Chapitre 39

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La nuit peut être à la fois son amante la plus douce comme son ennemie la plus redoutable. Allongée sur son lit, plongée dans une torpeur douce-amère, Joanne se laisse engloutir par les ténèbres. Ou presque. A travers ses rideaux tirés, la lueur argentée de la Lune se reflétant sur les vagues apporte un peu de réconfort dans cette lourde pénombre. Elle a l'impression que son ventre s'est rempli de plomb depuis qu'elle a éteint la lumière. Le sommeil se refuse à elle, comme lorsqu'elle devait dormir la veille d'un examen. Elle n'avait pas le droit au repos du guerrier. Elle devait subir l'insomnie et les angoisses qui l'accompagnaient. Ce soir-là, toutes ses pensées étaient dirigées vers l'épreuve du lendemain : l'audition. Elle détestait apprendre ce genre d'évènement de manière si brutale, surtout qu'elle revenait à peine de France. Son corps ne s'était pas habitué à ce nouveau décalage horaire qu'elle venait déjà le perturber avec une dose de stress qui aurait terrassé n'importe quel autre être vivant. Elle se disait toujours qu'elle n'était pas normale de réagir ainsi. C'était excessif. Sa mère le répétait souvent, elle avait fini par croire qu'elle avait raison. Une mère a toujours raison, non ?

Elle se tourne une nouvelle fois sur le côté, cherchant la fraîcheur apaisante de l'oreiller. Mais le calme se refuse toujours à elle. Inutile d'insister. Elle renonce à son sommeil, à son repos. Se résigne à arborer de larges cernes au petit matin et à se déplacer sans aucune énergie. Elle va finir par se saboter toute seule, à ce rythme-là. Agacée, elle se redresse. Son mouvement est un peu trop brusque, car sa tête se met à tourner. Elle serre les dents en attendant que cela cesse. Une fois le malaise dissipé, ses jambes trouvent le chemin de la cuisine à tâtons. Un devant l'autre, ses pieds effleurent le parquet, s'appuient dessus en tentant de le faire craquer le moins possible. Un verre d'eau, c'est tout ce qu'elle demande.

Chaque bruit est amplifié dans la nuit silencieuse. Les chutes du Niagara se déversent dans son verre. Elle le remplit le plus rapidement possible et l'engloutit en quelques gorgées à peine. L'alcool a desséché sa gorge, comme d'habitude. Elle prend le risque de se resservir. Elle ne va pas se priver non plus, tant pis pour le boucan. Les tuyauteries semblent trembler, mais ce n'est sûrement qu'un effet de son imagination. Elle devient trop fertile quand avance la nuit.

Sa soif étanchée, elle décide de ne pas retourner dans sa chambre. Vingt-trois années à ses côtés ont fini par lui faire comprendre que son corps ne lui appartenait plus en situation de stress. Elle ne pouvait que subir les aléas de ce dernier et l'insomnie en faisait partie. La combattre la fatiguerait encore plus, mieux valait parfois savoir reconnaître sa défaite. D'un geste précautionneux, elle fait glisser la porte-fenêtre sur son châssis. Ses pieds nus découvrent les planches de bois qui délimitent la terrasse de la villa. Son regard est attiré par l'étendue sombre et mystérieuse qui se meut avec paresse sous les étoiles. Le paysage lui coupe le souffle. Le vent se lève. Il est calme, lui aussi. Un appel à la respiration. Ses poumons s'emplissent de l'air marin, ses lèvres trouvent le goût de sel. Une larme de pur bonheur a trouvé son chemin. Le moment, insaisissable, la cueillit en plein vol.

Les jambes coupées, elle se laisse choir sur le canapé d'extérieur qui se trouve là. D'ici, elle conserve un panorama d'exception. La température est fraîche mais pas désagréable. En Californie, l'hiver n'a pas duré très longtemps et le printemps s'installe déjà. Cela rend l'instant encore plus mémorable.

La porte-fenêtre s'entrouvre à nouveau. Un corps, long, mince, finement dessiné, passe de l'ombre à la lumière. Elle capte le jeu de cette dernière sur des muscles jusque-là bien cachés. Tom a fait son apparition, Adonis venant trouver la sirène. Elle se pousse un peu pour lui faire de la place, tandis qu'il s'assoit avec sa grâce habituelle. Tout, chez cet homme, respire l'élégance. Il ne porte qu'un bas de pyjama à carreaux et ce simple détail suffit à enflammer la jeune femme. L'anxiété perd du terrain, tandis que monte un nouveau sentiment, plus sauvage, plus primaire encore.

Those Ocean Eyes [FR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant