Abandon /1

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On part sur une partie tranquille encore aujourd'hui. Ça fait du bien après tout ce qu'il s'est passé. Mais profitez-en, ça risque de pas durer 😅.

☽☼☾

— Son état s'est stabilisé, mais le traitement est épuisant. Faites attention à ne pas trop le brusquer.

L'infirmière lui fait passer les salles sans s'arrêter.

— Votre visite est soudaine, nous ne l'avons pas prévenu. Il est donc bien possible qu'il dorme, auquel cas vous devriez repartir. Même s'il est apte à vous recevoir, soyez très prudente. Évitez de trop l'approcher, bien qu'en tant qu'immunisée vous ne craignez pas grand-chose de sa part. Il ne faudrait par contre pas que vous le contaminiez d'une autre maladie.

Glaëlle n'écoute qu'à moitié les paroles de la jeune femme. Elle regarde le sol en ramenant ses cheveux roux en arrière, traversant innombrables portes et salles aseptisées sans chercher à les compter.

La guerrière suit sa guide entre les lits des malades. En légère combinaison grise, tête à l'air, elle est comme nue comparée aux soignants en combinaison intégrale.
Un autre jour, cette différence l'aurait embarrassée. Maintenant, elle s'en fiche tout à fait.

— C'est là, annonce enfin l'infirmière en se faufilant sous le rideau d'un énième boxe.

Elle avise les occupants avant de laisser entrer Glaëlle. La rouquine s'avance sous la toile, bras tendus et regard prudent. Les quatre occupants du box sont bien réveillés, ils sont même en train de jouer aux cartes. La jeune fille fronce les sourcils, on lui avait annoncé un état plus préoccupant.

Les infectés ne sont pas triés par degré d'avancement dans leur maladie. Les nouveaux arrivants sont mis là où il y a de la place, sans prendre en considération la gravité de leur état. Cohabitent donc dans le même boxe un homme d'une quarantaine d'année, à la barbiche et aux cheveux touffus qui présente toute une jambe statufiée, et une jeune femme à la moitié du visage paralysé et au cou entièrement atteint, équipée d'une large installation pour continuer à respirer. Il y a aussi une fillette d'au maximum dix ans, avec un bras contaminé maintenu en écharpe. Et puis il y a ce jeune homme roux, adossé à trois coussins pour l'aider à rester droit malgré tout son flanc contaminé.

Leurs handicapes respectifs sont importants, ils n'ont plus beaucoup d'espoir de survie. Mais ça ne les empêchent ni de parler, ni de sourire —même pour la femme qui a une commissure paralysée. L'ambiance agréable qui règne parmi eux parvient à réconforter Glaëlle, sans qu'elle ne s'en rende compte.

De profil, Vrane finit par tourner la tête vers elle, curieux de voir sur quoi convergent tous les regards de ses colocataires. Glaëlle a le temps d'apercevoir un sourire serein sur son visage avant qu'il ne se métamorphose en expression de surprise.

— Yo, s'annonce-t-elle en levant sa main pour les saluer.

Ils ne lui répondent pas, tous trop intimidés. Vrane la dévisage de bas en haut, à la fois étonné et inquiet. Il doit être informé de mon immunité, songe la jeune fille. Il ne fait pas de remarque dans ce sens. Ou alors a-t-il perdu la parole ? parce qu'il ne fait pas de remarque du tout.

— Glaëlle ? appelle-t-il finalement.

C'est bon, il parle toujours.

La jeune fille le regarde dans les yeux. Elle s'arrange pour ne pas dévisager les plaques de pierre sur son flanc, même si elles sont inévitablement visibles. Elle sait qu'il n'aime pas ça.
Elle remarque que sa voix a faibli, que ses traits sont tirés. Vrane est fatigué. Mais peu lui importe, il est toujours là et c'est tout ce qu'elle demande. Alors elle lui fait un grand sourire, sans même avoir besoin de se forcer.

— Ça boom, frérot ?

Le visage du jeune homme s'éclaircit d'un coup. Rassurée, sa sœur s'avance jusqu'à lui pour le prendre délicatement dans ses bras.

Vrane esquisse un mouvement de recul. Durant les quelques mois qui viennent de passer, il ne l'a jamais laissée approcher à moins de quelques mètres. Les réflexes ont la vie dure. Mais quand elle passe ses bras autour de lui pour l'attirer contre elle, il se laisse tout de même faire.

La jeune fille frotte sa joue contre celle de son jumeau. Leurs tâches de rousseur se confondent, leurs cheveux roux se mélangent. Ils retournent un an auparavant, dans le calme et la tranquillité de leur adolescence. Pour la première fois, Glaëlle savoure pleinement son immunité. Elle lui sert à pouvoir enlacer son frère à nouveau, alors c'est la meilleure des choses qui lui ait été donnée.

— C'est elle, Glaëlle ? intervient la fillette en s'approchant de l'inconnue.

C'est la seule à être encore en mesure de marcher. La rouquine se dégage des bras de son frère pour s'asseoir à côté de lui, sur son lit, puis dévisage gentiment l'enfant. Elle lui sourit, appréciant le fait que cette petite bouille connaisse son prénom. Cela veut dire que Vrane leur a parlé d'elle pendant son absence, et cela la touche beaucoup.

— C'est ça, confirme ce dernier en soupirant.

— Tu avais raison, vous vous ressemblez beaucoup, constate bienveillamment l'autre femme.

Sa voix résonne étrangement à travers les machines, elle n'a plus grand chose d'humaine. Mais les mots et l'intonation restent les mêmes et c'est très agréable. Glaëlle est reconnaissante de la voir parler, même dans cet état. C'est une belle preuve de vie.

— Ça pour sûr ! confirme le dernier occupant du boxe en louchant sur l'invitée.

Nullement offensée par son regard intrusif —plutôt amusée à vrai dire— la rouquine lui fait un grand sourire. Quand il le lui renvoie, elle sent une douce chaleur se répandre dans sa poitrine.

La gorge de la joue fille se noue. La vie est une chose précieuse, elle ne doit pas être sacrifiée. Les Briseurs et l'armée, pourquoi se battent-ils entre eux au lieu d'essayer de sauver des vies ? s'attriste-t-elle. Il suffit de côtoyer la mort pour se rendre compte qu'elle doit être évitée à tout prix.

Le monde est un curieux paradoxe. On tue pour rien et on laisse mourir des innocents. Ces malades l'ont pourtant compris : ce n'est que pour vivre qu'il faut se battre.

La rouquine trouve leurs sourires magnifiques.

— Je vous avais prévenu ! les nargue Vrane. Cette fille, c'est mon double version cheveux longs !

Puis il éclate de rire. Malgré son infection, il y met la même énergie que par le passé. C'est un bout d'enfance qui se rappelle à Glaëlle, la jeune fille entend ce son résonner au plus profond d'elle-même. Elle l'écoute, le chérit. Elle en avait tellement besoin.

— Moi, c'est Louise ! se présente alors la fillette en lui tendant la main.

Son geste est un peu hésitant, elle non plus n'a plus l'habitude de toucher des personnes saines. Pour mettre fin à sa crainte, Glaëlle lui attrape la main sans aucune manière.

— Enchantée, Louise, répète-t-elle.

La petite regarde leurs mains liées, puis lève les yeux vers elle en souriant.

— Alors tu es vraiment immunisée ! s'extasie-t-elle, émerveillée.

Glaëlle hoche la tête par l'affirmative. La petite s'agrippe plus fort à elle.

— J'espère que ça aussi, c'est contagieux ! fait-elle en frottant sa joue contre le bras nu de la rouquine.

Sa prière arracherait des larmes dans une autre situation. Cette fois-ci, le petit groupe se contente plutôt d'en rire.

La pièce se remplit bientôt d'un joyeux mélange de voix, ce qui soigne mieux Glaëlle que n'importe quel onguent. La jeune fille serre la main de Louise dans la sienne, comme si elle pouvait la retenir. La sentir vivante près d'elle, les voir tous plaisanter et sourire, entendre Vrane rire. C'est un baume de douceur qui vient se déposer sur son cœur à vif. En cet instant, Glaëlle ne se sent plus menacée. Elle oublie la guerre, les morts, la douleur et les dangers.

Ah ! Si elle pouvait rester là pour l'éternité !

Coeur de pierreWhere stories live. Discover now