Chapitre 22

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Leïla prit son temps dans son bain. Elle était encore percluse de courbatures après la nuit fiévreuse qu'elle venait de passer. Elle se laissa flotter à la surface, profitant du silence environnant. Elle fixait le plafond formé d'arabesques de couleur crème. Les clapotis de l'eau avaient sur elle un effet apaisant tel des caresses sur son corps endolori. Elle savoura la sensation encore quelques minutes avant de se décider enfin à sortir du bassin. Elle s'étira de toute sa longueur, cherchant à se réveiller.

Elle enfila la robe qu'elle avait sélectionnée et se plaça derrière sa coiffeuse pour démêler ses cheveux et les tresser en une couronne qu'elle agrémenta de petite fleurs en diamant. Elle choisit ensuite une rivière de lapis-lazuli et d'argent. Elle se maquilla avec du khôl, dessinant un trait fin sur sa paupière. Elle peint ses lèvres de rouge. Elle observa son reflet dans son miroir et fut ravie du résultat. Elle devait se mettre dans la peau d'une reine pour la suite de son programme et son allure y correspondait parfaitement. Elle se releva, attrapa la boîte de thé empoisonné que Jamal avait laissé sur le lit après qu'on en ait analysé un échantillon, et partit affronter les dindes qu'elle savait trouver au cœur du sérail.

Elle les trouva toutes attablées autour d'une petite collation près de la fontaine à la mosaïque paon. Elles étaient assises sur des coussins, Émilira en leur centre qui trônait sur une espèce de trône d'or, les dominant de sa hauteur. Un tapis blanc était étalé sous leur pied et une multitude de victuailles étaient disposés un peu partout dessus. Son adversaire la regardait moqueuse, vêtue de l'une de ses robes presque transparente qui en dévoilait plus qu'elle n'en cachait.

« Et bien, il semble que tu sois en forme, comme je le pensais, les gueux peuvent résister à ce genre de poison avec toute les saletés qu'ils attrapent dans la rue »

Sa répartie la fit rire ce qui provoqua l'hilarité de ses compagnes. À cet instant précis, Leïla trouva frappante leur ressemblance avec des dindes, le son qu'elles produisaient était très similaire à leur cri. Elle ne se laissa pas démonter par leur moquerie et se campa droite devant elles, les bras croisés sur son torse, la boîte de thé dans sa main droite, prête à les affronter dans un duel verbal acharné.

« Ainsi donc, c'était vous, princesse Émilira. »

Elle décroisa ses bras et ouvrit la boîte contenant le thé empoisonné.

« Alors tenez, je vous le rends ! »

Elle lui lança, d'un mouvement souple du poignet, la totalité du contenu en plein dans sa figure.

« Que ... Que fais-tu, insolente ! »

Émilira se redressa d'un bon, s'époussetant le corps avec des gestes brusques, sautillant sur ses pieds afin de se débarrasser du poison. Elle lui adressa un regard noir, scandalisée par sa réaction. Elle serra ses poings et s'apprêta à déverser son dégoût quand Leïla lui coupa la parole pour les gronder.

« Cessez de vous comporter de façon immature ! »

Elles la regardèrent surprises et choquées par ses propos. Elles fulminaient. Émilira se positionna devant elle, les bras croisés, le menton relevé dans une attitude hautaine.

« Je la princesse héritière du royaume de Cheim ! Alors reste à ta place. Comment oses-tu t'adresser à moi de la sorte. Tu dois faire preuve de respect envers ma personne.

- Dans ce cas, que dites-vous de ce que vous avez fait ? Le roi prend le thé avec moi tous les soirs. Et hier ne faisait pas exception. Ce n'était que par un heureux hasard si j'ai bu ma tasse avant lui. Sans cela, il serait mort aujourd'hui ! »

Leïla grondait de colère au souvenir de la peur qu'elle avait ressentie à ce moment-là. Ses yeux lançaient des éclairs et elle rêvait de l'étrangler. Sa rivale faisait remonter tout ce qu'il y avait de plus mauvais en elle. Elle ne se considérait pas comme une personne violente mais face à cette péronnelle imbue d'elle-même elle se surprenait à vouloir lui refaire son portrait de la manière la plus violente et douloureuse qu'il soit.

