Chapitre 29

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La semaine qui suit cet évènement est la plus longue et la plus bizarre qu'ait jamais vécu Joanne depuis cet été. Elle en avait vécu des aventures jusqu'ici. Elle avait rencontré Tom, l'avait d'abord détesté avant d'apprendre à le connaître, puis de découvrir ses blessures cachées. Il l'avait aidé à son tour, sans rien demander en échange, juste motivé par son potentiel. Ensemble, ils s'étaient disputés, déchirés, retrouvés, comme de vieux amis. Elle n'avait jamais su qualifier leur relation, n'avait en réalité jamais pensé à lui trouver une qualification. Pour elle, il était Tom, c'était tout. Ami, ennemi, un peu tout ça à la fois et rien de tout cela en même temps. Ils avaient eu une certaine complicité durant les bons moments qu'ils avaient partagé mais lorsqu'ils s'en voulaient, c'était radical. Elle le connaissait depuis trois mois à peine et déjà, ils en avaient fait des montagnes russes. Jusqu'au baiser, elle ne l'avait jamais vu comme attirant.

Du moins, c'était ce dont elle essayait de se convaincre depuis. Elle était rentrée essoufflée, épuisée, en larmes. En colère, heureuse, honteuse, tous ces sentiments à la fois. Elle s'était effondrée sur son lit et avait pleuré. Elle avait l'impression d'avoir franchi une limite, dont ils n'avaient jamais clairement parlé mais qui avait toujours été présente. Ce n'était qu'un jeu, pas vrai ?

Pourtant, elle avait de plus en plus de mal à s'en persuader. Si c'était vraiment le cas, pourquoi avait-elle donc si mal au cœur ?

Ils n'échangèrent pas de la semaine. Elle se levait le matin, restait dans son lit jusqu'au soir, au moment de son service. Puis elle rentrait, retournait se coucher et recommençait le lendemain. Cela aurait pu continuer très longtemps ainsi s'il n'y avait pas eu deux évènements venus la sortir de sa torpeur.

D'abord, Marco la retient un soir après son service. La mine déconfite, il n'a pas l'air ravi et elle sent un poids tomber sur son estomac, rendu déjà bien lourd par sa phase de déprime. Elle s'accoude au bar, sans grand espoir quant à l'issue de leur discussion.

— Joanne, commence son patron en posant le verre qu'il était en train d'astiquer, j'ai une mauvaise nouvelle. On perd de l'argent et mon père, qui m'aide à financer l'établissement, me demande de le fermer pour l'hiver. Ce qui signifie...

— Ce qui signifie que je suis virée, termine la jeune femme, la gorge serrée.

Une boule s'y était formée, l'empêchant de parler d'une voix claire. Elle s'en doutait depuis un moment, à vrai dire. Cela n'empêchait pas la nouvelle d'être difficile à avaler. Immédiatement, elle pense à son studio et au loyer qui doit bientôt partir. Le monde semble s'écrouler mais elle ne montre rien devant Marco. Elle lui rend simplement son tablier en le remerciant de lui avoir donné sa chance. Il lui répond en lui tendant son dernier chèque de paye, qu'elle glisse dans la poche arrière de son jean sans même y jeter un coup d'œil. Elle rentre chez elle, bouleversée, avec l'horrible perspective de se retrouver bientôt à la rue. Un temps, elle est tentée de demander de l'aide. Sa main attrape son téléphone mais elle s'arrête alors qu'elle le déverrouille. Qui croit-elle donc pouvoir appeler ? La seule personne de sa connaissance à avoir un toit à Los Angeles ne lui parle plus depuis des jours et jamais elle n'osera faire le premier pas. Pas après ce qu'elle avait fait.

Très vite, elle se résigne. C'est la fin de son aventure américaine. Elle ne peut pas se permettre de rester plus longtemps, elle devrait d'abord trouver un autre travail. Même si cela est possible, Joanne n'a plus ni la force, ni le courage. Pour la première fois depuis longtemps, elle a le mal du pays. Sa famille lui manque. C'était si simple alors, quand elle vivait chez ses parents. Elle n'avait qu'à suivre les études qu'on lui avait choisi et le reste suivrait. Mais elle avait tenté de sortir du sentier battu et la voilà prise au piège dans des ronces. Elle pourrait s'en sortir facilement, essaye de la convaincre une minuscule voix dans sa tête, son dernier espoir. Mais la fatigue, la tristesse et la colère sont trop grandes. Elle abandonne. Juste à ce moment-là, comme un signe du destin, son petit frère lui envoie un SMS.

Those Ocean Eyes [FR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant