le rejoignirent dans la petite cuisine de Tristan.
Le barman avait convaincu son ami de leur laisser son appartement pour la nuit, ne sachant pas encore combien de temps il en aurait besoin, mais il avait bien fait.
Après de longues minutes de réconfort, l'assistant avait fini par s'assoupir, emporté par la fatigue et assommé par le trop plein d'émotion qui avait rythmé sa journée. Victor l'avait porté jusqu'à la chambre de Tristan, suivi par Thomas. Après une hésitation, il avait laissé la chambre d'ami au jeune aristocrate et s'était dirigé vers les fauteuils du salon. Aucun d'entre eux n'étaient d'humeur à faire quoi que ce soit et ça lui paraissait plus correct de ne pas engendrer de nouvelles difficultés entre eux.
Il n'avait de toute façon pas sommeil et avait passé une bonne partie de la nuit à ressasser l'histoire de Florian. Il s'en voulait tellement de ne pas avoir été capable de repérer les besoins de l'assistant qu'il n'arrivait plus à ressentir de colère pour lui.
Thomas et Florian s'installèrent autour de la table de la cuisine dans un silence inconfortable. Maintenant qu'il n'y avait plus de secrets entre eux, il régnait une atmosphère bizarre où aucun d'entre eux n'osait faire le premier pas. Toutes les tensions ne s'étaient pas évaporées même si Florian paraissait plus serein et Thomas moins triste.
-Ce n'est pas chez moi mais... Vous voulez un café ? Finit par demander Thomas en grattant nerveusement sa tignasse ébouriffée.
Ses deux compagnons hochèrent la tête de concert et le jeune homme s'empressa de le leur préparer. Ils finirent tous les trois par se détendre et échanger quelques banalités. Victor dût intervenir pour éviter que Thomas ne fasse brûler quelque chose dans la cuisine de leur ami commun et l'engueula copieusement sur sa maladresse de bourgeois, ce qui fit rire Florian.
Victor sourit légèrement. Le calme dans lequel ils étaient plongés à l'instant ne présageait peut-être que de la tempête à venir mais il était reposant et appréciable. Ils burent leur café en discutant plus sereinement. Ils ne firent pas tout de suite mention des aveux de Florian, préférant lui raconter ce qu'il s'était passé pour le barman et le jeune aristocrate au cour des dernières semaines. L'assistant les écouta attentivement avec un certain intérêt à la mention de leur rapprochement. Victor et Thomas faisaient comme si c'était un non événement, une simple anecdote, mais Florian n'aurait pu ignorer les regards qu'ils s'échangeaient et qui prouvait leur affection mutuelle.
-Et j'ai décidé de quitter le manoir Goldberg... finit par déclarer Thomas, provoquant la surprise de ses deux compagnons. J'ai déjà prévenu Solange. Je ne comptais pas rester sous le toit de cette ordure alors en sachant ce qu'il t'a fait Florian... Je ne pourrais pas supporter de le côtoyer. Je ne veux pas y retourner.
Florian hocha la tête et posa doucement sa main sur la sienne.
-C'est une bonne décision Thomas... Tu seras à l'abri, et Solange aussi.
-Tu viendras avec nous, le coupa Thomas. Hors de question que tu continues de travailler pour lui. On partira tous les trois.
Victor qui était resté silencieux jusque là acquiesça et prit la parole.
-Je pourrais vous trouver quelque chose... Ça ne sera pas du grand luxe mais ça vous laissera le temps de retomber sur vos pattes...
-Tu pourrais nous héberger chez toi aussi... C'est presque assez grand pour nous tous dans ta garçonnière... Enfin il faudra se serrer dans le lit. Et pas touche à ma sœur ! Tenta de plaisanter Thomas.
Il était nerveux et jetait de fréquents coups d'œil à l'assistant. Victor ne pouvais pas s'en empêcher non plus. Ils n'étaient pas sûr que Florian se range de leur côté et accepte de se battre pour sortir de l'emprise du ministre. Il le fallait, mais ils n'étaient pas sûr qu'il en ait la force. A leur grand soulagement, l'assistant finit par soupirer et hocher la tête.
-Nous enfuir ne suffira pas. Il ne nous laisserait pas faire. Il s'arrangerait pour nous le faire payer, d'une façon ou d'une autre.
Victor se gratta la barbe en grimaçant. L'autre homme avait raison.
-Alors qu'est ce que tu proposes ? Comment est-ce qu'on échappe à ce connard ?
Florian pianota nerveusement sur la table avant de se lever de sa chaise pour faire quelques pas. Il avait cette froide résolution dans les yeux que ni Victor ni Thomas ne lui avaient encore vu.
-On ne lui échappe pas. On va le mettre hors d'état de nuire. Définitivement.
