Chapitre 2.

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Sa main est grande, remplissant pleinement mon sein qui est minuscule à côté. Il malaxe ma poitrine comme si c’était normal, me faisant atrocement mal par la même occasion. Je crie, je hurle, j’appelle à l’aide mais avec la musique si forte, personne ne m’entend et j’ai beau lui dire non, de me laisser tranquille, il ne m’écoute pas et continue ce qu’il a commencé. Il est pratiquement collé à moi, ce qui me permet de distinguer plus ou moins son visage même avec mes larmes que je ne peux empêcher de glisser sur mes joues. Ses yeux sont marrons mais son regard me glace presque le sang. Un regard vicieux. Un regard inoubliable. Ses cheveux sont courts, décoiffés et châtains, il a l’air d’avoir un beau visage mais son comportement le rend monstrueux. Je gigote dans tous les sens, comme un ver de terre qui essaie d’avancer mais cet homme a l’air d’avoir plus de puissance que moi, bien que son état laisse à désirer. Sa main perverse descend tout doucement, effleurant mon ventre, me procurant des frissons de peur. Je n’ai jamais été autant effrayé que maintenant. Je sens ses doigts descendre un peu plus. Le cœur battant comme jamais, la peur monte de plus en plus et je prends conscience de ce qu’il se passe réellement. Ce n’est aucunement un rêve ou un cauchemar, cet homme n’a vraiment pas l’intention de me laisser partir. Imaginant le pire à venir, une force dont j’ignorais l’existence jusqu’à présent arrive, projetant cet inconnu pervers loin de moi, sans qu’il n’ait eu le temps de toucher quoi que ce soit d’autre. Sans réfléchir une seconde de plus, je cours, les mains posées sur mes seins, comme pour me protéger. Bousculant les invités éméchés, j’essaie de me créer un chemin assez difficilement pour quitter enfin cette maison de malheur sans Tara, sans personne. Les larmes ne cessent de couler. Je suis seule sur la route, marchant droit devant moi sans réfléchir, sans me demander si je suis sur le bon chemin, si je ne suis pas perdue. La pluie commence à tomber, cachant mes pleurs, mouillant mes cheveux et vêtements. Les voitures roulent à toute vitesse, même tard dans la nuit. Je me sens sale, j’ai l’impression que c’est de ma faute ce qu’il vient de m’arriver, que je n’aurais peut-être pas dû enfiler une robe bien qu’au fond de moi, je sais que je n’y suis pour rien, que lorsque j’ai dit non, il aurait dû arrêter mais je ne peux m’empêcher de me faire culpabiliser. J’ai envie de vomir tellement il me répugne. Parcourant depuis trois bonnes heures la ville de Bressuire, sentant mes jambes fatiguées, j’appelle un taxi afin de rentrer chez moi. Le déplacement m’a coûté un bras mais il fallait que je rentre, prenant une douche bien chaude, essayant d’oublier ce cauchemar.
Recroquevillée sur mon lit, les larmes ont fini par cesser de couler. Le téléphone éteint, j’oublie Tara, j’oublie Justin.  De longues minutes passent avant de fermer les yeux et me plonger dans un profond sommeil.
Deux jours ont passé. Deux jours sans donner de nouvelles à personne, où je ne suis pas sortie de chez moi, en ayant très peu mangé. Deux jours où j’ai pu réfléchir mais surtout me ressaisir un minimum. J’allume mon téléphone portable et me rend compte que Justin s’est inquiété en m’envoyant plusieurs messages qui n’ont eu aucune réponse.

Je suis désolée de ne pas t’avoir donné de nouvelles, j’ai été occupé mais je vais bien.

