|| Chapitre 3

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- La prochaine fois, c'est à ton tour de le changer.

Grogne Liyah en installant Elyes sur son siège auto avant de prendre place côté passager. San esquisse un sourire en faisant tourner le moteur.

- C'est pourtant toi qui a insisté pour le faire.
- Je n'ai pas insisté.
- Okay, tu t'es proposée si tu préfères.
- Voilà, c'est ça d'être trop altruiste.

Soupire Liyah en secouant la tête de droite à gauche. San lève les yeux au ciel en s'engageant de nouveau sur la route vers la salle de réception.

- Maman et Nala sont bien arrivées ?
- Bien sûr, elles avaient le meilleur chauffeur de Singapour.
- Ah oui, excuse moi. Donc je n'ai pas besoin de rappeler cette fois où à cause de toi on a du marcher des kilomètres dans le froid parce que monsieur a heurté un arbre, n'est-ce pas ?
- Erreur de jeunesse. Ça arrive à tout le monde.
- Non, pas à moi.
- Normal, t'as pas le permis.
- On veut pas me le donner, nuance.
- Alors ça, c'est toujours les plus doués qui n'ont pas la médaille, hein ?

Liyah hoche vigoureusement la tête en croisant les bras, avant de rire à pleine voix avec San. Rectification, il n'y a pas qu'Elyes qui lui a apporté bonheur et paix ces dernières années. San Mnevis y a aussi grandement contribué.

- Eh San.
- Hm ?
- Tu... te souviens d'Ian ?

Hésite t-elle en passant une main sur sa nuque, visiblement gênée d'aborder ce sujet pour la énième fois.

- Ouais. L'enflure qui t'a quittée parce qu'il a eu peur de la distance ? Si c'est lui, je m'en souviens.
- San !
- Quoi ? Je me suis réellement retenu pour ne pas l'insulter cette fois.
- Tu sais quoi, laisse tomber.

Abandonne Liyah en voyant déjà l'avenir de cette conversation. San n'a jamais apprécié Ian. Certes, il ne l'a connu que par le biais des récits de Liyah. Mais cela lui a amplement suffi pour se faire une idée du personnage, et surtout pour le détester.

- Okay, je suis désolé Liyah. Qu'est ce que tu voulais me dire sur... Ian ?

S'excuse t-il en resserrant légèrement le volant entre ses mains veineuses. Elle dégage une mèche de cheveux derrière son oreille en guettant furtivement le rétroviseur pour apercevoir Elyes dans un profond sommeil.

- Tu vas me trouver bête.
- Tu sais que je ne te jugerai jamais, Lizis.

Son cœur se réchauffe lorsqu'elle entend ce surnom qui fait évidemment référence à leur enfance. San sait pertinemment qu'en employant ce surnom, Liyah pourrait même lui révéler ses secrets les plus profonds.

- Je pense encore à lui. C'est peut-être idiot mais j'ai l'impression que... il m'attend quelque part dans ce monde et que je suis probablement en train de passer à côté de lui et à côté de l'histoire qu'on aurait pu écrire ensemble ou-
- Redescends sur Terre, Liyah.

L'interrompt froidement San en donnant un coup de volant un peu trop rude pour changer de voie.

- Ça fait quatre ans que tu espères la même chose. Alors soit. Imaginons qu'il ressurgisse dans ta vie. Est ce que tu serais prête à faire face au nouveau Ian ?
- Ian ne peut pas avoir autant changé.
- Tu vas finir par croire à tes mensonges, ma jolie. Regarde, t'as un enfant à ta charge maintenant. Tu penses vraiment qu'il s'y attendrait ?

Liyah baisse la tête, refusant de nier l'évidence. San soupire, détestant devoir lui faire du mal pour lui ouvrir les yeux sur la réalité. Cependant il en a plus qu'assez la voir souffrir à cause de ses démons passés.

- Toi aussi, tu as changé. Alors bien sûr qu'Ian a changé et il a même probablement refait sa vie. Tu devrais faire de même, Lizis.

Sans qu'elle n'ait pu faire quoi que ce soit, une larme jaillit de ses orbites. Elle relève soudainement la tête vers San, qui s'efforce de garder les yeux rivés sur la route pour feindre de ne pas avoir vu les larmes de Liyah.

- Alors pourquoi est ce que tu m'as rejetée quand j'étais prête à l'oublier ?
- Je ne t'ai pas rejetée, Liyah. Tu penses t'être déclarée, mais dans ta voix, tu espérais que je te repousse. Et je ne veux pas de ton affection.
- C'était tout ce que j'avais, San. J'ai fait de mon mieux et qu'est ce que tu m'as donnée en retour ? De la pitié. J'aurais aimé que tu ne m'embrasses jamais, ce jour là.

San ne peut se retenir. Il se gare n'importe comment sur un bout de trottoir au beau milieu de nul part et sort de la voiture en trombe. La porte claque si fort, que les pleurs d'Elyes étouffés par ceux de Liyah se mettent à résonner dans la petite voiture. San Mnevis est effrayant lorsqu'il est en colère. Ses bouclettes noirs retombent lourdement devant son regard brûlant, et ses sourcils épais se froncent si fort qu'ils laissent apparaître des plis sur son front. Tandis que ses iris brunes tendent vers l'ébène et ne laissent plus aucune place à cette lueur bienveillante originalement présente dans ses yeux. Son corps presque entièrement recouvert de tatouage dégage lui-même une aura menaçante. Tout simplement, San semble être une autre personne chaque fois qu'il se met en colère.

- Putain !

Hurle t-il en murmurant ensuite une série de jurons pour accompagner ses cents pas. Liyah l'observe à travers la vitre en essuyant ses larmes. Elle finit alors par se retourner et glisse une main vers la banquette arrière pour essuyer le visage d'Elyes. Elle chuchote des mots doux pour essayer de l'apaiser tout en caressant sa joue. Une fois calmé, elle reporte ensuite toute son attention vers l'extérieur et pose ses yeux sur San, assis sur le trottoir, les coudes posés sur ses genoux et sa tête entre ses mains. Elle éponge une dernière fois ses joues puis cale sa tête contre la vitre en attendant son retour.

clac.

La porte se ferme à nouveau brusquement lorsqu'il décide de revenir. Un silence lourd et pesant prend son trône sans contestation. Ni l'un, ni l'autre, n'est décidé à prendre la parole.

« voyou » pense Liyah en le fusillant du regard.

« Idiote » rétorque t-il en braquant son regard dans le sien avec défi.

« Lâche » ajoutent ses iris avant de se détourner.

Soudainement, San trouve que leur jeu de regard et de reproches silencieux à assez duré. Il passe une main derrière sa nuque et dépose audacieusement ses lèvres sur celle de Liyah, sous le regard innocent du petit Elyes qui sourit.

- Et... ça... ça c'était de la pitié ?

Une question rhétorique entre deux souffles.

KAMI || DPR LIVEWhere stories live. Discover now