Chapitre 4 : Celle qui haïssait l'humanité

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La dernière fois qu'Ophélia a pris forme humaine, c'était il y a près de 500 ans, à l'époque où certaines personnes croyaient encore aux esprits. À ce moment-là, beaucoup d'humains sont doté d'une forme d'énergie spirituelle ; évidemment pas aussi pure, ni aussi puissant que les esprits eux-mêmes ; mais c'était la preuve qu'un de leur ancêtre avait tué un esprit ou en était lui-même un. Les pactisant sont peu nombreux et aucun d'entre eux n'expose la source de leur pouvoir, leur existence elle-même est inconnue des autres humains.

On lui a donné le nom d'Isabelle. Des yeux noirs, quelques tâches de rousseurs et des cheveux bruns bouclés, c'est son apparence de jeune fille.

Dès qu'elle eut l'âge de voir et comprendre ce qui l'entourait, elle sut immédiatement que pendant qu'elle avait quitté ce monde, les siens avaient été assassiné sans relâche pour leur magie. Elle sait que peu ont réussi à accomplir leur promesse envers Dieu avant de mourir. Beaucoup d'esprits sont morts alors qu'ils étaient éternels ! Elle ne pensait pas qu'un jour un seul d'entre eux verrai son âme envoyée dans l'au-delà.

Les esprits leur ont offert une terre sur laquelle vivre. C'est toute la reconnaissance qu'on leur laisse ? C'est un future compliqué qui s'annonce. La vie d'un esprit ne vaut plus la peine d'être vécue si elle consiste à rester dans son élément à attendre que le temps passe. Agir pour vaincre l'ennui ? Prendre forme humaine et mourir ou pactiser pour se sentir vivre un peu ?

Depuis ses milliards d'années d'existence, jamais Ophélia ne s'était abaissée à pactiser avec un humain. Le choix est fait : peu importe les risques, peu importe le danger et la mort, elle vivra sous forme humaine, cachant sa forme spirituelle les soirs de pleine lune. Maintenant, elle est une étrangère dans ce monde où les esprits n'ont plus leur de place. Peu importe la gentillesse dont les Hommes font parfois preuve entre eux, ils restent impitoyables face à l'étranger, tout comme ils le sont avec les esprits.

Malgré tout, elle grandit parmi les Hommes. Elle parvint à cacher son hostilité envers eux et sa peur, elle parvînt même à étouffer en elle le désir de vengeance, mais pas sa tristesse. Depuis sa naissance personne ne l'avait vu sourire et elle grandit seule. Des enfants de son âge, aucun ne connaissait son nom, seule une personne s'intéressait à elle : c'était un petit garçon du nom de Victor. Il lui avait demandé pourquoi elle avait toujours l'air triste. N'obtenant rien, il n'insista pas. De peur de l'incommoder, il se fit discret. Elle qui craignait d'être démasquée et exécutée s'habitua peu à peu à lui sans s'en rendre compte.

Il prit le temps de la connaître et elle fit de même sans le vouloir à force de passer du temps ensemble. Elle se rendit compte qu'il était comme un fantôme : elle n'a jamais entendu parler de ses parents, c'est comme s'il n'habitait nulle part dans la ville, un nom de famille inconnu et impossible de le trouver à moins qu'il ne vienne à elle. Seul ses yeux étaient témoin de son existence. Cela ne l'effrayait pas.

Victor remarquait de temps en temps un faible sourire sur les lèvres de celle qu'il appelait Isabelle, et il s'en réjouissait. Il lui fallut longtemps pour connaître la cause de sa tristesse, mais elle finit par lui dire qu'elle ne voyait aucune beauté dans l'humanité. Alors Victor décida de lui montrer la beauté de ce monde.

- Les hommes sont capables des pires atrocités. Certains éprouvent même du plaisir dans le malheur des autres, et ce même s'ils de leur ont fait aucun mal. Ils peuvent battre et même tuer un des leurs pour une raison puérile.

- On ne peut excuser de tels actes et ils doivent être punis. C'est pour cela qu'il y a une loi, pour que l'homme puisse vivre en société. Pourtant est ce que la nature humaine devrait être exempt de tout vice. Pourquoi le crime existe il ? De tels actes sont la conséquence de la liberté de l'esprit humain. Cette liberté implique qu'à chaque instant, l'homme choisit de faire du bien ou du mal. Il est ainsi responsable de ses actes. Sans cela l'homme n'est qu'une machine et ne vaut pas mieux qu'un objet. C'est parce qu'une telle liberté existe que les bonnes actions ont du sens.

- Peu importe le sens derrière l'action. Ce n'est pas parce qu'un homme aide un mendiant qu'il réduit la pauvreté, car si les autres y sont indifférent peu importe l'effort qu'il fera : cela restera inutile. Les hommes pourraient faire des grandes choses en agissant ensemble, comme s'ils n'étaient qu'un. Ils pourraient aussi comprendre leur prochain et ils éviteraient de se faire souffrir.

- Peut-être, mais l'erreur est humaine, on peut penser qu'une chose est bonne sans qu'elle le soit pour autant. Investir l'humanité dans une même cause la réalisera pour sûr, mais est-t-on certain que la solution est la bonne. Si les êtres humains pensaient tous de la même manière, une seule pensé serait utile tandis que les autres n'aurait plus de raison d'être. La beauté de l'humanité c'est aussi de penser que chacun a quelque chose à apporter. Il n'y a pas d'intérêt à être tous pareils.

- Chacun a quelque chose à apporter ?

- Oui, en fonction de ce qu'on sait et veut faire. Par exemple, une boulangère sait faire du pain et aime son travail : ainsi, elle agit pour les autres.

- Mais si elle est très intelligente, par exemple un génie de l'économie, ce n'est pas du gâchis de faire seulement du pain que quelqu'un d'autre pourrait bien faire ?

- Le but de chaque être humain est de trouver le bonheur, à quoi bon faire ce qu'on n'aime pas ? La boulangère a toujours la possibilité d'apporter son aide, par exemple si sa ville subit une crise. Si elle n'aime pas ce qu'elle fait, elle peut toujours le faire pour une raison qui lui tient à cœur : là encore, elle est libre.

Victor continua longtemps à lui montrer combien le monde pouvait être beau. Le regard que portait Ophélia sur ce monde s'est progressivement mis à changer au fil des mois. Elle a cessé de voir l'humanité comme un tout pour voir la richesse derrière chaque personne. L'humanité qu'elle haïssait, à présent elle l'aimait profondément et avec sincérité. Quand elle en prit conscience, elle se rendit également compte qu'elle était amoureuse.

Elle avait 17 ans et esquissa enfin un large sourire en pensant au tour que le destin lui avait joué. Elle sentait qu'elle pouvait enfin être heureuse. 

La jeune fille sous la luneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant