Les derniers pions /1

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— Ce sont donc eux ?

Les cinq captifs lèvent leurs têtes en entendant la voix du garçon rebondir sur les murs du sous-sol, comme un troupeau de bétail.

Leur plan était pourtant censé être sans accroc. Les horaires, les caméras, tout était planifié pour qu'ils puissent s'évader. Ça ne fait aucun doute : ils ont été vendus. Et maintenant les voilà ligotés, au sol, roués de coups par leurs chers collègues, qui se sont bien vite ligués contre eux. Les soldats de Navinn sont des rapaces, ils n'attendent maintenant plus que leurs exécutions. C'est comme ça que ça se passe, dans l'armée.

Le cortège défile devant les déserteurs. Le redoutable dictateur est venu en personne, c'est la première fois que ses hommes le voient de si près. Il est accompagné comme toujours de son sinistre second, aux cheveux noirs et à la cicatrice en travers de la joue, ainsi que d'un autre jeune homme aux cheveux roux. Ce garçon faisait partie de leur équipe. Il aurait dû se retrouver avec eux, ligoté et tabassé, au sol. Les trois hommes comprennent : c'est lui qui les a vendus.

Son regard est teinté de haine et de mépris, il les a trahi et n'éprouve que de l'aversion pour ces pauvres lâches. C'est qu'il a dû s'en mettre plein les poches, cet abruti ! songent ses anciens complices. C'est un sale chien de Navinn, il était avec eux il y a seulement quelques heures et n'a maintenant aucun scrupule à venir assister à leur exécution. Ses jolis mots, ses sourires, tout n'était bon qu'à les attendrir. Dans ce camp, ce sont décidément les plus jeunes, les plus cruels.

Navinn s'arrête devant le premier des cinq déserteurs. Il s'agenouille à sa hauteur, prend son menton dans la main et le lève vers lui. Moue pensive sur le visage, pistolet dans l'autre main, il inspecte son visage contusionné avec attention. Le pauvre homme fuit son regard, fixant le sol avec impuissance. Il est effrayé, Navinn possède une aura peu commune.

— Je pensais que mes menaces étaient claires, se navre le garçon.

Il ressemble à un prédateur qui joue avec sa proie. Dans la pièce, tout le monde sait pourtant très bien ce qu'il va se passer.

Navinn s'amuse à faire durer le plaisir, c'est dans ses habitudes. Il offre à ses victimes un visage souriant et des propos compréhensifs pour mieux leur ficher une balle dans la tête par la suite.

— « Un soldat pris à tenter n'importe quelle action pouvant compromettre le bon fonctionnement de l'armée encourt, en plus de la peine de mort, l'exécution d'un ou de plusieurs de ses proches, selon la gravité de ses actes », récite religieusement le garçon. Ce n'était pas assez clair ?

— C'est qu'ils sont bouchés, ceux de cette espèce, se moque le garçon roux.

Il aborde un sourire gourmand, impatient de voir la punition que son chef leur réserve.

Navinn hoche la tête pour confirmer ses propos.

— Il faut que je réfléchisse à quels proches tuer pour une trahison, alors, soupire-t-il, comme si cela l'embêtait. Parents, enfants, ou alors...

— Non, je vous en supplie, l'implore désespérément un homme en se levant d'un bond au milieu des cinq interpellés. C'est de ma faute, je vous en prie, ne faites pas de mal à ma famille !

Ses mains sont jointes en une prière, malgré les menottes. Mais on n'implore pas un démon.

Sa vie s'arrête sans même que Navinn ne se soit tourné vers lui. Le front troué d'une balle, il retourne au sol plus rapidement qu'il ne s'était levé. Plus personne n'ose alors parler.

— On tue les autres ? s'impatiente le traître à côté du tyran.

Ce Claude est décidément des plus impitoyables, songe Navinn. Son expression cruelle pétrifie ses anciens complices d'effroi, le jeune homme est assez transparent pour qu'ils puissent tous comprendre son goût prononcé pour la violence. Si Navinn est cruel, lui, il est carrément sanguinaire.

— Non, j'aimerais décider de ce qui va arriver à leurs familles avant, s'embarrasse le jeune dictateur en fronçant les sourcils. Ce serait dommage qu'ils meurent sans le savoir.

— Aucun de ceux qui restent n'a de famille répertoriée, Navinn, les interrompt son conseiller à la balafre, le nez dans sa tablette numérique pour retrouver les dossiers des fuyards.

Navinn fronce un peu plus les sourcils, réellement contrarié cette fois.

— Oh... soupire-t-il. C'est dommage, ça.

Mais une lueur d'amusement remplace bientôt sa déception.

— Vous n'aviez rien à perdre, n'est-ce pas ? constate-t-il, avec l'entrain d'un détective en pleine enquête. C'était intelligent. Alors je vais trouver autre chose pour vous punir.

Il tape du poing dans sa main, amusé par ce nouveau défi.

— Torturons-les ! argue Claude à ses côtés, le regard fou.

Navinn nie d'un large mouvement de tête. Ses sourcils sont froncés, son regard traîne dans le vague pour improviser une sanction qu'il veut moins détestable que cela. L'inspiration lui vient soudain :

— On va vous laisser partir, décide-t-il en se relevant. C'est ce que vous vouliez, non ?

Le sourire qui illumine ses traits a tout de celui d'un garçon débordant de bienveillance.

— Mais... bégaye le rouquin, révolté par sa clémence.

Le regard que le jeune dictateur lui lance n'a soudain plus rien de bienveillant : il n'avait pas fini de parler. Il détourne le regard et serre les poings, prenant sur lui pour ne pas se laisser déconcentrer.

— Je suis un gentil chef, moi, déclare-t-il, comme si de rien était, en agitant le doigt, se retournant vers les déserteurs pour leur annoncer : avant de partir, on vous injectera juste la maladie. Après, vous serez libres d'aller contaminer qui vous voudrez.

Les regards d'espoirs disparaissent aussi rapidement qu'ils étaient apparus dans les yeux des épargnés. Qu'ils étaient idiots, de croire ne serait-ce qu'un instant à la miséricorde de Navinn. Dans la tête de ce gosse, il n'y a rien d'autre que de la cruauté.

L'indignation du tortionnaire roux se transforme en un sourire gourmand. Claude approuve, même s' il regrette quelque peu de ne pas pouvoir les tuer lui-même. Souffrir jusqu'à la mort, contaminer toutes les personnes qu'ils rencontreront, il reconnaît que c'est tout de même une très bonne punition.

Coeur de pierreDonde viven las historias. Descúbrelo ahora