Prologue

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« Je pense que du plus loin que remontent mes souvenirs, je me suis toujours laissée emporter par mon imagination. À construire un univers entier à partir d'un rien et à m'y perdre sans compter les heures. À rêver d'un monde qui m'était inconnu, parfait et merveilleux.

Mais à cette époque là, cette période où la lumière du jour n'était synonyme que de fantasme, je voulais simplement savoir. Savoir si derrière les quatre murs qui m'avaient toujours protégés, l'univers était aussi vaste que ce que l'on m'avait raconté. Si le soleil pouvait réellement brûler la peau et le vent fouetter le visage. Connaître le ciel et les nuages. Courir jusqu'à l'horizon. Trouver le pied d'un arc-en-ciel et y dénicher un trésor. Contempler un paysage semblable à ceux que je découvrais et redécouvrais dans les livres qu'on me lisait.

Cette Terre que je rêvais tous les jours les yeux perdus dans le vide, est bien différente de celle que je connais aujourd'hui. Le soleil brûle bien la peau en été, le vent fouette les visages parfois et l'horizon est bien plus vaste que tout ce que mon esprit aurait pu imaginer. Oui, mais il n'y a pas de trésors au pied des arcs-en-ciel et surtout, la vie que l'on y mène n'est pas le long fleuve tranquille que je me figurais. C'était une désillusion. Et pourtant, je suis bien heureuse de lui avoir permis de voir ce monde qui emplissait ses rêveries avant de partir.

Lorsque j'étais petite et que mes pensées s'enfuyaient de la sorte, je ne faisais rien d'autre que d'écouter le silence, profitant du calme, me délectant du néant. Je me souviens que j'appréciais ces instants suspendus dans le temps. Ces heures qui, je le savais, seraient brisées dès le retour de mon voisin et de notre chère éleveuse.

Maman n'était pas quelqu'un de bien discret. Il était certain que lorsqu'elle était dans les parages, le calme se glissait hors de sa portée. Et si elle avait eu un jour connaissance de mes songes, sans nul doute qu'elle les aurait qualifiés de curiosités mal placées. Elle aurait rapidement fait sortir ces idées saugrenues de mon esprit et ce,  de la manière qu'elle trouvait être la plus efficace. Si vous vous le demandez, oui, son passage laissait souvent des cicatrices. Beaucoup de cicatrices.

Mais je l'aimais. Sincèrement. Elle faisait partie de ce monde qui me trottait sans cesse en tête, et jamais je n'aurais envisagé quitter un jour ma cellule sans qu'elle ne soit à mes côtés.

Seulement, je me rappelle très bien de ce jour où l'on m'a arraché à mon monde pour m'expulser de force dans celui que j'avais toujours imaginé. Ou l'on m'a arraché à cet univers, qui malgré mes rêveries, était à mes yeux la seule et unique vie que je voulais posséder. Du soir où, la veille de mon départ, Maman m'a envoyé à l'abattoir.

''Ma jolie Juni !'' m'a-t-elle interpellée en entrant dans ma cage avec son habituel air de contentement. ''As-tu été aussi sage que Juzo aujourd'hui ?''

À la suite de ses paroles, j'ai probablement opiné avec conviction. De toute façon, c'est ce que je faisais à chaque fois. Cependant  je me remémore parfaitement son visage lorsqu'elle s'est plainte de ma façon de l'accueillir. Restée dans mon coin, je ne m'étais pas levé pour lui faire face. Même avec toute la volonté du monde, je n'aurais jamais pu me dresser sur mes jambes avec fierté, comme elle l'aurait souhaité. Mon genou ne me l'aurait jamais permis. Mon articulation ne fonctionnait plus. Je sens encore son regard à travers les verres opaques qui le recouvraient. Ses yeux invisibles qui me faisaient me sentir si pitoyable.

''Je suis vraiment déçue.'' a-t-elle alors lancé dans un soupir qui en disait bien plus. ''Je te pensais plus résistante. Les humains sont de plus en plus fragiles. Au moindre choc, CRAC, ils se brisent ! ''

Je me souviens de mon désir de me faire pardonner face à ma faute. Cette unique faute qui avait été de ne pas être indestructible. De ne pas être le jouet qui ne céderait pas sous ses coups. Ce chagrin, devant la déception évidente de celle qui représentait à elle seule le pilier de mon monde, était capable de me faire faire n'importe quoi, de me faire payer n'importe quel prix.

Le XII Borgne [Tokyo Ghoul]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant