Lettre à Bryan

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Avant-propos

Cette lettre s'adresse à un ami proche que j'ai perdu il y a un peu plus de deux ans. Elle y décrit des faits durs et douloureux. Âmes sensibles, s'abstenir.

Cher Bryan,

C'est la première fois que je t'écris une lettre, mais je ne sais pas si tu pourras la lire. Aujourd'hui nous sommes le 21 février 2020 et c'est ton anniversaire. Tu devrais avoir 24 ans mais ce n'est pas le cas. Car cela fait plus de deux ans maintenant que tu nous as quittés.

Je suis loin de t'avoir oublié et c'est même précisément la raison de cette lettre. Je ne sais pas si tu pourras les lire mais je tiens tout de même à te dire quelques mots.

Je t'ai rencontré un peu par hasard, pendant les vacances, un été. Un peu spécial, un peu perché peut être, tu es rapidement devenu un ami saisonnier. Sans forcément se parler pendant l'année, je restais ravie de te retrouver dès juillet. Pour moi, tu représentes la liberté, l'ouverture d'esprit, la joie de vivre et la gentillesse. Inconditionnelle et sans bornes. J'ai toujours admiré ta capacité à voir, même dans le pire des êtres, une part de bon, quelque chose qui mérite que l'on s'y attarde. Ta manière d'aller aborder un inconnu dans la rue, juste pour complimenter ses chaussures, en toute simplicité, tous ces cadeaux offerts à tes amis, juste comme ça pour le plaisir de faire plaisir... Tous ces moments passés à voyager de délires en délires dans ton cerveau bizarre, ta manière de voir le monde, ta façon d'appréhender la vie... Ta capacité à apprécier les plaisirs simples, un moment sur la plage, une blague, un câlin, une bière... Ta passion pour les modifications corporelles, te faisant voir le corps humain comme un grand tableau, ton absence de jugement, ta bienveillance constante envers les autres... Tout ça, c'est toi et ça me manque. Tu me manques.

Je ne pourrais jamais oublier cet été tragique. Tu es allé me chercher à la gare, comme d'habitude à mon arrivée en vacances, discussions, prises de nouvelles... J'aimerais pouvoir dire que j'avais senti quelque chose d'étrange en toi à ce moment là, mais ce n'est pas vrai. Tu m'as déposée à l'appartement, salué ma grand mère et tu es parti. Moi, j'ai profité de mes vacances, te voyant à l'occasion. Je t'ai présenté mon copain de l'époque, je t'ai parlé de mes projets pour l'année à venir, de tout le chemin que j'avais parcouru, de toutes les belles choses qui m'étaient arrivées. Tu avais l'air content pour moi, on a passé des moments simples mais joyeux comme d'habitude.

Et puis, un matin, au réveil, je vois un message de ton meilleur ami, inquiet qui me demande de tes nouvelles. Tu ne donnes plus de signes de vie et tu n'es pas rentré chez toi. Bien sûr, on s'inquiète, tout le monde te cherche partout, sans succès. À ce moment là je crois que je ne réalise pas vraiment ce qu'il se passe et surtout, je me sens impuissante. Les jours passent, et mon inquiétude grandit. Pas seulement la mienne, tout le monde s'inquiète. Je me demande si tu as simplement décidé de tout quitter sur un coup de tête, si tu vas bien, si tu es en vie. L'attente se fait de plus en plus longue. Je ne peux m'empêcher de demander des nouvelles et en même temps j'ai peur de ce qu'elles pourraient dire.

Mes vacances se poursuivent tant bien que mal jusqu'à la veille de mon départ, le 21 août. Ce soir là, tout le monde était sorti au Luna Park ou sur le port, je ne me souviens plus. C'est en rentrant, que j'ai vu ce post facebook. Celui qui annonçait, non pas qu'ils t'avaient retrouvé, mais qu'ils avaient retrouvé ton corps. En lisant, j'ai eu l'impression un instant de quitter la réalité. J'ai lu et relu plusieurs fois, incapable de connecter mon cerveau à cette information sous mes yeux. Mes amis m'ont demandé ce qu'ils se passait. Incapable de répondre, je me suis contentée de montrer l'écran de mon téléphone. En lisant, Elina a éclaté en sanglot, je l'ai prise dans mes bras, réalisant peu à peu cette horrible réalité et refusant d'y croire tout en même temps. Je suis restée un moment, choquée, sans savoir comment réagir, incapable de parler ou de bouger, jusqu'à avoir l'impression de manquer d'air.

