La lettre muette

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H me servait le thé, comme si nous avions toujours été de bons amis.

Comme si je ne venais pas de percer un de ses secrets.

Comme s'il n'avait pas détruit le monde de cent-quarante-trois adolescents.

Il soupira de contentement en se laissant finalement tomber dans un large fauteuil de cuir. Il porta sa main à ses lèvres tout en me fixant, tandis qu'une étrange satisfaction s'épanouissait sur son visage. Son regard était fix, planté dans le miens. La guerre des nerfs. Je fini par craquer.

« Votre père n'était pas surpris de me voir. »

– Il n'est pas mon père. Pas réellement. »

Une confession pour une autre, me rappelai-je.

« Si vous l'aimez, alors il l'est. J'ai une belle-mère. J'ignore si je l'aime, mais il est certain qu'elle en a plus l'étoffe que celle qui m'a mise au monde. »

Sourire énigmatique. Son doigt massa pensivement sa lèvre. Son sourire ne le quittait toujours pas, me faisant pensée qu'un détail m'échappait.

« Pourquoi « H » ? Abraham est un beau prénom. Personne ne connaît votre nom, je me trompe ? Il n'est pas assez... intimidant ? »

– Il est bon d'être confiante, Eden. Mais pas avec moi. J'ai décidé de t'épargner car tu m'as prouvé quelque chose aujourd'hui. Mais je n'oublie rien : tu as voulu t'enfuir, aucune confiance n'est possible entre nous. Pourtant, si tu m'acceptais comme une aide précieuse, tu ferais des progrès spectaculaires. Regarde le don de cette chère Ani : si précieux, si stable... parfait. Quant au H, c'est une lettre que j'affectionne. Muette, invisible. Abraham est un nom appartenant à une autre vie. Celle dont mon père se souvient. »

Il prit une cigarette dans une boite, la plaça entre ses lèvres et fit claquer son briquet.

« Qui est-il donc, cet homme qui n'est pas vraiment votre père ?

– Un homme à qui je dois beaucoup. Et qui n'a rien à voir avec mes affaires. »

Il tenait à le dédouaner, il craignait que quelqu'un s'en prenne à lui. Mais je le croyais sur ce point : le vieil aveugle semblait à des années lumières des agissements d'Abraham. Par ailleurs, connaître son prénom était étrangement réconfortant, comme si la ligne de force s'égalisait peu à peu.

« Et il accepte de vivre dans cette demi-réalité ?

– Oh... Sa réalité existe réellement. Seulement, elle lui est propre. C'est une reconstitution de ce qu'il a un jour connu. Il ne fait plus la différence entre demain et aujourd'hui. Mais il en a conscience.

– Il est malade, n'est-ce pas ? »

H ne laissa rien paraître, se contentant de hocher la tête. Cet homme était atteint de la maladie d'Alzheimer, je ne voyais pas d'autres explications.

« Vous vous donnez beaucoup de mal pour lui... Donc vous l'aimez, c'est un fait. «

Le monstre se transforma : en un instant, il devenait doté d'un cœur et de sentiments, et c'était étrange. Absurde. Invraisemblable.

« Certains hommes méritent de terminer leur vie de la plus belle des manières. D'autres devraient subir toutes les souffrances du monde, une fois et encore une autre. Mon père était le meilleur des hommes.

– Est-ce que... vos hommes sont au courant de son existence ? Je me disais certainement que non. Ils ne m'ont pas suivi là-bas.

– Mes hommes sont des brutes et excellent dans leur métier. Je ne leur en demande pas plus. Et puis... aucun d'entre eux ne voudraient me désobéir. Ils ont trop à perdre.

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⏰ Last updated: Apr 15 ⏰

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