E- Époque

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Le ciel arborait une couleur grisâtre tandis que les usines vomissait encore leurs fumées toxiques, en cette fin d'après-midi londonienne. Dans la rue, des marmots débraillés fêtaient l'arrivée de l'automne en lançant des feuilles sous les regards choqués ou simplement désapprobatteurs des passants, nantis pour la plupart. Des fiacres transportant de gracieuses jeunes demoiselles parcouraient la rue dans un va et vient continuel, incessant et entêtant.

Un seul élément tranchait avec ce cadre bucolique. Une étrange vieille dame à l'apparence crasseuse laissait tomber des pelures d'oranges tout en marchant, intriguant ceux qui la croisait, curiosité qui n'allait tout de même pas jusqu'à l'interroger sur son activité pour le moins étrange. Peu de temps après son passage, un individu de haute taille, bien habillé et avec des cheveux noirs en bataille se pencha pour ramasser une à une les épluchures qu'il rencontrait le long de l'allée piétonne. Une rue entière, puis deux, ce manège se répèta; elle qui semait les épluchures et lui qui ramassait. Cela dura jusqu'à ce que la vieille femme s'arrête au coin d'une rue et monte dans un fiacre noir à l'apparence noble qui semblait l'attendre. Puis arriva le second individu qui, à son tour, monta dans l'élégant moyen de transport qui se mit en route juste après qu'il fût entré à l'intérieur de celui-ci.

- Colonel Sebastian Moran, premier du nom, annonça l'individu bien vêtu en s'adressant à la vielle femme qui ne répondit pas et... se déshabilla devant lui !

Sous son ample robe blanchâtre elle portait toutefois une tenue convenable d'homme. Puis elle attrapa un sac à l'intérieur duquel se trouvait une serviette qui avait l'air trempée. La vielle s'empressa de se recouvrir le visage de celle-ci et d'essuyer celui-ci comme si elle tentait de l'effacer, d'arracher l'entièreté de la peau qui le recouvrait. Mais quand elle retira la serviette de son visage ainsi que sa perruque de long cheveux blancs, ce n'est plus une femme âgée et sale qui se trouvait devant le Colonel Moran mais un jeune homme frêle au visage efféminé et aux cheveux noirs. Sebastian en était pantois. Comment avait-il fait ça ?

- Frédérik Milkovich se présentat-il. Pour vous servir Monsieur Moran "premier du nom ".

Un sourire narquois naquit sur son visage le temps que les paroles désobligeantes atteignent leur destinataire, qui resta cependant impassible, malgré l'affront évident.

- Ou se trouve sa demeure ? demanda-t-il cependant, ne pouvant réfréner sa curiosité malgré le comportement acerbe de l'autre.

Frédérik fit à peine attention à lui tandis qu'il feuilletait un magazine de mode qu'il avait déniché dans son sac informe.

- Vous verrez bien, annonça t-il finalement, voyant que visiblement, ce Moran ne le lâcherait pas tant qu'il n'aurait pas répondu.

Le reste du trajet se fit dans un long silence, plaisant pour Milkovich, pesant pour Sebastian. Alors que celui-ci commençait enfin à se laisser aller et à dodeliner de la tête, le fiacre s'arrêta et le cocher les fit descendre. Sebastian regarda autour de lui. Il se trouvait apparemment excentrés, en pleine campagne car seul se dressait un manoir victorien immense devant ses yeux. Il n'était pas vraiment intimidé, car il venait d'une famille riche et avait toujours connu le luxe de ce genre de maisons. Frédérik quand à lui restait dans son ombre et l'on voyait, malgré le fait qu'il essayait de le cacher, qu'il était impressionné par les dimensions de la structure, signe évident qu'il venait d'une famille pauvre ou de la classe moyenne. Un domestique dans la tenue noire reconnaissable d'un majordome vint leurs ouvrir.

- Messieurs Moran et Milkovich. Veuillez me suivre, mon maître vous attend.

Malgré le silence qui pesait pendant que le domestique les menaient jusqu'au salon, on pouvait sentir une certaine excitation dans l'air, valable pour les deux hommes. Ils avaient attendus ce moment, l'avait imaginé, l'avait appréhendé de toutes les manières possibles. Et finalement ils y étaient. Le majordome s'arrêta devant la porte de ce qui semblait être le salon principal et toqua.

ABCD...MormorWhere stories live. Discover now