Léonie • « Au gré de l'océan »

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— Mais, je devais m'occuper de votre frère ! protesté-je d'une voix rauque.

Je m'accroche à sa chemise, mais ma poigne est faible et la nausée me submerge de nouveau. J'ai peur de salir le coton blanc du tissu et de couvrir Narcisse de honte et de vomissure. Alors qu'il m'allonge sur un matelas peu confortable. Mais au moins, les draps sont frais et ça m'aide déjà à me sentir un peu mieux ! Je roule sur le côté, toujours aussi pâle. Narcisse s'installe sur une chaise près de la couchette et pose une main froide sur mon front. Ou alors, j'ai beaucoup de fièvre. Un petit sourire étire ses lèvres fines.

— Mes sœurs sauront s'occuper de Laurent le temps de la traversée. Tu dois d'abord te rétablir. Ça sera rapide une fois que tu auras retrouvé la terre ferme. De toute façon, on n'est jamais mieux sur terre que sur l'océan. Alors, cesse donc de te fustiger pour ça, personne ne t'en veut.

— C'est insupportable... J'ai l'impression... que ça bouge, dans tous les sens... Ça tangue tout le temps.

— Essaie de penser à autre chose, ça aidera à atténuer ton mal. À force d'imaginer des roulis, tu vas...

Je ne sais pas s'il a deviné, si quelque chose sur mon visage lui a lancé un signal suffisamment clair. Mais à peine eut-il coupé sa phrase que je me retrouvais le nez au-dessus d'un bac, à rendre ce que mon pauvre estomac ne pouvait finalement pas garder. Sa main dans mes cheveux, Narcisse retient mes longueurs pour éviter que je me souille plus encore.

La honte m'assaille sans vergogne et baisser mon regard n'est pas suffisant pour me soustraire à l'indignité qui m'envahit, ce n'est pas suffisant pour m'invisibiliser. Quel embarras d'être ainsi devant le fils aîné de mes nouveaux employeurs ! Un gémissement plaintif s'échappe de mes lèvres et je détourne le regard.

— Je reviens dans un court instant. Ne bouge pas !

— Vu mon état, je ne risque pas d'aller bien loin...

Il me lance un sourire amusé, mais ne répond rien. Il se lève et quitte la cabine, me laissant seule à mon mal-être. Je tente de retirer mon corset, mais mes bras pèsent une tonne. Chaque mouvement est compliqué et j'abandonne ma tâche ; l'élargir sera déjà plus agréable. J'ai tout juste la force d'ôter mes chaussures et mes bas, avant de me glisser sous le drap. J'oscille entre les nausées et l'envie de dormir, même si c'est beaucoup moins intense que lorsque j'étais sur le pont principal du navire. Le retour de Narcisse dans la pièce m'empêche de sombrer.

— Nous n'arriverons que dans une demi-heure au port, en attendant, j'ai dit à Mère que je prendrai soin de toi.

En temps normal, j'aurai haussé un sourcil, mais là, je n'en ai même pas la force. Roulée en boule sous le drap, il dépose une couverture de plus.

— Tu ne dois pas attraper froid.

— Pourquoi faites-vous ça ? Ce n'est pas la première fois que je suis malade, je peux m'occuper de moi-même...

Narcisse me dévisage un instant, comme si je venais de dire la pire idiotie du monde. Une bien étrange expression passe dans ses iris sombres et ses lèvres s'entrouvrent. Il veut parler, mais semble se raviser. Ses mains plongent dans un bac d'eau qu'il a rapporté. Il y mouille un linge, qu'il essore, avant de le poser sur mon front.

— Je suis le plus à même ici à pouvoir prendre soin de toi, tu peux me faire confiance !

Même si je ne le voulais pas, je n'ai pas tellement le choix. Nous ne parlons pas. Entre moi qui suis malade et lui qui... qui quoi, d'ailleurs ? Je l'observe parfois, à la dérobée, mais je suis dans l'incapacité de déchiffrer les expressions dans son regard. Il écrit dans un carnet, me jette un coup d'œil, vérifie ma température. Et moi, allongée, je me sens mieux. La sensation d'être ballotée de tous les côtés se calme, mes nausées s'amenuisent, mais mes paupières restent lourdes.

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