ACTE 3-N'OUBLIE PAS D'ESPÉRER✨Grise

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🎧 𝑾𝒉𝒆𝒓𝒆'𝒔 𝒎𝒚 𝒍𝒐𝒗𝒆, 𝑺𝒀𝑴𝑳 🎧

Recroquevillée dans la place près de la vitre, je scrute mon emploi du temps, dans l'espoir que personne ne va m'apercevoir

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Recroquevillée dans la place près de la vitre, je scrute mon emploi du temps, dans l'espoir que personne ne va m'apercevoir. Sortie scolaire avec les quatrièmes B. La classe de Camille. Elle n'est pas là aujourd'hui, et son halo doré me manque terriblement. Et toujours mes remords qui se répètent. Tu l'as abandonnée, tu l'as abandonnée, tu l'as abandonnée. Penser à autre chose, vite. Tiens, après la sortie, j'ai fini les cours. Je sais déjà où vont me diriger mes pas : la butte du Jardin des Pl antes. Après avoir perdu Camille, mon refuge de verdure et mon dernier rempart contre la cruauté du monde.

- On a SVT, non, après ?, interroge une fille de l'autre classe.

Je reconnais la voix, musicale mais méprisante. Mia. Ma 'meilleure amie', la fille que je suis entre les cours et dans la cour, de loin, pour ne pas avoir l'air complètement perdue. Je me recroqueville un petit peu plus. Les fauteuils du car dégagent une odeur rance de sueur et de renfermé. Les housses à motif sont craquelées de partout et une sorte de mousse jaune en sort. J'en chope un bout : râpeuses sous mes doigts, les brides rêches s'effritent avec une rapidité inquiétante. Si tous les fauteuils sont rembourrés avec ce... truc, ça promet.

- C'est douteux visuellement, mais très confortable.

Dans la rangée d'élèves qui avancent vers le fond du bus, un garçon me lance un clin d'œil. Je réponds du tac au tac.

- J'en doute. Qui a dit que la mairie consacrait du budget à l'entretien des bus scolaires ?

Pressé par les multiples « avance ! » qui résonnent derrière lui, le garçon soupire et continue à avancer dans la rangée. Mais la voix aigre de la prof d'art plastiques l'interrompt.

- Alwann, tant que tu y es, assieds-toi à côté de Grise !

Il soupire et se laisse glisser sur le siège à côté de moi. Il n'a pas l'air très malheureux de se retrouver à côté de moi, je me demande pourquoi. N'importe quel adolescent sensé rechercherait la compagnie de Mia ou Adria, pas la mienne. Revenons au dénommé Alwann. Grand, brun, peau mate, regard indéfinissable, nuance des pupilles entre chocolat et café, il ne manque pas de charme. Pendant que mon inconscient analyse tous ces détails de son apparence, je rassemble mes maigres connaissances sur le dénommé Alwann, dans l'espoir de mener une conversation potable. Quatrième B, le groupe d'Adria et de Mia. Populaire, donc. Pas sûr que lui parler soit une bonne idée, tout compte fait. Soudain les pièces du puzzle se mettent en place dans ma tête. Alwann, quatrième B, Adria. Bien sûr. C'est lui que le prof de SVT bigleux a appelé 'jeune fille', c'est sur lui que courent les chuchotis dans les longs couloirs depuis hier, c'est sur lui que se murmurent les rumeurs de transgenre. Je les connais, comme tous les autres. Comme tous les autres, j'ai liké la vidéo montrant le prof qui l'interpelle. C'est stupide, puéril. Mais qu'auraient dit les autres si je ne l'avais pas fait ? Parfois, j'ai honte de ma propre lâcheté.

- La mairie nous accorde le budget de la sortie scolaire, c'est déjà ça, dit-il après un long silence.

Je décide d'être franche, limite sarcastique. Mon masque de désillusion. C'est plus facile comme ça.

- Tu te trompes. Les Machines de l'Île sont un investissement de la mairie, donc « en partenariat avec le collège Gaston Serpette » sonne bien dans leur prospectus. C'est tout.

Il me dévisage plus intensément. J'en suis presque gênée. Je n'ai plus l'habitude d'être regardée de la sorte, comme s'il il n'existait plus personne au monde. D'ordinaire, les regards glissent sur moi comme un miroir d'eau.

- Le monde est si pourri que ça ?

Là, je connais la réponse.

- Une terre noire de malheurs et de désespoir, je chuchote, ça te suffit ?

Je le scrute, à l'affût de la réponse à ma question insolente. Ce n'est pas du tout le genre de chose à demander à un populaire. Pourtant, pendant un instant, ses yeux se font vide, son regard devient terne. Je vois des hésitations, et quelque chose qui vacille derrière son masque.

- Non, finit-il par clamer comme un étendard, d'une voix claire de rêveur. Non, ça ne me suffit pas.

Je souris dans l'ombre. Intéressant. Il brandit sa révolte devant moi comme on brandirait son dégoût. Il n'est peut-être pas aussi idiot/macho/borné que les autres garçons. Ou peut-être qu'il ne fait que jouer avec moi, qu'il m'étale sa philosophie pour mieux me mépriser. Mais, à force de côtoyer Mia, je sais jouer à ce jeu-là, moi aussi. Je décide de le tester.

- Vraiment ?

Vraiment, c'est gratuit, c'est facile à dire, et ça ouvre tellement de portes qu'une vie ne suffirait pas pour les conter. Et lui, quel porte va-t-il ouvrir ?

- Vraiment.

Silence. J'attendais mieux.

Puis il ajoute :

- Nous vivons dans un monde où on ne peut même pas être nous-même. Un monde de masques.

Le car s'arrête. Cris d'excitation des soixante quatrièmes présents. C'est plein de silence, un cri.

- Je ne te demande pas comment tu t'appelles, conclut-il.

Et il s'en va, comme il en était venu, mais en me laissant avec une porte ouverte, et plus de questions encore.

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