Chapitre 17

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Les mois passèrent, marqués par les épreuves qui se succédaient. Les candidates avaient dû apprendre à organiser des réceptions, s'occuper de collectes de fonds, et d'autres tâches et devoirs qui incombaient à une reine. Et chaque fois, leur nombre diminuait. Sur les vingt-quatre, il n'en restait désormais que dix. Chacune d'entre elles avait su se démarquer par son intelligence, sa maîtrise des leçons reçues, mais surtout grâce au soutien que leur conférait leur ascendance. Parmi les ministres, des alliances se faisaient, évoluant sans cesse après chaque élimination.

Les familles mettaient tout en œuvre dans le but que leur favorite remporte la victoire, allant jusqu'à recourir à l'utilisation de pot-de-vin. Elles mettaient aussi une partie de leur fortune dans la mise en place de bonnes œuvres visant à se faire bien voir par la population. Les votes étaient à chaque fois très serrés et Leïla passait épreuves après épreuves de justesse car elle ne pouvait compter que sur le soutien du peuple et d'un nombre restreint de ministres. Elle arrivait cependant à se démarquer grâce à son originalité et le souci qu'elle avait des autres. Elle était heureuse d'être encore dans la course, mais savait qu'à la moindre erreur de sa part, c'était la porte assurée.

Elle avait également passé toutes ses soirées aux côtés de Jamal, seuls moments où elle avait pu enfin se détendre. Si bien qu'elle avait fini par attendre ces instants avec beaucoup d'impatience et la présence de l'homme y avait été pour beaucoup. Plus les jours passaient, plus son estime et son amour pour lui avaient grandi. Mais elle s'était efforcée de ne rien laisser paraître. Puisqu'il avait été très clair, il voulait une reine pas une épouse. Et elle n'avait pas voulu que son cœur souffre d'une désillusion certaine. Cependant, elle avait réussi à gagner son amitié et cela lui procurait un grand bonheur.

Elle pensait souvent à ce que serait sa vie à ses côtés. Ils étaient en parfaite harmonie sur beaucoup de sujets rendant leur collaboration facile. Elle aimait leurs désaccords durant lesquels elle pouvait défendre son point de vue en lui opposant ses arguments qu'il réfutait la plupart du temps. Remporter ces joutes verbales lui procurait une intense satisfaction si bien qu'elle avait remarqué qu'il s'amusait à la contredire pour finir par se ranger de son avis qui était le même depuis le début. Il était tellement attentionné et attentif envers elle qu'elle n'en était que plus tombée amoureuse. Elle avait l'impression de subir un envol de papillon au creux de son ventre à chaque fois qu'il agissait ainsi.

Mais un sujet ne cessait de la terrifier, telle une ombre noire au milieu de son océan de bonheur. Elle avait terriblement peur de partager sa couche et de devoir lui donner un enfant. Y penser suffisait à la faire frissonner. Elle connaissait la théorie, après tout elle avait grandi entourée d'hommes et beaucoup avaient oublié qu'elle n'était encore qu'une jeune fille vierge et innocente lorsqu'ils narraient leurs prouesses sexuelles.

Elle avait également vu des hommes nus et cela avait suffi à lui couper toute envie d'avoir des relations intimes. Cette pensée lui donnait des sueurs froides. Et plus le temps passait, plus elle angoissait. Elle n'osait pas en parler avec lui, de peur qu'il se moque d'elle ou qu'il le prenne mal. Mais quand elle voyait la détermination dont il faisait preuve, souhaitait ardemment la voir devenir sa reine, elle ne pouvait s'empêcher de paniquer. D'autant qu'il n'était pas le seul à lui rappeler son destin.

Tout le personnel du château partageait ce souhait et n'hésitait pas à le lui faire savoir que ce soit en paroles ou en actes. Elle était malheureuse et les brimades incessantes qu'elle subissait de la part de ses rivales ne lui pesaient que d'avantages. Elles la méprisaient à cause du crédit et de l'attention dont elle faisait l'objet et pas une journée ne passait sans qu'elle soit victime de leurs persécutions.