J’ai menti. Je ne pleurs plus mais je ne vais pas bien pour autant. Qui irait bien après avoir eu un attouchement sexuel ? Personne. Il faut toujours du temps pour se remettre d’un événement pareil mais je dois admettre que je vais un peu mieux. Je remange normalement. Et ces deux jours m’ont paru une éternité. Je me suis sentie si seule. Personne à qui parler. Personne pour serrer dans mes bras. Composant le numéro de Tara, je me dis que je dois lui en parler. Ça ne peut que me faire du bien. Quelques fois, lorsque je vais mal, je lui en parle. Ces mots me réconfortent, m’aident à aller mieux, à passer à autre chose. Je ne me sens pas prête à en parler à Justin. Ce n’est pas que je n’ai pas confiance en lui, mais je ne suis pas à l’aise avec cette histoire. Je préfère lui en parler quand le moment sera le bon, quand je me sentirai prête, quand j’éprouverai le besoin de lui expliquer les choses. Tara est mon amie depuis bien plus longtemps, j’ai plus de facilité à me dévoiler à elle. L’habitude sûrement. Elle ne décroche pas. J’essaie une nouvelle fois mais seul le répondeur retentit.

Tara, réponds-moi. J’ai besoin de toi. C’est urgent.

Justin finit par m’appeler. J’ai déjà entendu sa voix au téléphone mais à chaque fois que cela se reproduit, mon cœur s’emporte. Un appel manqué.

J’attends un appel de Tara assez urgent. On se parle plus tard.

Justin comprend et n’insiste pas, me disant qu’il me téléphonera plus tard. Un demi mensonge de plus. J’attends bien un appel de Tara mais je n’avais surtout pas envie de discuter avec Justin. Je n’ai pas envie de faire sembler d’aller bien. En message, c’est facile. Il ne m’entend pas, il ne remarque pas ma tristesse, mon malheur. Je peux me cacher derrière des écrits et il ne verra rien de mon état. Il me connaît très bien et sait parfaitement quand je vais mal au téléphone. Il doit avoir un don.
Les minutes passent. Puis de longues heures mais aucunes nouvelles de Tara. Rien. Ni un appel, ni un message. Elle ne passe même pas me voir pour savoir si je vais bien, si il ne m’est rien arrivé cette nuit là. Elle ne m’a pas vu à la soirée, ne m’a pas ramené mais elle n’a pas l’air de s’inquiéter. Elle était sûrement trop occupée  avec son amie ou avec un garçon qu’elle a dû rencontrer. Je me connecte sur un réseau social où elle a l’habitude d’y être. Elle m’a peut-être envoyé quelque chose à partir de là. Rien. Aucune notification. Sur le profil de Tara, des photos de la soirée, des publications de plusieurs personnes disant que la soirée était bien, montrant l’amour qu’ils ont pour cette femme. Elle a même mis à jour son profil de nombreuses fois, disant qu’elle était avec sa copine, disant certaines choses peu intéressantes. Elle s’est connectée et a publié les deux jours où je n’étais pas bien. Les amis populaires de Tara la passionnent bien plus que moi. Pire que ça, elle a lu mon message sans me répondre. J’ai l’impression que mon amie ne l’est pas vraiment, qu’elle s’est fichue de moi, étant la pauvre fille sur qui elle pouvait compter sans retour. Les larmes coulent. Des larmes de tristesse. Je pensais qu’elle était différente des autres filles que je méprise mais elle est identique. Elle est restée avec moi pour une raison que j’ignore encore. Elle connaît une bonne partie de ma vie, comme la fois où j’ai triché à un examen. Elle sait que mes parents sont partis vivre en Australie et qu’ils me manquent, que je me sens seule depuis qu’ils ne sont plus près de moi. Elle était là quand j’ai créé ma boîte pour vendre mes créations de vêtements. Elle sait mes peurs, mes faiblesses, mes pleurs, mes chagrins. Elle sait que j’ai connu Justin sur un forum, que je n’ai jamais eu une relation amoureuse. Tara connaît beaucoup de choses sur moi et avec du recul, je me rends compte que je ne sais pas grand-chose sur elle. Je me rends compte que je me suis trompée sur son compte.
Les mains tremblantes, je compose le numéro de Justin, priant pour qu’il décroche. Justin est réellement mon ami. Je le sais. Je le sens. Il est là dès que j’en ai le besoin, il me parle de lui, il fait attention à moi. Tout l’inverse de Tara.
- Allô ? Dit Justin avec sa voix qui me fait sourire à chaque fois.
- Justin, pleuré-je.
- Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qu’il se passe ? s’inquiète-t-il immédiatement.
- C’est Tara.
- Quoi Tara ? Il lui est arrivé quelque chose ?
- Non. Mais je me suis trompée sur elle. Je pensais que c’était mon amie. Ce n’est pas le cas.
- Qu’est-ce qu’il te fait penser ça ? Me questionne Justin, voulant en savoir plus.
- Elle n’est pas là pour moi. Elle n’est pas là alors que j’en ai le plus besoin. Elle ne s’inquiète pas. Je n’étais pas là de toute la soirée, elle ne m’a pas ramené et quand je l’appelle, aucune réponse.
- Séréna, dis-moi ce qu’il se passe…

Je laisse le silence s’installer. Un silence gênant mais un silence qui me fait réfléchir. Il doit sentir qu’il s’est passé quelque chose pour que je pense ça de Tara, pour que je sois dans cet état là. Sentant son angoisse, ça me fait un pincement au cœur. Il s’inquiète pour moi, il fait attention à moi et je crois qu’il est la seule personne à prendre autant soin de moi. Je ne voulais pas lui dire mais je ne sais pas pourquoi, j’ai à présent cette envie de lui en parler. J’ai envie de tout sortir, de vider ce que j’ai en moi, de ne pas garder ce secret, de me sentir libéré. J’ai envie qu’il sache pourquoi je me sens mal. Je sens au fond de moi qu’il va m’aider, qu’il va me réconforter comme le ferait n’importe quel ami. Je me sens prête.
- À la soirée, commencé-je en prenant une grande inspiration tout en pleurant encore, j’ai voulu partir, alors j’ai cherché Tara dans toute la maison. C’était une demeure immense et j’avais dû mal à m’y retrouver. Je longeais un couloir quand un homme est arrivé. Il m’a plaqué contre le mur et a déposé ses mains sur mes seins. Je me débattais comme je le pouvais mais je n’arrivais pas à sortir de là. J’avais beau crier, personne ne m’entendait, personne n’est venue à mon secours. C’est quand j’ai senti sa main descendre petit à petit que j’ai pu le pousser de toutes mes forces et partir. Je ne sais pas comment j’ai pu faire honnêtement mais j’ai réussi à me sortir de là. Je suis partie et pendant deux jours, je suis restée chez moi. C’est pour ça que je n’ai pas donné de nouvelles. Je voulais en parler à Tara, je voulais qu’elle me console, qu’elle soit là pour moi, même juste l’écouter, ça m’aurait fait du bien. Mais elle n’est pas là. Elle n’est pas là pour moi, elle ne prend pas le temps de me répondre, de m’accorder du temps alors que pour les autres, elle en a. Je suis encore plus seule que ce que je pensais.
- Quoi ? s’énerve-t-il. Qui est cet homme ? Je veux savoir qui est ce pervers !
- Calme-toi.
- Me calmer ? Comment veux-tu que je reste calme en apprenant ça ? J’ai envie de tout détruire et lui en premier !
- Justin, je ne t’ai jamais vu comme ça..
- Dis-moi où il habite. Je veux savoir qui c’est !
- Je ne sais pas. Je ne le connais pas.
- Vas porter plainte. Je vais venir avec toi si il le faut.
- Je ne porterais pas plainte.
- Quoi ? Crie-t-il un peu plus fort. Il le faut Séréna. Il ne faut pas qu’il reste en liberté. C’est grave ce qu’il t’a fait. Si tu n’avais pas réussi à te sortir de là… Je ne préfère même pas imaginer.
- Je ne peux pas. Je veux simplement oublier cette histoire. Je ne veux ni le revoir, ni en reparler.
- Mais non Séréna. Il faut que tu en parles au moins à tes proches. Tu ne peux pas rester comme ça avec ce secret en toi. Il va finir par te ronger, par te détruire. Tu as vécu quelque chose de choquant et même si ça n’a pas été plus loin, c’est grave. Tu ne peux pas rester dans le silence.
- Je ne veux plus en parler. Je n’ai pas envie que cette histoire traîne partout. Je n’ai pas envie d’être confronter à un policier. Je n’ai pas envie de décrire la scène, de le décrire lui. Je pourrais le reconnaître parmi certains visages mais il m’a simplement touché les seins. Tu crois vraiment que les policiers vont s’embêter avec une histoire pareille ?
- Ce n’est pas une simple histoire, me dit Justin d’une voix sérieuse. Ce n’est pas un simple geste. Tu as dit non. Il aurait dû arrêter. Un non est un non. Tu ne peux pas le laisser s’en tirer. Tu imagines si il recommence ? Tu imagines si il s’en prend à quelqu’un d’autre ? Il ne doit plus jamais recommencer.
- Justin, soit réaliste. Cette histoire est minime. Aucune pénétration. Hormis les seins, il n’y a rien eu. Ils ne perdront pas leur temps et même si par le plus grand des miracles, ils prennent mon histoire au sérieux, cet homme va s’en sortir. Il aura un rappel à l’ordre, peut-être une amende à payer mais ça n’ira pas plus loin parce que les prisons sont pleines, parce qu’il n’a rien fait comparé à d’autres hommes qui ont été bien plus loin.
- Il va être jugé, il va y avoir un procès.
- Non. Ne sois pas naïf, il n’y aura rien. Je n’ai pas la force ni le temps pour ça.
- Séréna...
- Justin, s’il te plaît. Je veux oublier.
- Comme tu voudras. Sache que je serais là quoi qu’il arrive, quoi que tu décides.

