Chapitre 10

89 9 7
                                    

Dans les abysses une frêle silhouette familière se tenait debout, immobile.

« Enc-core toi... ? »

L'incertitude qui se lisait dans la voix d'Akame n'était pas inhabituelle et pourtant, une pointe de curiosité mal dissimulée se mêlait à ses mots. Cela faisait un moment qu'elle n'avait pas rêvé d'elle. Était-ce le départ de Kaneki qui l'avait fait revenir ? S'était-elle donc sentie abandonnée au pont que l'enfant en elle avait décidé de refaire surface ? Peu importait, toujours était-il qu'elle se trouvait là, devant elle du même air négligé que la dernière fois. Cette représentation d'elle-même était bien dégradante. Était-ce réellement de cette manière qu'elle se percevait ?

Alors qu'elle s'interrogeait à son sujet, la brune se rapprocha de l'objet de son attention. Mais lorsqu'elle n'était plus qu'à quelques pas, la petite fit volte face avant de s'en aller. Loin dans les ténèbres, une porte venait de se dessiner au milieu du néant. Ainsi, elle semblait avoir décidé de partir en poussant le battant tandis que son aînée, elle, se retrouvait contrainte à la suivre.

Lorsqu'enfin la cadette baissa la poignée, une vive lumière blanche s'échappa aussitôt de l'ouverture. Éblouie, la brune eut beau tenter, elle ne réussit guère à maintenir ses yeux d'eau ouverts. Puis, lorsqu'enfin elle laissa ses paupières à nouveau s'ouvrir au monde, elle découvrit avec stupeur un tout autre lieu. L'univers abyssal qui l'accueillait à chaque fois qu'elle venait à la rencontre de l'enfant n'était plus. À sa place, une vaste salle jonchée de jeux et de joie. Une pièce à l'atmosphère légère et aux voix résonnant au loin, comme un écho de bonheur.

Au centre, des ombres calmes et tendres assises sur le carrelage, immobiles, mises sur pause. Une femme, aux rondeurs évidentes et aux cheveux d'un blond vénitien. Derrière une paire de lunettes de soleil, son regard parcourait les pages d'un livre pour enfant ; "Les Aventures de Petit Ours." Blottis entre ses jambes, un petit garçon, attentif au récit, découvrait les images qu'on lui présentait d'un air apathique. Ses iris rouges et ses cheveux blancs sans coiffure, parurent de suite bien connus. Était-ce Juzo que son inconscient tentait de se représenter ainsi ? Petit et fragile, recroquevillé contre celle qui semblait être sa mère. Qu'est-ce que son cerveau essayait de lui dire ? Comment devait-elle interpréter ce rêve et ces étranges métaphores ?

Soudainement, les étranges statues s'amusèrent à changer de position. Comme une illustration, le mouvement en fut décomposé et les regards passèrent sans transitions du livre d'images à une fillette allongée non loin. Pour accompagner cette évolution, des mots de mirent à résonner.

« Est-ce que tu écoutes bien ma Juni ? demanda la femme à lunette. J'ai hâte de voir le joli dessin que tu auras fait de cette histoire là ! »

Sur le ventre, posée sur les coudes, la petite artiste entourée de crayons d'une multitude de couleurs, laissait aller sa mine sur le papier. Griffonnant, elle paraissait bien concentrée cachée derrière ses longues boucles noires désorganisées. Ces dernières ne permettaient pas encore de percevoir ni son visage, ni son œuvre dans son entièreté. Mais n'était-ce pas la tête de l'ourson bleu, dont le récit était justement conté, que l'on apercevait entre deux mèches ?

« Tu as du talent, c'est indéniable ! affirma la femme non sans fierté. »

Aussitôt, le visage de la concernée se releva en direction de son aînée, laissant enfin sa feuille à découvert. Cependant, au lieu de retrouver un petit ours se baladant dans une forêt enchantée, l'horreur se présenta au jour. L'animal, dont la tête avait été aperçue à travers les cheveux de jais de sa dessinatrice, se retrouvait à présent décapité, une explosion de couleurs échappant de sa nuque dans un style macabrement enfantin. Une mise en scène où le corps, comme une bouteille laissant échapper son contenant, paraissait se vider de ses organes sans censure. Akame eut un haut-le-cœur. Cette enfant était totalement dérangée.

Le XII Borgne [Tokyo Ghoul]Where stories live. Discover now