Jamal avait conscience du mauvais traitement dont elle était la cible. Il ne pouvait cependant rien faire sans que cela la pénalise. Il était rongé par la frustration et ne cessait de regretter de l'avoir embarquée au cœur de toute cette histoire. Il aurait aimé avoir trouvé une meilleure solution afin d'arriver à ses fins, mais aucune de celles qu'il avait proposées n'avait obtenu gain de cause. Il était toutefois attristé par la façon dont les autres princesses la traitaient et il avait un jour discuté avec elle, voulant savoir ce qu'elle en pensait.

Elle lui avait répondu être désormais habituée et en cela il avait détesté connaître la réponse. Elle avait réussi à le rassurer en tournant tout ceci à la dérision et ils passaient leurs journées à parier sur ce qu'elles allaient encore inventer. Jusqu'à présent elle avait eu le droit aux araignées, aux scorpions, aux serpents, aux poisons et tout un tas de tentatives de sabotages de ses travaux. Ils étaient ex æquo sur leurs prédictions, ce qui les amusait beaucoup. Même là, ils se complétaient.

Il avait toutefois paniqué à la première tentative d'empoisonnement et fut quelque peu rassuré d'apprendre qu'elle possédait une résistance aux poisons. Il n'avait cependant pas pu s'empêcher de lui faire la morale lorsqu'il avait compris qu'elle l'avait acquise en en consommant à petites doses depuis sa plus tendre enfance, afin d'en déterminer les différents effets et être mieux à même de les utiliser. Cela l'avait profondément perturbé qu'elle puisse ainsi mettre volontairement sa vie en danger. Les bestioles venimeuses ayant été son lot quotidien dans son travail, elle n'avait même pas réagi en les voyant coloniser sa chambre. Mais craignait qu'une de leurs tentatives ne mettent la vie du roi en danger et cette perspective la glaçait d'effroi.

Quant à lui, il se sentait égoïste de l'obliger à vivre cela parce qu'il avait voulu l'épouser alors qu'elle ne semblait pas porter beaucoup d'intérêt à la question. À chaque fois qu'ils avaient abordé le sujet du mariage, elle s'était brusquée et la peur figeait ses traits. Il ignorait quelle en était la cause et à chaque fois qu'il avait cherché à savoir, elle s'était brusquement fermée, refusant toute discussion. Et à son plus grand désespoir, plus ils se côtoyaient, plus son amour envers elle grandissait. À ses côtés, elle avait gagné en maturité et il était émerveillé de la façon dont elle était capable de débattre sur presque n'importe quel thème sans se démonter. Elle passait beaucoup de temps enfermée au sein de sa bibliothèque réfléchissant à son projet d'aménagement des zones défavorisées.

En quatorze mois, elle avait fait un travail remarquable et le pourcentage de sans abris avait considérablement chuté sur l'ensemble du royaume. Elle avait reconfiguré leurs habitations avec l'intention de les rendre plus grandes, plus solides et plus accueillantes. Elle avait aussi longuement conversé en compagnie des médecins du palais qui avaient été vivement intéressés par ses recherches effectuées à partir des moisissures bleues. Elle avait contribué à la création d'un laboratoire de recherche en médecine et en pharmacologie où des scientifiques de tous le pays se réunissaient régulièrement afin d'échanger sur leurs différents travaux et réaliser de nouveaux projets.

Sa problématique actuelle était de trouver le moyen de permettre à tous et à toutes d'avoir accès à l'instruction indépendamment de leur origine sociale et de leur âge. Elle portait le rêve que l'instruction soit, un jour, gratuite et accessible à tous. Il l'admirait sincèrement à cause de tout ce qu'elle faisait. Il était soulagé de l'avoir à ses côtés et sa présence suffisait à lui donner le courage nécessaire afin qu'il traite les questions les plus délicates auxquelles elle n'était pas encore formée et donc ne pouvait pas l'aider.

T01-L'intrépideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant