La Tour d'Ivoire - Tome 1

Les retombés d'ivoire

            Ils avaient tous les yeux brillants, une bouteille d'alcool à la main, et probablement une bonne dose de drogue dans le corps.

            Elle regarda les jeunes autour d'elle, qui dansaient, se saoulaient, se droguaient, s'embrassaient. La majorité avait l'emblème des Malkam visible sur leur vêtement, ou alors en collier, en bracelet. La mode était lancée...

            Mais l'alcool ne pouvait pas cacher la lueur de tristesse profonde et de désespoir au fond de leurs yeux brumeux. Iris constata que ceux qui buvaient et se droguaient le plus n'étaient pas ceux qu'elle croyait, ceux qui avaient été anéantis par la perte de leur liberté. (Et elle en connaissait, bien que personne n'osait le dire.) Non, c'était les plus fervents, les plus dévoués à Melech. Lesquels étaient les plus à plaindre en fin de compte ? Lesquels souffraient le plus ? Les choses n'étaient jamais aussi simples qu'on le pensait...

            Lys était dans un état lamentable, bien qu'elle eût conservé sa grâce habituelle. Pour une fois, Iris eut pitié d'elle. Lys venait de perdre son frère, Abel, assassiné par Ayaan lui-même, parce que par sa faute, Era avait pu s'enfuir. Évidemment, c'était la version non officielle, pas même Lys ne savait véritablement pourquoi son frère avait été exécuté. La raison officielle était qu'il avait désobéi à un ordre bénin. De nos jours, une simple faute comme celle-là était passible de peine capitale, ainsi personne ne s'en était offusqué lorsque Ayaan Malkam avait servi cette pitoyable excuse.

            Iris avait pensé qu'après cela, Lys se détournerait d'Ayaan, qu'elle poursuivait de ses assiduités depuis des années dans le but de devenir reine, ce que sa mère n'avait jamais réussi à faire, elle qui avait été la maitresse de Melech, avant qu'il ne rencontre Séraphina. La mère de Lys avait élevé sa fille dans le but qu'elle réussisse ce qu'elle n'avait jamais pu faire, devenir une Malkam. Pourtant, même après qu'Ayaan eut assassiné son frère de ses mains, elle n'avait pas renoncé, au contraire, depuis la disparition d'Era, elle ne le quittait plus.

            -Je disais justement à quel point les choses se passaient bien entre le prince Ayaan et moi. Les noces seront pour bientôt.  

            Un des garçons présents, un des seuls qui ne portait pas l'emblème des Malkam, haussa un sourcil interrogateur. Iris le connaissait bien, comme tous les autres présents d'ailleurs, il s'appelait David.

            -Vraiment ? Permets-moi d'en douter, Ayaan n'aime qu'une seule personne et c'est Era Eléazar. Tout le monde le sait. Il l'aime depuis toujours et il en sera toujours ainsi.

            Aïe. Ce n'était pas la bonne chose à dire à Sa Majesté Evaren.

            Lys plissa les yeux de colère.

            -C'est prince Ayaan, je te rappelle David. Détrompe-toi, depuis sa disparition il s'est rendu compte à quel point elle était futile, et à quel point moi je comptais pour lui.

            -Et la princesse Era ? contra David. Elle reste sa femme. Nous connaissons tous assez le prince Ayaan pour savoir que jamais il ne renoncera à la retrouver, qu'il l'aime ou non.

            -Dois-je te rappeler qu'elle s'est fait enlever par ceux d'En Bas ? Ces monstres cannibales ? Jamais elle ne reviendra. Jamais Era Eléazar ne reviendra vivante ici. Elle est surement déjà morte à l'heure qu'il est.

            Iris sourit intérieurement. Évidemment, personne ne savait qu'Era s'était enfuie, qu'elle avait préféré risquer sa vie dehors que de devenir la femme d'Ayaan Malkam. Comment réagirait le peuple en sachant que sa future reine préférait tenter sa chance dehors ? Des émeutes, une rébellion. Non, la version officielle disait qu'Era avait été enlevé par ceux d'En Bas, aidé par les Souffleurs de Rêves. Tout d'abord, Iris n'avait pas compris pourquoi les Malkam avaient choisi de dire cela à la population, cela ne risquerait-il pas de semer la révolte dans le peuple ? Lorsqu'elle avait posé la question à Ayaan, il s'était contenté de sourire.