Retour sur Terre /2

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De longues frappes contre la porte du bureau mettent fin au discours de Navinn. Satisfait par son explication, le garçon lève la tête et fait signe au soldat resté en arrière d'aller ouvrir.

Kia tremble encore, elle ne sait pas comment prendre tout ce qu'elle vient d'entendre. À présent, elle sait que son entreprise est vaine. Elle n'a pas à rester plus longtemps. Pourtant, quelque chose en elle n'a pas envie de partir. Un petit bout de compassion peut-être, enfouie quelque part dans son cœur, qui n'arrive pas à abandonner Navinn.

Elle ne pourra sans doute pas le faire changer d'avis, tout comme les Briseurs ne pourront sans doute pas trouver leur remède. Elle devrait s'y faire et passer à autre chose. Sauf que Kia n'est pas encline à abandonner.

La jeune fille veut garder espoir, c'est ce qu'elle se répète. Mais il y a encore autre chose de caché derrière cette excuse. Une faiblesse qu'elle traîne depuis des années et qui l'handicape profondément depuis l'Attentat : elle ne peut pas abandonner Navinn parce qu'elle l'aime. Parce que le garçon a beau garder la tête haute, son discours résonne de non-dits douloureux qu'il doit porter sur ses frêles épaules et qui expliquent un peu mieux sa manière de penser.

— Kia ? Tu veux bien me comprendre, toi, pas vrai ? s'inquiète le garçon. Tu viens m'aider ?

Sans attendre de réponse, il se tourne vers le nouvel arrivé.

La jeune fille avale bruyamment sa salive. Navinn n'est aimé de personne, Navinn est seul, Navinn souffre. Alors une part d'elle lui murmure que peu importe qu'il ait choisi de jouer ce rôle, peu importe qu'il ne compte pas revoir ses positions. Peu importe encore qu'il soit un dictateur, qu'il soit détestable, qu'il tue des gens ou qu'il veuille annihiler plus de la moitié du globe. Navinn fait tout ça pour la cause qu'il estime juste, il ne devrait pas avoir à souffrir autant. Et puis Navinn est son petit frère. Pour tout cela, une part de Kia est prête à accéder à sa demande. Ne dit-on pas qu'il faut garder ses ennemis proches de soi ? Si jamais cela dégénère, Kia serait dans la meilleure position pour le stopper en restant.

S'il le faut, elle lui apprendra à sauver le monde. Elle sera là comme avant, elle l'aidera. Rester à ses côtés, c'est finalement leur plus grande chance d'avoir une happy-ending.

Mais le problème, c'est que cet élan d'affection est dangereux. Kia en a conscience. Elle ne sait pas tout de Navinn, elle commence même à peine à le découvrir tel qu'il est vraiment. Elle ne connaît donc pas les limites, les interdits. À trop vouloir jouer avec le feu, elle risque de sérieusement se brûler. Et puis elle ne doit pas oublier que tant qu'il ne change pas d'avis, il est son ennemi. Si être avec lui signifie accepter de tuer des gens sans raison et agir pour sa victoire, Kia ne pourra pas le supporter.

Alors que doit-elle faire ?

Invité à entrer, Fremont traverse la salle pour venir se pencher à l'oreille du dictateur. Navinn fronce les sourcils au cours de son rapport, ce qui semble être bon signe pour Kia.

— Il semblerait que tes amis aient réussi à s'accorder un sursis... déclare finalement le jeune dictateur avec un sourire en coin, comme amusé par la tournure que prennent les événements.

Kia se prend à imaginer le visage victorieux de Solal et un sourire amoureux se dessine sur ses lèvres. D'un coup, rester avec Navinn devient un possibilité qui ne tient plus la route. Elle est avec les Briseurs !

— Tu veux fêter ça avec eux, pas vrai ? s'enquit son interlocuteur, comme s'il lisait dans ses pensées.

La jeune fille hoche la tête par l'affirmative. Qu'elle ne se trompe pas, c'est bien son ennemi qui est assis devant elle. Ses méthodes sont trop mauvaises pour l'aider. Kia veut sauver chaque vie humaine sur cette planète, alors elle se battra contre lui.

Navinn arrive à lire sa résolution dans son regard, aussi capitule-t-il.

— Laissez-la partir, ordonne-t-il au soldat près de la porte qui s'empresse de transmettre l'information. Reviens quand tu veux, Kia, poursuit-il plus gentiment à l'adresse de la jeune fille. J'aime bien discuter avec toi.

Puis il se lève de son fauteuil, marquant l'air de rien la fin de l'entretien. Kia pose les mains sur le canapé, s'apprêtant à se lever elle aussi. Mais le mouvement dédaigneux qu'il esquisse vers son arme la retient. Le garçon prend son pistolet et vise dans sa direction, elle s'immobilise. Il tire, ce ne semble n'être qu'une formalité pour lui. Un râle est étouffé derrière Kia. Elle ferme les yeux, elle n'a pas besoin de regarder pour comprendre que c'est le pauvre garde qui vient de perdre la vie.

Des frissons dans le dos, elle lève la tête pour dévisager une dernière fois Navinn. Ses yeux prennent un éclat malicieux quand il croise son regard. Kia comprend que la parenthèse est close, et que personne d'autre d'elle ne sera mis au courant de ce qu'il vient de lui confier.

La jeune fille trouve ses méthodes répugnantes, inhumaines, mais elle ne peut s'empêcher de comprendre ses actes sur certains points. Il a raison, même Solal le sait. Un chef ne peut pas se permettre d'être faible, surtout quand il a plus de dix ans de moins que ses soldats. Au moins, s'il est bien beaucoup de choses, Navinn est loin d'être faible.

— Au revoir, lui dit-elle finalement. À la prochaine, Navinn.

Puis elle s'éclipse, repartant avec Ombre par le même chemin qu'à l'aller, tout en contournant du mieux possible les deux corps restés à terre dans le bureau.

Un au revoir, pas un adieu. Parce qu'après sa visite, Kia est plus attachée que jamais au garçon. Même si elle n'intègrera jamais son camp, elle compte bien revenir le voir le plus rapidement possible.

Coeur de pierreWhere stories live. Discover now