« Tu ... Tu ... De quel droit me fais-tu la morale ? »

Sa colère explosa et elle s'avança d'un pas devant elle.

« Le droit !? Protéger le roi est le devoir de chacune des personnes vivant dans ce sérail ! Si vous n'avez même pas encore compris cela, sortez et partez d'ici, tout de suite ! »

Elle accompagna ses paroles d'un geste du doigt pointant vers la sortie.

« Comment oses-tu !? »

Émilira avait les joues rouges écarlates et l'on pouvait presque voir de la fumée sortir de son nez et de ses oreilles tant elle fulminait. Leïla se recula d'un pas, remettant de la distance entre elles. Elle croisa à nouveau ses bras contre son torse et la dévisagea avec condescendance pour lui faire comprendre à quel point sa réaction était stupide.

« Que tu ne comprennes pas quel est le rôle d'une reine, Émilira est un fait. Mais aller jusqu'à mettre la vie du roi en danger, est un crime puni de la peine de mort !

- Je serai la reine ! »

Elle avait hurlé ses dernières paroles de toutes ses forces.

« Non ! Tu ne le seras jamais ! Comment peux-tu espérer le devenir alors que tu ignores tout des devoirs qui incombent à cette position.

- C'est faux !

- Eh bien, dit-moi ! Dis-moi ce qu'être une reine veut dire ? »

Elle se redressa de toute sa hauteur, elle afficha un air supérieur, persuadée de la pertinence de sa réponse.

« Une reine se doit d'être belle et élégante en toute circonstance. Elle doit tout mettre en œuvre pour soigner son image car elle représente son royaume. Elle doit savoir se faire respecter, quitte à agir par cruauté pour se faire obéir. Une reine est en tout point supérieur au peuple et ne doit jamais hésiter à le lui rappeler. Une reine doit savoir montrer ses atouts afin de toujours séduire le roi à qui elle doit donner des héritiers. Une reine ne doit jamais se mêler de la politique car ce sont les affaires des hommes. Une reine se doit d'être une bonne hôtesse et capable de réaliser des réceptions somptueuses. Une reine ... »

Leïla la regardait la bouche ouverte, choquée par les propos qu'elle tenait. Elle avait cessé d'écouter le flot d'inepties qu'elle proférait. Elle observa les autres femmes présentes et les vit l'écouter avec révérence, acquiesçant à ses propos. Elle reporta son attention sur l'oratrice qui déclamait encore son discours et fut sidérée par l'assurance qu'elle affichait. Comment pouvait-on être aussi égoïste et imbue de soi-même ? Elle la coupa dans son élan et se positionna à nouveau sous son nez. Elle maudissait en cet instant sa petite taille qui l'obligeait à lever les yeux vers elle.

« Une reine se doit de faire passer le bonheur de son peuple avant toute chose. Une reine se doit de veiller sur ses sujets comme si chacun d'eux étaient aussi précieux que son propre enfant. Une reine se doit de soutenir le roi en tout temps, de ne jamais lui faire d'ombre. Une reine doit être prête à mourir pour chaque habitant de son royaume. Es-tu prête à cela, Émilira ? Mesures-tu l'ampleur du sacrifice qui accompagne la couronne ? Je n'en suis pas si sûre ... »

Elle laissa sa phrase volontairement en suspens et s'adressa ensuite à l'assemblée figée à ses côtés.

« Et cela vaut pour chacune d'entre vous. »

Elle les désigna une par une du doigt.

« Être reine ne veut pas dire luxe, privilège et reconnaissance. C'est synonyme de devoir, droiture et altruisme. Alors réfléchissez bien à la suite. Posez-vous la question de savoir si vous êtes réellement prête à sacrifier votre vie au nom d'un royaume ou si vous préférez choisir de vivre choyées dans un foyer fortuné. »

T01-L'intrépideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant