Prologue

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Le 6 février 1822, Colmar

      Après avoir parcouru un quartier étroit et encombré de cavaliers et de voitures en roulant sur une chaussée négligée et parfois boueuse, un fiacre s'immobilisa devant une maison aux fenêtres en baie et aux étages surplombants, légèrement en retrait d'une place pavée où débouchaient trois venelles commerçantes et colorées, animées par une foule bruyante et discontinue. Le cocher cria quelque chose et une femme d'une quarantaine d'années – élégante personne, cheveux longs et châtains – descendit de la voiture. Après une hésitation et un regard alentour, elle s'approcha de la porte d'entrée où sa main gantée fit sonner la cloche en cuivre. Effet immédiat, une domestique en habit sombre se présenta à elle, l'œil examinateur.

         « Est-ce ici la demeure du colonel Augustin Caron ? demanda sans préambule la dame. Dites-lui que la baronne Pailhès désire être reçue », ajouta-t-elle avec une pointe d'autorité, après le signe de tête de l'employée de maison.

         La visiteuse fut introduite dans un salon où un feu vif brûlait dans la cheminée, chauffant agréablement la pièce, après le froid mordant du dehors. Une fois seule, madame Pailhès s'installa dans un fauteuil, notant que la maison était fort silencieuse, presque triste. Mon imagination sans doute, se dit-elle en respirant profondément. Faute à mon humeur morose, ajouta-t-elle en pinçant ses lèvres.

         « Mes hommages, chère baronne, entendit-elle d'une voix grave, et, d'un mouvement rapide, elle se releva pour découvrir un homme un peu plus âgé qu'elle, le corps fin, vêtu d'un frac avec haut col pointu, pantalons longs et chaussures basses, des cheveux courts et grisonnants, un nez légèrement aquilin et un anneau d'or à l'oreille gauche.

- Mon cher colonel Caron, s'écria la femme, avant de se taire, rubiconde, car elle venait d'apercevoir le crêpe noir autour de son bras gauche.

- Notre petite fille, réagit l'officier imperturbable, quoique ses yeux étaient devenus ternes. Ingrid Clémence Caron, continua-t-il d'un ton plus bas. Une petite fleur de deux ans. La scarlatine... foudroyante.

- Oh ! Je suis désolée... Mon Dieu ! Vraiment désolée... Quel drame ! Si j'avais su...

- Sa mère est inconsolable.

- Pauvre mère...pauvre madame Caron...

- Nous venions juste de récupérer notre fils, continuait l'homme dans un murmure, le visage d'une effrayante pâleur. Nous étions enfin réunis... tous les quatre...

- Dieu du Ciel ! J'ignorais que vous aviez un fils, colonel, dit la baronne, s'accrochant à ce sujet de discussion, car l'apparence de son hôte la bouleversait. Mon mari ne m'en avait jamais parlé. Vous-même, lors de notre première rencontre, ajouta-t-elle avec un mouvement de sourcils, interrogateur.

- Quelquefois il est difficile de parler des histoires qui déchirent les familles, madame, dit Caron avec un sourire sans joie, tandis que d'un geste machinal de la main, il effaçait la larme qui menaçait de couler le long de sa joue. Alfred – c'est son prénom – est né avant notre mariage, poursuivit-il après une inspiration, en 1812, un enfant du pécher vous diraient les jésuites. Enfin pour vous résumer cette petite histoire, il était toujours en Prusse, chez ses grands-parents qui refusaient le moindre contact avec nous, depuis que j'avais enlevé leur fille, ma femme... En 1817, choix cruel, je n'avais pu emmener les deux.

- Je comprends, cher ami, murmura la baronne pleine d'affection. Mais laissons cela, voulez-vous ? dit-elle en effectuant un pas vers la porte. Veuillez m'excuser de vous avoir dérangé. Je vais dès à présent vous quitter, je ne peux que vous laisser paisiblement pleurer votre petite Ingrid, cet ange...

Le lieutenant-colonel Caron - Colmar - 1822Waar verhalen tot leven komen. Ontdek het nu