Sa déclaration provoqua un silence assourdissant. Thomas le brisa d'une voix hésitante.
-Quoi, tu veux dire... Le tuer ?
Florian sortit de ses pensées et se retourna vers eux avec un petit rire nerveux.
-Non... Bien sûr que non. Mais je ne vous ai pas tout dis hier soir. Il y a... Certains documents... Certaines preuves que Johann conserve dans son bureau au manoir. Une sorte d'assurance pour être sûr qu'il ne tombe pas tout seul si jamais je décidais de le trahir. Des preuves assez sérieuses pour le destituer de ses fonctions.
-Ce qui annulerait son projet de lois ridicules...Souffla Thomas en souriant.
-Et qui lui retirerait son poste de premier ministre, compléta Victor.
Florian hocha la tête tristement en jetant un regard par la fenêtre.
-Mais... Reprit le barman d'un air incertain. Ces documents... Ils t'incriminent autant que lui non ? Et c'est un Goldberg... Ça pourrait se retourner contre toi...
-C'est un risque à prendre. Johann a plusieurs ennemis au ministère. Si nous nous assurons de remettre ces documents aux bonnes personnes... Répondit Florian en croisant les bras.
-Et tu ne seras pas seul. Je pourrais appuyer tes propos. Je suis sûr que Solange pourra aussi se ranger de notre côté. On ne te laissera pas tout seul pour affronter ça Florian, même si je dois me ruiner en frais d'avocat et jeter l'opprobre sur toute ma famille, s'exclama le plus jeune.
Sa déclaration fit rougir Florian alors que le ton grandiloquent qu'il avait employé provoque un excès d'hilarité chez Victor.
-Seigneur Thomas, est ce que la prochaine étape c'est fuir à l'étranger pour le demander en mariage ?
Thomas se renfrogna et lui jeta un regard assassin pour lui répondre d'un ton acerbe :
-Excuse moi de montrer un peu de dévouement à notre cause. Ne t'inquiète pas, tu pourras servir la nourriture à notre réception.
-Même si tu pouvais l'épouser, il faudrait encore que Florian puisse vouloir te supporter à longueur de journée...Répondit le barman avec un rictus.
-Moi au moins je lui apporterais autre chose que des grognements et des râleries!
Florian toussa pour les interrompre avec un petit sourire amusé.
-Est-ce qu'on peut surpasser ces querelles de vieux couples et revenir à notre sujet principal ? Non pas que je n'éprouve pas un certain plaisir à être témoin de la tension sexuelle entre vous, mais...
Il s'interrompit sous les indignations du barman et de l'aristocrate dont les visages avaient gagné quelques teintes de rouges, signe qu'il n'était pas si éloigné de la réalité. Victor se passa la main dans sa barbe d'un air gêné et jeta un regard désolé à l'assistant qui lui sourit affectueusement. Il ne leur en voulait pas, bien au contraire. Il était plutôt réconforté devoir les deux hommes qu'il aimait tant s'apprécier.
-Alors ces ... Ces preuves, finit par marmonner Thomas. Elles sont au manoir ?
-Oui, répondit Florian en reprenant tout son sérieux habituel. Dans le coffre du bureau. Je connais le code par cœur. Johann a une réunion jusque tard ce soir. Je passerais par le manoir pour récupérer les documents en son absence.
-Je vais prévenir Solange. Une fois les documents récupérés, on aura tout intérêt à déguerpir le plus vite possible pour les mettre en sécurité, avant de trouver à qui les confier, soupira Thomas en réfléchissant. Ça pourrait marcher. Florian... Tu es fantastique !
Thomas se leva rapidement pour rejoindre l'assistant et l'embrasser dans un smack sonore. Florian rougit en jetant un regard à Victor, appréhendant sa réaction. Le barman se contenta d'un sourire moqueur. Thomas s'écarta de l'assistant et regarda à son tour Victor, une lueur narquoise dans le regard.
-Ne me regarde pas comme ça Thomas, lâcha Victor avec un air faussement innocent, ou je raconte à Florian ô combien tu apprécies certaines choses d'ordre... intimes, et que tu ne lui a sûrement pas encore dévoilé.
Thomas s'empourpra et se rassit sous le regard curieux et amusé de Florian.
-C'est bon... on peut mettre en place les derniers détails au lieu de raconter des trucs salaces ?marmonna le jeune homme.
Le jeune homme ne garda pas longtemps son faux air contrit en voyant le regard de complicité que se jetaient le barman et l'assistant. Il sourit bêtement en songeant qu'il avait de la chance de les avoir rencontré tous les deux. Quand tout serait fini, Dieu seul savait comment tout cela évoluerait. L'avenir était voilé d'incertitudes, mais il était prêt à se battre pour le rendre moins sombre qu'il ne s'annonçait.