La Tour d'Ivoire - Tome 1

Le Palais d'Emeraude, partie 1

***

Cela faisait maintenant trois jours que nous avions quittés Amidror, deux nuits déjà passées à dormir dehors, cela faisait bien trop pour moi. Moi qui avais grandi dans un palais, je n'avais pas du tout l'habitude de telle condition de vie. Je ne tiendrai pas un jour de plus. De plus, le silence de mes amis commençait vraiment à me poser. Oh, Gabriel, Elina et Raphaël étaient venus me parler quelques fois, mais c'était sur le dos de Seth que mes yeux restaient fixés, j'espérai qu'il sentait mon regard assassin sur lui.

Il ne m'avait plus parlé depuis ce qu'il s'était passé à Narda, aucun mot sur notre dispute, sur ce que nous avions entendu là-bas, ou bien sur ce qu'il m'avait dit lorsqu'il avait cru que nous allions nous faire prendre. Rien. Pas le moindre mot. J'avais l'impression de n'être qu'un vulgaire poids à ces yeux, et pourtant... pourtant, ce jour-là, dans cette cave, il avait été prévenant avec moi, m'avait regardé avec respect et... Tendresse.

Voyant ma mine morose, Elina me rejoignit, prenant la place de Myriam qui était de corvée de veiller sur ma monture et moi. D'un signe de tête, Elina fit comprendre à Myriam qu'elle pouvait partir, elle ne s'en fit pas prier et partit rejoindre la tête de file.

-Comment vas-tu, Lévana ? Tu n'as pas dit grand-chose depuis notre départ, même les taquineries de Raphaël t'ont laissé de marbre, ce qui n'est pas dans ton habitude.

Ah... peut-être n'était-ce pas les autres qui étaient froids en fin de compte, mais moi, tout simplement.

-Je vais bien, répondis-je, c'est juste que... (Je secouai la tête.) Peut-être ne suis-je pas en droit de me plaindre, mais cela fait trois jours que vous me trainez à travers tout le pays et je ne sais même pas où nous allons.

Elina grimaça.

-Certains d'entre nous ne voulaient pas que tu saches.

Je sentis la colère monter en moi. Ils n'avaient pas confiance en moi, ils ne m'accepteraient jamais. Je serai à jamais une sans Nation, sans famille, sans chez-moi. J'aurais pourtant dû m'en douter, en quittant la Tour, en quittant mon héritage je perdrais tout. Si je quittais Ayaan, rien de meilleur ne m'attendrait dehors. Pourtant, j'avais pris ce risque.

-Qui ? Si je puis me le permettre.

Elina se contenta de me regarder dans les yeux. Ses iris étaient d'un vert éclatant, les mêmes yeux que son cousin, à la différence que les siens me regardaient avec chaleur. Son cousin... Seth. Je compris tout de suite qu'Elina parlait de lui. Et surement de sa fidèle amie Néhora.

-Je vois, grommelai-je en me renfrognant, rien d'étonnant.

Elina rit sous cape devant ma réaction.

-Je ne m'inquiète pas pour toi, Lévana Sildek, tu pourrais faire plier tous les hommes à ta volonté, et mon cher cousin n'échapperait pas à la règle.

Étonnée, je me retournai vers elle. Elle me regardait avec intensité.

Ce n'était pas Lévana Sildek qui pliait les hommes à sa volonté, mais Era Eléazar. Et je ne comprenais pas comment Elina avait pu entrevoir cela dans la pâle et faible Lévana.

Elle sourit devant mon incompréhension, puis me désigna du menton.

-Je ne suis pas du genre à m'attarder là-dessus habituellement, mais ta beauté est évidente. (Elle secoua la tête.) Je vois bien que tu caches ta beauté, je ne sais pas pourquoi et honnêtement, je ne veux pas le savoir, je te fais confiance, mais tu ne peux cacher la splendeur de tes traits. Je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi magnifique que toi, Lévana Sildek, peut-être est-ce la Tour qui rend les gens si beaux, même les domestiques...