Les Liens du Calice

Prologue

Les flammes dansent, voluptueuses, dangereuses. La longue traque depuis Alensir à travers toute l'Aquitaine, jusque sur les rives de la Loire ont eu raison d'une énergie que j'ai longtemps cru inépuisable.

La rage qui m'anime, cependant, est inextinguible et vorace. Elle ronge mes entrailles et fait bouillir mon sang. Sous mes pieds, les branches et les feuilles jaunies de l'automne craquent et sonnent à mes oreilles comme une mélodie envoûtante qui m'exhorte à me laisser aller. Jamais, durant ma longue existence, je n'avais imaginé un jour ressentir pareille cruauté.

Or, sous la lumière pâle de la lune, toute la férocité de mon inhumanité explose dans chacune de mes cellules. Les cheveux défaits de ma proie, sa robe déchirée et le sang qui perle par endroits sur sa peau diaphane excitent davantage mon humeur massacrante. Tu paieras.

Elle sourit, la malheureuse, de ce sourire infâme qui se veut encore séducteur, comme si elle espérait m'attendrir, comme si cela me convaincrait de l'épargner. Hélas pour elle, le seul désir qui parcourt mes veines n'est pas de sentir sa peau contre la mienne ou d'entendre ses soupirs d'extase tandis que je serais entre ses cuisses. Non, la seule envie qui m'anime ne consiste qu'à la voir brûler vive sous mes yeux. Ses râles d'agonie seront la plus parfaite des symphonies.

— Pitié...

Sa voix aigrelette transpire la peur et l'angoisse. Comprend-elle enfin l'erreur qu'elle a commise ou cherche-t-elle à m'amadouer ?

— Ne fais pas ça !

Je reste sourd à ses suppliques. Ne fais pas ça. Mon visage se tord dans un rictus effrayant, mon pied appuie un peu plus sur le bras de la pauvre créature au sol. Le craquement sinistre qui retentit diffuse un long frisson extatique le long de ma colonne vertébrale. Je n'ai guère souvenir d'avoir ressenti ça un jour, pourtant nombreuses ont été les batailles que j'ai menées, nombreuses sont les âmes que j'ai arrachées. Cela dit, les gémissements de douleur, ce sentiment de supériorité qui tord mon estomac alors que ma proie se roule dans la boue m'éloignent brutalement de la personne que j'ai toujours revendiqué être.

Peut-être qu'au fond est-ce toujours ce que j'ai été ? Les flammes dansent, crépitent et j'abaisse ma torche, son visage se soustrait de la lumière chaleureuse des flammes. Je n'en ai pas besoin, ma vision est aussi claire qu'en plein jour. Son bras se lève pour protéger ses yeux, mais mon regard se perd sur la marque rouge à son poignet, le symbole de ce qu'elle est.

— Tu es allée trop loin, Mélamancienne.

— Je peux... Je peux ôter le maléfice. Pitié, laisse-moi la vie sauve et je te prouverai...

— Je n'ai que faire de tes promesses hasardeuses ! tonné-je. Je préfère être condamné à une éternité de solitude, que de croire à nouveau tes fadaises.

Sa main libre glisse vers ma botte et j'écrase de plus encore son bras prisonnier. La douleur qu'elle subit doit être telle qu'elle s'immobilise dans son mouvement. Hors de question qu'elle accède à mon arsenal d'alchimie ou même qu'elle essaie d'atteindre ses pierres, ce qu'elle cherche à faire. Je lance ma jambe libre et quand ma botte rencontre ses phalanges, un écho macabre retentit dans l'espace. Dans mon mouvement, j'abats cruellement mon pied sur son autre bras, le brisant à son tour. Cette fois, elle ne crie pas. Elle ne gémit pas, elle m'affronte.

— Alors, souffre, menace-t-elle. Que ton éternité abjecte t'ouvre les bras, ça sera la seule chose que tu pourras embrasser !

Je roulerais presque des yeux de dépit si je ne savais pas déjà à quoi m'attendre. D'un mouvement las, mes doigts s'ouvrent et la torche tombe.

Le tissu riche de sa robe est la première chose à s'embraser. Ses doigts et ses bras brisés l'empêchent de tracer les symboles qui pourraient lui permettre de venir à bout du brasier qui la dévore. Et la dernière chose que je vois, avant de détourner le regard, est son sourire. Un sourire froid, promesse de mille tourments, qui n'aura de cesse de me hanter.