L'Institut

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Benjamin Fitzgerald nous avait salué devant l'avion privé affrété à notre attention. Le fondateur de l'Institut Fitzgerald repartait chez lui par un vol civil. Où, je n'en savais rien : sa demeure était un secret qu'il gardait des élèves de l'Institut.

A bord, je dormais une grande partie du vol. Hermine m'avait mise en garde : une grande fatigue allait m'assommer durant quelques jours, conséquence de son intervention miraculeuse sur mes blessures. A présent, je ne pouvais porter sur la française qu'un regard émerveillé : elle semblait si normale, si humaine, et pourtant, de ses mains naissaient des prodiges.

Profitant de son sommeil, je m'étais penchée au-dessus de ses doigts : le verni rouge de ses ongles s'écaillait et s'en était bien le seul détail intéressant. Banals, tout comme les miens.

De retour au fond de mon siège, j'avais surpris la directrice à m'observer, un sourire énigmatique aux lèvres. Je m'étais faite l'effet d'une voleuse maladroite.

Mais alors, la même odeur citronnée s'était imposée à mes sens et quelques instants plus tard, le sommeil avait raison de moi. Ce dernier fut étrange. Lorsqu'un cauchemar me saisissait la main pour me traîner dans son sillage, je parvenais à m'en détacher avant qu'il ne montre son horrible visage. Comme si on m'en protégeait.

« Eden. Eden réveille-toi. »

Hermine était penchée sur moi et me secouait le bras.

« Attache ta ceinture, nous arrivons. »

Je sortie d'une épaisse torpeur, les muscles délassés et la bouche pâteuse. Un sommeil de plomb comme je n'en avais pas connu depuis des mois.

« Déjà ?

– Oui, tu as beaucoup dormi. Liesel veillait à ce que ton sommeil soit paisible. »

La directrice était plongée dans sa lecture, oublieuse de son environnement. La senteur délicieuse planait encore de manière ténue dans l'habitacle et alors, plus aucun doute ne fut à avoir : la directrice avait rendu mon assoupissement paisible. Comment était-ce possible ? Et cette fragrance qui semblait l'accompagnée et me tournait la tête...

« Où allons-nous atterrir ?

– A l'aéroport de Vratislavie, au Royaume de Prusse. Après, nous aurons encore quarante minutes de route. »

Je peinai à rester concentrée sur les paroles de la française, mon corps ne réclamait qu'une chose : dormir, pour l'éternité. Chaque battement de cil menaçait de m'y ramener.

En mettant pied à terre, la nuit étoilée qui m'accueillit sur le vieux continent appuya les paroles d'Hermine : j'avais bel et bien dormi durant les quinze heures de vol. Dans la berline noire, les deux étudiants discutaient à voix basses, tandis que Liesel consultait ses messages. De temps à autres, je sentais ses coups d'œil me piquer la nuque tandis que je m'absorbais à contempler l'extérieur. N'y tenant plus, je lançai une discussion à la cantonade, interrompant le japonais et la française.

« Parmi tous les endroits du monde, pourquoi avoir choisi la Prusse pour établir l'Institut ? »

Haru, à qui je n'avais plus adressé que quelques mots depuis notre départ de l'hôpital, me répondit :

« Un pur hasard. Avant de réunir ses étudiants ici, Benjamin n'avait nulle part où assurer leur protection. Il essayait simplement de les aider du mieux possible, mais ses moyens étaient encore très limités à l'époque. Il manquait d'appuis de la part d'hommes et de femmes influents. Et puis un jour, il a rendu un fier service à un aristocrate prusse.

– Service qui concernait la fille de cet homme, intervint malicieusement Hermine.

– En échange, ils ont confié le château à l'Institut. Mais attention, il n'appartient pas à Benjamin, ce n'est qu'un prêt.

L'Institut FitzgeraldWhere stories live. Discover now