Nous restons au téléphone pendant un peu plus d’une heure, parlant de ce qu’il a fait pendant ces deux jours. Il essaie d’écrire un livre, mais a dû mal à trouver un sujet qu’il l’intéresse de plus d’une semaine. Il se dit lasser de ses idées, ne les trouvant pas prenantes, pas originales alors qu’il a un talent fou. J’ai déjà eu l’occasion de lire quelques uns de ses écrits et je sais que l’écriture est fait pour lui, il a ça dans la peau, il y met tout son cœur, n’importe qui pourrait le voir. Discuter avec lui, entendre sa voix m’a réellement fait du bien. Il n’a pas reparlé de mon agression comme je le lui ai demandé mais cela ne m’a pas empêché d’y penser, de réfléchir à ce sujet. Je n’ai pas changé d’avis, je ne porterai pas plainte contre cet homme, trouvant toujours que c’est une perte de temps, que cela ne mènerait nulle part. Mais Justin a raison, je ne peux pas garder ça pour moi, je ne peux pas en parler uniquement à lui. Impossible de garder ce secret pour moi, de rester avec quelque chose qui va me hanter sûrement toute ma vie. Il faut que j’en parle. Pas à mes parents qui sont beaucoup trop loin de moi. Ils s’inquiètent déjà assez, je n’ai pas envie de leur faire deux fois plus peur. Je veux raconter mon histoire. Je veux dire aux autres personnes de faire attention, de ne pas aller à ce genre de soirée, d’être sur ces gardes, de comprendre que nous n’y sommes pour rien, que ce n’est pas à nous d’avoir honte mais à eux.
J’allume mon ordinateur portable, assise sur mon lit, et je me crée une sorte de blog. Le plus simple possible. Je ne cherche pas à avoir quelque chose de beau, d’esthétique. Je cherche simplement à écrire ce que j’ai sur le cœur.

L'archer. Où les histoires vivent. Découvrez maintenant