Je me suis alors levée, toujours dans un état second, et une fois seule j'ai regardé les étoiles et j'ai pleuré. Je crois qu'à ce moment là j'ai crié, mais je n'en suis pas sûre. Je me souviens seulement de cette douleur intense dans la poitrine. Cette sensation de hurlement intérieur qui me déchirait, l'incompréhension de la situation, le manque de détails... Tout me semblait à la fois irréel et bien trop réel. La suite est un peu floue, des gens sont venus me réconforter et j'ai pleuré, pleuré, pleuré toutes mes larmes, sans fin. Au bout d'un moment, je suis retournée voir mes amies qui n'avaient pas bougé et puis je suis rentrée à l'appartement avec Stéphanie car le train pour Lyon partait tôt le lendemain.

J'ai réussi à dormir un peu cette nuit, épuisée d'avoir trop pleuré espérant naïvement que tout ceci n'était qu'un rêve. Les événements tournaient en boucle dans ma tête, semblable à un champ de ruines. Ma meilleure amie, qui assistait, impuissante à tout ça essayait tant bien que mal de me soutenir mais j'étais inatteignable.

Les jours se sont écoulés lentement, et j'ai petit à petit appris plus de choses sur ce qu'il s'était passé. Un meurtre. À une cinquantaine de kilomètres de chez toi. Impensable, incompréhensible, si cruel. Je me souviens de ce profond sentiment d'injustice, et de la colère qui bouillonnait en moi. J'avais du mal à supporter que le monde continue de tourner normalement sans toi.

Le 1er septembre je suis allée à ton enterrement, et je sais que ce n'était pas ce que tu aurais voulu. Tous ces gens tristes, habillés en noir, alors que tu avais toujours demandé à ce qu'on fasse une fête si tu mourrais. Mais je ne m'en sentais pas capable, et les autres non plus sans doute. Ne sois pas fâché de ces funérailles qui n'étaient pas à ton image, mais je pense que les enterrements sont faits surtout pour ceux qui restent et nous avions tous besoin d'exprimer notre tristesse. Car tu as laissé un vide énorme, et brutal.

Depuis, la vie a petit à petit repris son cours. Je fais de mon mieux pour ne pas être triste car tu ne le voudrais sûrement pas. Mais tu me manques et je pense encore très souvent à toi. Parfois je m'imagine te croiser dans la rue par hasard, apprendre que tout ceci était faux et te serrer dans mes bras. Parfois je me demande si tu veilles sur moi, d'une manière ou d'une autre, j'essaye d'imaginer ce que tu me dirais. Mais surtout, je me rappelle de tous les moments que l'on a passé ensemble. Les pique-niques sur la plage le soir, les virées au Luna park, les balades sur le port. Je me souviens de cet été où j'étais dévastée par une rupture amoureuse et de ton soutien sans failles et sans limites. Tous les jours tu m'as proposé de sortir, me changer les idées, sans arrêt, sans arrêt. Tu as été incroyable tant tu as mis d'efforts à me redonner le sourire. Cet été là tu m'as offert mon premier piercing, et avant que je rentre à Lyon tu m'as aussi donné une pièce porte-bonheur. Parfois encore aujourd'hui je la regarde et elle me donne de la force. Je la prends dans mes mains, je ferme les yeux et me revois avec toi au bord de la mer.

L'hiver juste après, quand j'ai fini à l'hôpital après ma tentative de suicide, je me souviens de ce coup de téléphone, et de ta déclaration d'amour incroyablement touchante. Tu m'as fait jurer d'être heureuse, et depuis j'essaye tous les jours d'honorer cette promesse. Parfois j'ai du mal, mais je me bats.

Je garde aussi précieusement ta game-boy. Tu me l'avais prêtée durant ce dernier été passé ensembles. J'ai aussi cette bière qui t'attendait au frigo chez ta mère pour ton retour et que tu n'as jamais pu boire. Une bière de mauvaise qualité, bon marché mais qui te correspond par tellement d'aspects... Toutes ces petites choses, tous ces souvenirs, je les garde précieusement pour me rappeler de la formidable personne que tu es.

Aujourd'hui c'est ton anniversaire et je sais que tu ne voudrais pas que je sois triste. Je ne peux m'empêcher de penser à toi malgré tout car tu me manques énormément et j'aurais aimé pouvoir le fêter avec toi.

J'arrive bientôt à la fin de cette lettre et je voudrais juste te dire de ne pas trop te faire de souci pour moi, j'ai la chance d'avoir des amis incroyables autour de moi et que je chéris chaque jour. Ce soir, je les rejoins et je ferai la fête en ton honneur, car après tout, c'est ce qu'on fait lors des anniversaires, non ?

N'oublie jamais à quel point je t'aime,

Amandine.

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