BUT I DON'T NEED TO FIGHT WHEN I'M WITH YOU (YOU'RE THE REASON I FEEL BEAUTIFUL)

Les étincelles du feu dansaient devant ses yeux noisette, englouti dans sa veste épaisse alors que le col remontait sous son nez. Il sentait le parfum citronné qui avait été aspergé quelques heures plutôt et les légers restes de lessive et de détergent que Jungkook aimait tant utiliser dans les lessives. Ses paupières étaient alourdies par l'alcool ambré qui tournait encore dans le fond de son verre, les paroles douces et aléatoires des garçons agissant comme une berceuse alors qu'il se perdait dans ce cadre, la nuit sombre au dessus de sa tête, les clapotis réguliers de l'eau à quelques mètres seulement d'eux. Il entendait les arbres secouer au rythme du vent frais, les craquements de la maison flottante, le vrombissement des insectes avares qui volaient au-dessus de leur tête. Ils ne les voyaient plus réellement, l'alcool lourd dans leur sang et les restes d'un repas copieux posé tendrement dans le creux de leur estomac. La nuit tournait, la lune, peu timide et bienheureuse, s'offrait grandement aux mirettes curieuses et un peu rêveuses. C'était un sentiment de paix et de plénitude tel qu'il ne voyait même plus les caméras autour de lui, les membres de l'équipe technique qui dansaient constamment autour d'eux, de grosses caméras dans les bras, des masques hauts sur le nez.

Ici, il avait l'impression d'être à l'abri de tout. Il ne ne sentait plus le stress constant, la peur de l'étranger, de lui-même et de la nature qui semblait se refermer sur eux depuis des mois. Ici, il n'avait pas peur de voir ses proches contaminés, il n'avait pas à s'inquiéter des informations qui passaient à la télévision le soir dans des bilans traumatisants. Il n'avait pas non plus à s'inquiéter de la vie qu'il passait cloîtré entre quatre murs, incapable de sortir dans d'autres pays lointains. Ici, il ne s'inquiétait de rien. Il oubliait même qu'un jour, il avait été en mesure de sortir et de donner des concerts. Là, l'alcool haut dans son sang et le regard endormi de ses meilleurs amis, il ne s'inquiétait pas depuis si longtemps et c'était tellement rafraichissant, nouveau. Il n'avait besoin de se concentrer sur rien et pouvait juste se consacrer entièrement à ce qui le rendait heureux. La simple idée fit naître un sourire timide et à la fois euphorique sur ses lèvres pleines et rougies par le froid qui dansait autour de son corps et qu'il ne ressentait pourtant pas.

La nuit était avancée, joyeuse dans le temps qui passait autour d'eux et il regardait avec des prunelles lourdes et amusées le visage de Taehyung qui sombrait de plus en plus dans le sommeil. Les cadavres de bouteilles roulaient, vides et la tête à l'envers, sur la table basse installée auprès du foyer qui crépitait dans leurs oreilles. Namjoon, Seokjin et Hoseok étaient déjà partis à l'intérieur pour tourner la journée et la remettre au lendemain. Il écoutait, distrait, les murmures presque philosophiques et les anecdotes toujours intéressantes que Yoongi aimait raconter sur les dernières connaissances apprises durant les cours en ligne qu'il suivait, des paroles dans le vide que tout le monde entendait et que pourtant aucun d'entre eux n'écoutait réellement. C'était toujours comme ça, ils parlaient, seuls, écoutés ou non et leur dynamique fonctionnait parfaitement comme ça. Et quand Jimin regardait leur vie dans sa globalité, il se disait qu'il y avait pire. Après tout, il avait  la joie, la santé, une famille encore debout, des amis en or, un petit-ami. Avant même que la pensée ne monte à son esprit, il se surprit à avoir ses yeux sombres posés sur la figure affalée du brun en face de lui, ses yeux encore grands ouverts, si ce n'était à peine embués par l'alcool, la lumière de son téléphone se reflétant sur le bas de son visage harmonieux, dans ses yeux noisettes brillants. Il se perdit quelques secondes seulement dans sa contemplation silencieuse, avant de se sursauter presque en voyant les deux prunelles remonter d'un coup sur lui.

Les yeux de Jungkook avaient une tendresse et une douceur toute particulière qui lui était constamment réservée, une sorte de fragilité que peu avaient l'occasion de voir. Parfois, Jimin aimait à se dire que ce regard n'était réservé qu'à lui, seulement à lui, car ils étaient là l'un pour l'autre, car ils s'aimaient. Car le châtain était une sorte de repère dans la vie de l'autre, un ancrage au réel et en même temps aux fantasmes, une sorte d'échappatoire peut-être. Il n'en savait trop rien, il ne voulait pas non plus percer à jour toutes les pensées précieuses que l'autre protégeait dans son cœur. Et dans l'absolu, il n'en avait pas besoin. Il savait déjà ce qu'il avait à savoir. Il savait qu'il y avait quelque chose d'unique. Malgré les difficultés que pouvait représenter leur relation, malgré le regard des autres et l'absence de reconnaissance, malgré la peur parfois, Jimin ne voulait rien d'autre. N'avait besoin de rien d'autre. Il était là, en plein été, dans un lieu protégé de tout, dans une bulle de sécurité, où il savait que le moindre faux pas filmé par les caméras serait de toute façon coupé au montage final. Ce n'était pas encore le même sentiment de sécurité qu'il avait dans son appartement avec Jungkook, sa vraie sphère privée, inconnue de tous, mais ça s'en rapprochait. Et il savait qu'il n'avait pas le droit de se plaindre. Ce qu'il avait maintenant, il ne l'échangerait pour rien au monde.