Une autre solution

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— Tu veux éradiquer la maladie, se force-t-elle à résumer, usant de calme et de sang froid pour les mettre d'accord. Mais c'est aussi l'objectif des Briseurs, tu sais ?

Navinn éclate soudain de rire, c'est si absurde que cela coupe la respiration de Kia. Le jeune fille ne comprend pas ce qu'il lui prend.

— Ah non ! se moque-t-il. Vous, vous voulez la laisser proliférer en pensant qu'un jour, peut-être, si le hasard le veut bien, vous arriverez à l'éradiquer. Tu sais, c'est un peu tard pour trouver un remède maintenant que...

— Il n'est jamais trop tard ! l'interrompt la jeune fille. Tant qu'il y a des personnes en vie, le vaccin sert. Il peut nous sauver, comprend-le !

Navinn se renfonce dans son fauteuil, nez froncé. Il ne rit plus. Même si c'est par Kia, il n'aime vraiment pas être interrompu.

— Qui est-ce que tu penses encore pouvoir sauver ? grommelle-t-il.

Les mots de la jeune fille s'éteignent dans sa gorge, elle sent que ce n'est pas le moment de lui répondre. Navinn soupire pour se reprendre, cherchant à se calmer. Il est grand maintenant, il doit faire bonne figure. On lui a toujours dit de faire bonne figure.

— C'est un peu comme si on était devant un feu de forêt, expose-t-il alors. Vous, vous cherchez à éteindre les flammes. En ce moment, vous le faites avec le peu que vous avez : à la petite cuillère, avec des seaux percés... sans comprendre que même quand vous aurez un canadair —ce qui n'est même pas sûr d'arriver— vous devrez encore apprendre à vous en servir. Et puis vous devrez ensuite lutter contre tous les foyers qui continueront de flamber par-ci par-là, même après avoir balancé l'eau. D'ici là, la forêt aura bien le temps de cramer.

Kia ouvre la bouche pour répondre, mais se découvre un nouveau problème. Un problème de taille, lui causant un profond trouble : elle n'a rien à répondre. Navinn a complètement raison dans ce qu'il dit, et la tâche des Briseurs ne lui a jamais semblé aussi vaine.

— Tandis que moi, je veux couper tous les arbres autour pour que le feu n'aille pas plus loin, finit par exposer le garçon. Tu comprends ? C'est plus simple et plus rapide. Et puis par cette méthode, je suis sûr de tuer complètement le feu tout en limitant les dégâts. Alors pourquoi vous vous y opposez ?

Parce que tu veux tuer des gens, Navinn ! s'exclame Kia en silence. Parce que c'est trop radical, trop horrible comme solution. Tant qu'il y a quelque chose à faire, autre chose que de devoir tuer tous les infectés, il faut essayer !

Seulement, le garçon ne veut pas le comprendre.

La jeune fille sent sa détermination flancher. Par pour la cause qu'elle soutient, c'est son espoir de sauver Navinn qui s'effrite. Elle a peur de ne pas arriver à lui faire entendre raison, il semble si décidé... que peut-elle bien lui dire pour le faire changer d'avis ?


— Navinn, viens ! Le sable est collant ici, c'est plus simple de faire un château près de la mer ! Pourquoi tu cherches à en faire un si loin ?

Le petit garçon se restait planté à quelques mètres de là, les mains pleines de sable.

— Parce que je ne veux pas que la marée le casse !

— On fera des digues ! tentait de le rassurer la jeune fille.

L'enfant hochait résolument la tête.

— Mais elles céderont, tes digues ! Moi, je veux que mon château, il tienne pour toujours !



Une solution extrême, pas vrai ? songe Kia. Il est comme ça, il n'a jamais fait dans la demi-mesure. Il faut que ça marche à coup sûr pour qu'il daigne le faire. Pas vrai, Navinn ?


La petite fille avait la tête baissée, le nez collé sur un papillon qui remuait difficilement au sol. Il lui manquait une aile. Elle tendait les mains pour tenter de l'attraper, les yeux brillant d'espoir. Mais un petit pied vint s'écraser sur la bête sous ses yeux, tournant et crissant sur les graviers pour être sûr de bien la tuer.

— Navinn ! Pourquoi tu fais ça ! s'étranglait la fillette.

Le petit garçon la contemplait de ses deux immenses yeux bleus, avec le regard d'un enfant déjà trop mûr pour son âge.

— Il ne peut plus voler, il ne sert à rien.


Kia comprend : il n'est pas mauvais au fond. Il n'a jamais voulu faire de mal. Cette solution qu'il propose, c'est simplement typique de sa façon de penser. Avec lui c'est soit tout noir, soit tout blanc. Il n'accepte pas de fissure dans sa muraille, sinon il la détruit.

Alors, c'est ce que tu penses, Navinn ? questionne Kia en silence. Un Homme infecté est un Homme condamné, pour toi ?

La jeune fille comprend son raisonnement. Il voit les malades comme une gangrène pour l'humanité, une gangrène qu'il veut éradiquer pour sauver l'avenir. Et peu importe le prix qu'il doit y mettre, du moment qu'il réussit.

Kia doit se résigner. Elle aura beau tout essayer, elle n'est pas prête de le faire changer d'avis.

☽☼☾

— Tu n'as rien, toi. Fuis ! Tu dois vivre !

Sa voix se répercute dans les oreilles du garçon, le désespoir qui y perce lui noue la gorge. Obéissant, il se lève puis se met à marcher, même si ses petites jambes tremblent assez pour le faire boiter.

Un éclat de lumière attire l'œil de l'enfant. Il voit une petite plaque de pierre sur la peau de la fille, comme un galet qui se serait accroché à son poignet.

Sa vision vacille, elle s'embrume. Des larmes ? Il ne comprend pas. Il a mal au cœur, il sait que quelque chose cloche. Il ne peut donc s'empêcher de lancer un regard coupable dans son dos, à cette fille, debout devant l'unique fenêtre de la pièce. Elle cache la lumière, son ombre se dessine sur le parquet. L'enfant ne parvient qu'à distinguer sa silhouette dans le contre-jour.

Elle a sorti son pistolet.

Le coup de feu le prend par surprise, il n'a pas le temps de fermer les yeux. Le tir déchire ses tympans, le ciel lui tombe sur la tête.

Comme s'il était à des kilomètres de là, comme si le coup de feu l'avait poussé, il voit le corps de la jeune fille tomber. Son corps retourner à la terre, comme ceux des milliers d'êtres humains qui meurent depuis quelques jours.

Et quand éclos des larmes salées dans ses yeux, des larmes qui se mettent à couler, ce sont les dernières larmes sur les joues d'un garçon qui ne pleurera plus jamais.

Coeur de pierreWhere stories live. Discover now