Chapitre 36

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Comme elle l'avait prédit, la nuit a été courte. Des rêves difformes, se transformant parfois en cauchemar, l'ont maintenue dans un état de semi-sommeil jusqu'à trois heures du matin environ. Après quoi, elle a fini par sombrer dans un état profond, pour être réveillée à peine deux heures plus tard par son téléphone. Elle grogne de douleur en essayant de l'éteindre d'une main : sa tête est lourde, elle a déjà la migraine et ses yeux peinent à s'ouvrir. La raison pour laquelle elle s'extirpe néanmoins de ses douces couettes, c'est qu'elle a un train à prendre pour rentrer chez elle. Avec un peu de chance, elle arrivera pile pour le déjeuner. Elle réunit donc le peu de volonté présente en elle en ce dimanche matin et va s'habiller. Ses gestes sont gourds, lents et fatigués. Le seul avantage de son état, c'est que les questions soulevées par les évènements de la veille sont laissés à l'écart. Mécanique, elle sort de sa chambre, rend les clefs, puis traverse la ville en taxi jusqu'à la gare de Londres Saint-Pancras.

Assise dans le train, elle ferme les yeux, essayant de rattraper le sommeil qui lui manque. Un nourrisson apeuré brise tous ces espoirs et elle consent à garder patience, en attendant d'être de retour chez elle. La matinée file à toute vitesse. Elle a l'impression d'avoir le crâne pris entre deux étaux et la douleur finit par s'estomper pour n'être qu'une lointaine nuisance. Elle tombe dans un état quasiment végétatif, ne réagissant pas aux stimuli qui l'entourent.

Son périple prend fin quand elle arrive enfin à la maison, un peu avant midi. Voyant son état de fatigue, son père, venu la chercher à a gare, s'occupe de sa valise et elle le remercie d'une brève étreinte. Léon passe la tête dans le couloir pour apercevoir sa sœur et rit en la voyant ainsi. Elle lui tire la langue, consciente qu'elle doit avoir une mine affreuse. Sa mère crie « A table » à peine quelques minutes après leur retour. Elle s'affale plus qu'elle ne s'assoit sur sa chaise et se laisse servir sans prononcer encore le moindre mot. Ils commencent à manger, puis son père lui demande :

— Alors ? Comment c'était Londres ?

Elle suspend son geste, sa fourchette en l'air, puis la repose en prenant son souffle. Prise du fameux courage qui lui manquait, de cette inspiration soudaine qu'elle avait tant cherché, elle annonce :

— Je vous ai menti. Je ne suis pas allée voir un avocat. J'ai été invitée à la projection du film sur lequel j'ai travaillé, après l'été.

Un silence s'abat sur la table. Léon avale avec un petit bruit, les yeux écarquillés, ne s'attendant sûrement pas à ça. Ses parents arrêtent aussi de manger et avant qu'ils ne disent quoi que ce soit, elle poursuit sur sa lancée. Vite, avant qu'elle n'en ait plus la force.

— Je ne retournerai pas à ce stage, affirme-t-elle d'une voix forte. J'ai déjà obtenu mon master, je pourrai passer l'examen du barreau mais je ne veux pas. Je ne veux plus faire avocate, je ne veux plus faire de droit.

Devant l'inaction de ses parents, elle cherche le soutien de son frère. D'un imperceptible mouvement de la tête, il l'encourage à poursuivre.

— J'ai décroché un rôle pendant que j'étais à LA, leur apprend-elle. Oh, pas grand-chose, j'étais simplement figurante, fait-elle comme si ce n'était rien. Mais un agent m'a contacté et il a cherché pour moi, pendant ces deux derniers mois, des rôles plus importants. Je crois qu'il a réussi. J'ai aussi rencontré... Un professeur d'arts dramatiques. Il me donne des cours et selon lui, j'ai beaucoup de potentiel.

A mesure qu'elle parle, son discours se construit peu à peu et sa confiance prend de l'importance. Avec un peu de chance, elle arrivera à les convaincre. Ils n'avaient pas le choix, sa décision était déjà prise.

Those Ocean Eyes [FR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant