• Interlude

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Le soleil, éclatant de majesté, ne fait que signer les longues heures qui me séparent de lui. Les journées sont longues, mornes, ennuyeuses. Même les livres que je lis me semblent fades. Ils ont perdu de leur saveur et de cette magie que je leur conférais. Désormais, je m'ennuie, de ce même ennui qui traverse les temps, les époques et afflige sûrement nombre de mes pairs.

Mais Dieu, que je me fiche d'elles ! Des ces femmes de la Cour et autres aristocrates qui ne pensent qu'à bien se faire voir. J'étais sûrement comme elles, il y a peu, à tenter d'attirer l'attention de Son Altesse, dans le seul objectif d'obtenir des faveurs qui auraient été bénéfiques pour ma famille. Jusqu'à ce qu'il apparaisse dans ma vie et hante mes jours autant que mes nuits.

— J'ai tout de même bien hâte de rencontrer votre ami, ma chère ! Les premières rumeurs courent déjà et l'on dit qu'il fait preuve d'une élégance et d'un raffinement à en couper le souffle !

Plongée dans des pensées bien peu catholiques, plusieurs secondes sont nécessaires pour que je réalise que l'une de mes amies me parle. Je ne suis pas certaine de comprendre ce qu'elle me dit, mais le ton de sa voix, fort peu équivoque, provoque en moi une profonde bouffée de chaleur.

Mes ongles galopent nonchalamment sur le bois de la table entre nous deux. Apolline me regarde sans ciller, ses lèvres tordues en un sourire avide que je lui reconnais bien quand elle a envie d'étancher une soif bien particulière. Je roule des yeux et m'empare de mon éventail.

— Nous verrons bien. Il doit faire une longue route depuis Alensir et vous comprendrez bien qu'il désirera sûrement se reposer plutôt que de participer à une soirée. Peut-être demain.

Je me redresse dès lors, le sourire désormais agacé d'Apolline suit mes mouvements. J'incline délicatement la tête à son encontre, lui signifiant par mon silence de la fin de notre entrevue. Je ne la verrai pas ce soir et cela ne m'attriste que bien peu. Apolline n'est, ni plus ni moins, qu'une personne que je considérerais comme une dame de compagnie, ce qui est réducteur, qu'on se le dise.

Je ne regarde pas ce qu'il se passe autour de moi. Le domaine est en effervescence, signe que mes parents sont sur le départ pour la Cour. Cette fois, j'ai décliné l'invitation ; le jeune roi devra se passer de ma présence pour illuminer sa soirée, j'ai bien plus intéressant à faire. Au détour d'un couloir, alors que j'étais sur le point d'arriver à ma chambre, une servante m'informe que le carrosse est arrivé et que ma famille va bientôt partir.

Un léger soupir s'échappe de mes lèvres. Plus que quelques instants avant d'être libérée autant de la présence sournoise d'Apolline, qui trône un peu trop sur le domaine à mon goût, que de mes parents.

Je peine à cacher l'impatience qui me ronge, tandis que le soleil décline un peu plus. Il se rapproche de la fin de sa course et Mère se rend compte que je ne suis aucunement à ce qu'elle dit. Elle sourit, attendrie, et m'enlace finalement, me recommandant d'être prudente.

— Je le serai, Mère, je vous le promet.

— J'ose croire qu'un jour vous nous présenterez votre mystérieux prétendant, s'agace tout de suite Père. Il commence à être difficile de faire fi des rumeurs et...

La main gantée de Mère se lève, coupant la parole de Père, et je réprime un léger sourire.

— Cessez donc de tourmenter notre fille et allons-y ! Nous aurons tout le loisir de reparler de cette affaire tantôt.

Elle se tourne vers moi, alors que Père s'introduit déjà dans le carrosse, l'air revêche. Elle m'enlace une nouvelle fois et souffle à mon oreille :

— J'espère que ton voyage se fera en toute sécurité. Ecris-nous lorsque tu seras arrivée ! Et prends un pigeon ! Le blanc, il est plus fiable que les autres.

Mes doigts se posent sur les hanches de ma mère et je la pousse avec douceur. Si elle continue, elle ne partira jamais. Je vois son visage une dernière fois et ce n'est que quand le carrosse est loin que je laisse éclater l'excitation qui me taraude. Si je pouvais courir pour me rendre à ma chambre et vérifier que mes propres toilettes étaient bien prêtes, je le ferai. Mais, on m'a toujours éduquée à ne montrer aucune précipitation... en tout cas, quand je suis à Orléans !

Quand j'aurai quitté le domaine, avec lui, je pourrais être plus naturelle. C'est un peu ça qu'il m'offre ; un semblant de liberté. Je supervise la préparation de mes toilettes, m'interrogeant quand même sur les demandes de mon ami : il exige de venir me chercher jusqu'au domaine à chaque fois que nous pouvons passer un instant ensemble.

Je sélectionne quelques tenues, notamment pour l'équitation, lorsque je sens quelque chose se frotter à mes chevilles. Un sourire tendre effleure mes lèvres et je secoue la tête. Non loin de moi, un chat aux longs poils blancs s'éloigne et je m'amuse à le suivre. Je suis tout particulièrement adepte de ce genre de jeu.

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