Chapitre 8 : L'insaisissable

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Depuis plusieurs semaines, Ophélia a disparu de la circulation. Les mesures prises par Mr. Winkle ne sont pas très concluantes. Il faut dire qu'une grande partie des gens ne voient pas pourquoi ils devraient se préoccuper d'une impotente. En général, personne ne fait attention à eux, d'ailleurs, à part ses camarades de classe, les seuls qui la connaissent sont exploités dans les champs ; aucun n'est vraiment libre.

Enfin, il y a bien une personne qui l'a connue, il y a longtemps : un bas niveau tout aussi insignifiant prénommé Arlo. Lui aussi avait été abandonné par ses parents. Il n'était pas tout à fait impotent, mais ses parents avaient jugé son pouvoir inutile. Personne ne méprisait plus ses parents que lui, il était bien content de ne pas être obligé de vivre avec des ordures pareilles.

À l'orphelinat, six ans est l'âge où les enfants commencent à travailler. Arlo avait quelques années de plus qu'Ophélia. Il avait été envoyé aux champs avant elle. Refusant l'autorité, rebelle et malicieux, son intelligence l'avait rendu incontrôlable.

Quelques mois après avoir commencé, il a été envoyé aux mines. Ophélia l'avait à peine connu. Les mines étaient connues pour être un enfer sur terre. Tous savaient qu'en cas de désobéissance ils seraient envoyés là-bas et la menace faisait son effet. Labourer la terre était déjà suffisamment difficile, mais la mine signifiait littéralement "creuser la pierre". C'était la promesse de ne plus jamais revoir le ciel, respirer l'air pur où même sentir le vent. Tout comme à l'orphelina, les portions quotidiennes de nourritures sont distribuées en fonction du travail fourni, toujours dans de faibles quantités, voire très faible, voire inexistante. Mais au moins, dans les cultures quand on avait faim on pouvait manger des mauvaises herbes, quand on avait soif on pouvait attendre qu'il pleuve un peu plus et quand on avait froid on pouvait espérer le soleil. La mine était la fin de tout espoir. Là-bas, le mot "vivre" perdait inévitablement tout son sens.

Un gamin de six ans condamnés à la mine ? Pour tous, il était évident qu'il ne tiendrait pas l'année. Les gardiens commençaient déjà à parier sur le temps qu'il lui restait à vivre. Mais Arlo n'était pas du genre à se décourager. Dès le premier jour, il se montra particulièrement ingénieux et parvînt presque à s'échapper. Mais au moment crucial, il fût détecté par la capacité d'un gardien et fût rattrapé. Sa punition ? Le fouet. Mais la peau fragile d'un enfant ne l'aurait pas supporté et Arlo le savait. Tous les gardes regardaient : un moment déterminant pour leurs paris était apparu. Malgré tout le courage dont on pouvait faire preuve, Arlo était effrayé, mais surtout, il était en colère : n'était-il pas un homme lui aussi ?

C'est alors que son pouvoir se réveilla : il avait le pouvoir de complètement disparaître de ce monde. Son corps devînt immatériel, la lumière passa au travers de lui, il était invisible et plus aucun son n'était perceptible venant de lui, ni aucune odeur. Brusquement, les chaînes qui le retenait tombèrent à terre dans un grand fracas et les mains des gardiens qui le tenait se refermèrent sur elles-mêmes. Arlo perdit l'équilibre et fût projeté en avant. Observant les gardiens qui pensaient qu'il s'était téléporté, il comprit immédiatement la situation. Son visage s'orna d'un sourire et il se mit à rire de soulagement car il n'avait jamais eu peur dans sa vie à part ce moment-là.

La malice revînt dans son regard. Durant, les heures qui suivirent, il se servit dans la viande du garde-manger des gardiens et joua toute sorte de tours en prenant garde à ce qu'on ne puisse accuser les prisonniers. Il sorti sans encombre après avoir semé la discorde parmi les vigiles.

Aujourd'hui, il vit dans la ville. Il porte un long manteau brun et une casquette de la même couleur dont le haut un peu bouffant s'aplatit sur une visière à peine visible. En fait, si on y prêtait attention, on se rendrait compte que son style donne l'impression de sortir d'une autre époque, mais cet homme se fond avec talent dans la foule. Personne ne pourrait soupçonner qu'il dort la nuit dans un arbre du parc, ni qu'il a dérobé ses vêtements à des riches voulant se débarrer de ces vêtements démodés. C'est un vagabond qui n'en a pas l'air. Il faut avouer que le regard sûr de lui et son petit sourire malicieux témoignent d'une confiance qu'on ne voit généralement que chez les hauts niveaux. Il n'a pas les vêtements sales, ni les cheveux longs ou gras, il est rasé de près ... Vraiment, il est loin d'être négligé, on pourrait même le trouver plutôt beau gosse avec ses cheveux courts dont une mèche ondulée s'échappe de la casquette et des yeux bleu à la couleur plus vive que le plus beau des rouges.

Il ne travaille pas. On pourrait croire qu'il s'ennuie ou meurt de faim, mais loin de là. C'est devenu un voleur averti. Il vit comme ça. Mais avec sa capacité, il passe le plus clair de son temps à observer les puissants et à jouer des tours à ceux qui sont plus méprisable que les autres. Envoyer des articles compromettants aux journaux, brûler tout les exemplaires d'un discours au dernier moment, il a déjà tout fait et ne manque pas d'inspiration.

Son dernier méfait ne remonte pas à longtemps si ce n'est au matin même. Le soleil se couche, dans une rue isolée, Arlo marche tranquillement en brandissant un trousseau de clé qu'il fait tourner sur son doigt. D'un coup, les clés lui échappent et tombent dans les égouts.

- Rhoooo, zut alors, médit-il avec un faux air agacé.

Ce mois-ci, il a volé des dizaines de clés : celles de coffres forts, de voitures de luxe, et de tas de choses que les forts ont obtenu en écrasant les faibles. Évidemment, ces égoïstes ne font pas de double de ce genre de chose. Arlo les imagine déjà pester contre le monde entier et rien que l'idée le réjouit.

Il s'assied sur les marches d'un perron et regarde la nuit tomber. Il place ses bras derrière sa tête comme pour se reposer et sourit.

- Je te cherche depuis un moment, lance une voix au-dessus de lui.

Il lève les yeux pour voir qui lui parle. C'est une jeune fille, assise sur une fenêtre au deuxième étage. Les volets sont clos.

- J'ai besoin de quelqu'un comme toi !

Le visage de l'homme qui s'était détendu, s'orne à nouveau du sourire qu'on lui connait, comme pour dire "tiens donc, regardez qui voilà". Il a immédiatement reconnu la petite fille qu'il connaissait, celle qui appelait Aria ; et il apprendra tout aussi vite que désormais, on l'appelle Ophélia. 

La jeune fille sous la luneWhere stories live. Discover now