Chapitre n°5, Partie II: 1914:

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Chloé avançait gaiement en direction de l'usine de munitions dont avait parlé la secrétaire antipathique. Elle n'était pas stressée outre mesure, bien qu'elle n'eût jamais passé le moindre entretien d'embauche comme elle était au maximum dans ses études, mais elle savait qu'elle saurait s'en sortir. La seule chose qui la dérangeait un peu était de travailler dans une usine. Elle n'avait jamais été trop dans le travail manuel, et la perspective de remplir des douilles avec de la poudre destinée à tuer des êtres humains n'était pas l'idée qui l'amusait le plus, surtout si ça s'avérait être à la chaine. Elle aurait volontiers travaillé au lycée, elle était assez pédagogue, comme elle avait même pu se le prouver la veille avec Louise, et elle aimait bien les jeunes, car elle n'était pas tout à fait loin de l'époque du lycée. Mais peut-être était-ce mieux comme ça, elle ne savait pas ce qu'il lui fallait apprendre aux jeunes. Sans doute penserait-elle à des choses qu'ils ne connaissaient pas encore, comme l'égalité, le droit de vote des femmes, ou bien le fascisme et la Seconde Guerre Mondiale. Oui, ça valait mieux comme ça. L'administratif de la mairie l'aurait sans doute dérangé à la longue, car une ou deux semaines, ça pouvait le faire, mais au-delà, le nez constamment dans les papiers, elle aurait fini par faire un burn-out.

Heureusement que la charrette de Charles était passée devant l'usine de munitions la veille, car Chloé n'aurait sans doute pas retrouvé son chemin parmi les rues, qui lui semblaient si différentes et à la fois si familière. Elle arriva finalement devant la gare de Montjovis, la gare la plus au Nord de la ville, et traversa les rails pour arriver sur un chemin qui longeait la gare et les rails pour finalement arriver à l'usine, une ancienne caserne militaire reconvertie. C'était sans doute un très bon choix stratégique que d'avoir choisi cette caserne pour la transformer en usine, c'était celle qui était la plus proche de la gare de Montjovis, permettant le transport bien plus facilement.

Chloé se présenta au portail et dit à l'homme qui se trouvait là, servant sans doute à filtrer les ouvriers des visiteurs, et lui dit qu'elle venait pour le poste à pourvoir. Il la conduisit alors jusqu'au bâtiment imposant qu'était l'usine qui était, à nouveau, à deux étages. Ils pénétrèrent dans la construction et Chloé put observer la fabrication des munitions, et fut surprise de découvrir beaucoup de femmes dans les rangs des ouvriers.

« Bien sûr, se dit-elle, les munitionnettes ».

Elle se rappela à nouveau ses cours de collège et se souvint de « l'effort de guerre » et du fait que les femmes participaient beaucoup à la vie ouvrière.

Le gardien, si c'était réellement son poste, indiqua à Chloé un grand escalier en bois, lui disant de toquer à la porte qui se trouvait en haut, puis il se retira. La jeune femme monta les marches une à une, appréhendant légèrement l'entretien qui allait suivre. Arrivée en haut de l'escalier, elle toqua, puis attendit une réponse. La porte s'ouvrit sur un homme grand, bedonnant au crâne dégarnit. Chloé ne put s'empêcher de trouver qu'il représentait le cliché parfait du directeur d'usine par excellence : un homme, plutôt riche si la jeune femme s'en fiait à son costume, plus gras et avec des yeux avides de richesses.

- Bien le bonjour, mademoiselle, que puis-je faire pour vous ? questionna-t-il d'une voix mielleuse.

- Bonjour monsieur, je viens vous voir parce que je me suis rendu à l'hôtel de ville plus tôt dans la journée et on m'a dit que vous recrutiez. Je suis venu me porter candidate pour un poste d'ouvrière.

- Et bien, c'est direct, fit-il en souriant. En effet, je suis moi-même allé à la mairie en début de semaine pour leur dire que nous avions besoin de plus de mains ici. Personne n'est venu, sans doute la faute à cette stupide secrétaire. Enfin bon, je vous prends.

Chloé ouvrit de grands yeux.

- Comme ça ?

- Oui, si vous m'indiquez où vous habitez pour que je donne votre salaire à votre mari, frère, père, enfin votre référant quoi, s'il est encore là.

« Et voilà, purée on peut se débrouiller seules quoi ! » jura intérieurement Chloé.

- Tout à fait ! Je ne connais pas l'adresse, c'est celle de mon cousin. Vous auriez un plan de la ville ?

L'homme entra à nouveau dans la pièce et sortit une carte de Limoges d'un des tiroirs de son bureau en bois massif sur lequel trônaient une petite horloge de toute beauté. Chloé lui indiqua où se trouvait la maison de Charles, sans beaucoup de précision malheureusement, elle ne fit que déduire où se trouvait la ferme pour établir où se trouvai la maison de son ami.

- Bien, j'irai le voir personnellement pour lui dire que je vous embauche. J'espère qu'il est d'accord avec ça quand même ?

- Oui, oui, assura Chloé, c'est lui qui m'a dit de venir.

- Et bien parfait ! fit l'homme en écartant les bras comme s'il venait de conclure l'affaire du siècle. Avez-vous des questions ?

- Quand est-il du salaire et des horaires ?

- Pour ce qui est du salaire vous toucherez...entre 4 et 5 francs par jour, selon ce que vous parvenez à produire.

Chloé fit la moue. Elle ne savait pas combien cela représentait en euros, ni le coût de la vie en 1914. Ce qu'elle savait seulement, c'est qu'un euro, en tous cas avant le passage à l'euro, équivalait à 6,5 francs. Elle fit un rapide calcul mental, et comprit qu'elle gagnerait environ 145 francs par mois, ce qui ne lui semblait pas tant que ça.

- Et pour les horaires ? ajouta-t-elle.

- Les ouvriers de cette usine travaille à peu près douze heures par jour, de sept heure le matin à sept heure le soir. Je suis pour la production, mais mes ouvriers ont le droit à des pauses, dix minutes toutes les trois heures, et une de trente minutes le midi.

- Très bien. Oh au fait, je n'ai jamais travaillé dans une usine, pensez-vous que quelqu'un pourrait m'apprendre le métier ?

- Tout à fait, tout à fait, nous demanderons à Hank de vous apprendre, il sait y faire.

- Tout me semble nickel, fit Chloé qui regretta sa phrase quand elle vit son interlocuteur tiquer sur le mot. Vous êtes monsieur ?

- Marchand, Olivier Marchand, et vous ?

- Chloé...hmm...Leclerc.

La jeune femme soupire intérieurement. Comment n'avait-elle pas pu anticiper cette question ? C'était le premier nom qui lui était sorti de la tête, et comme Charles devait être son cousin, il fallait bien qu'ils aient le même nom tous deux.

- Tout est en règle, me semble-t-il, je passerai chez votre cousin pour qu'il me valide le contrat. Je devrais passer dans l'après-midi le temps d'en trouver une copie vierge. Au plaisir, mademoiselle Leclerc.

Puis Chloé sortit de la pièce. Quand elle fut sur le palier de l'escalier en bois, elle ne put s'empêcher de sourire et de serrer le poing comme une victoire. Travailler lui semblait bien anodin,et, en descendant les escaliers pour retourner chez Charles, elle s'interrogea sur le fait que si un jour elle parvenait à retourner chez elle, pourrait-elle écrire sur son CV qu'elle avait travaillé dans cette usine ? Cette pensée la fit sourire tout au long du voyage retour. Mais le lundi suivant allait effacer de son visage ce joli sourire. 

L'avenir au passé, Tome 1Where stories live. Discover now