L'extincteur

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Pascal s'arrêta sur une aire d'autoroute pour faire le plein d'essence. Ils avaient déjà roulé pendant plusieurs heures et avalé de nombreux kilomètres. En sortant de la voiture, Judith fut rassurée de ne voir aucun corbeau. Il est vrai qu'ils étaient à présent bien loin de la ville où elle devait séjourner : l'environnement dégagé leur offrait des champs verdoyants qui s'étendaient à perte de vue. Hormis les voitures filant à toute vitesse sur l'asphalte, il n'y avait aucune âme aux alentours et le soleil se cachait timidement derrière quelques nuages épars.

La jeune femme se dirigea vers la petite échoppe de la station-service, pendant que Pascal finissait de remplir le réservoir.

Quand elle passa la porte, une sonnette ringarde brisa le silence de la boutique. Un jeune homme d'environ seize ans se tenait derrière le comptoir, des écouteurs dans les oreilles et son téléphone portable devant les yeux. Judith prit la direction des petits coins pour se rafraîchir, se laver le visage et essayer d'enlever l'odeur de bois brûlé qui lui collait la peau. Quand elle croisa le regard de son reflet, elle eut du mal à se reconnaître : la mine déconfite, les cheveux ébouriffés, des valises immenses sous les yeux et l'épiderme tacheté de suie. Elle voulut passer de longues minutes à méditer sur sa situation, mais son ventre en décida autrement.

L'appel d'un sandwich criait à grand renfort de poings au fond de son estomac, mais de retour dans les rayons, rien ne semblait très frais ou même mangeable. Elle se résigna à prendre un sandwich triangle aux légumes - celui qui semblait le moins périmé de tous - et une boisson saveur thé glacé. En allant vers la caisse, Judith se rendit compte que Lev, le jeune homme aux cheveux blonds, l'avait rejointe. Sa mère était à ses côtés et n'avait pas adressé un seul mot à la jeune femme depuis son réveil. Pour autant, elle ne montrait pas d'agressivité et ne paraissait pas fermée à la discussion.

Le jeune blondinet se contenta de simples friandises. Judith, se sentant toujours aussi minable, lui prit un paquet de chips. Remarquant son acte, la mère s'adressa à elle d'une voix calme, bien que quelque peu enrouée :

– Tu sais, ils ne t'ont pas tout raconté dans la voiture.

Judith tressailla sous le coup de la surprise.

– Raconter quoi ? reprit-elle.

– Je pense que nous nous sommes pas présentée convenablement, dit-elle en lui tendant la main. Je m'appelle Liliya.

– Judith, répondit la jeune femme en lui rendant sa poigne.

– Sur notre peuple et sur ce que nous avons réellement vécu, enchaîna Liliya.

– C'est à dire ?

– Ils ont raconté ce qui les arrangeait, bien évidemment. Il est vrai que c'est l'ordre du corbeau qui a fait le plus de mal aux elfes, mais les autres chasse-peurs ne sont pas en reste. Beaucoup d'entre eux veulent connaître le secret de notre pouvoir. C'est en partie pour ça que ma fille a été enlevée.

– En partie ?

– Oui, enchaîna-t-elle sans autre explication. Et même si ton grand-oncle veut nous aider, c'est avant tout dans l'espoir d'en apprendre un peu plus sur nous. Tu sais, si je ne t'ai pas tuée lors de nos multiples rencontres...

Le cœur de Judith rata plusieurs battements successifs. Cette femme aurait-elle pu la tuer sans hésiter ? Liliya ignora complètement le petit état de choc de la jeune femme, et continua son monologue :

– C'est parce que j'ai senti en toi quelque chose de différent, et je l'ai bien remarqué dans la manière qu'Anna avait de te regarder.

Judith se demanda si elle était vraiment encore vivante seulement parce qu'une petite fille l'avait trouvée sympathique. À cette simple pensée, la jeune femme émit un petit rire nerveux.

Chrysalide [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant