Chapitre 20

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Feelin' Good - Nina Simone

Leur vol comportait toutefois une deuxième et dernière escale, cette fois-ci à New York. Il y avait donc tout un océan à survoler et autant de temps où il fallait s'occuper. Joanne regarde l'avion qui quitte le sol irlandais avec un brin d'appréhension niché au creux de son estomac. La voilà qui s'avance à nouveau tête baissée dans l'inconnu, une chose qui ne lui était pas familière. Habituée à la routine et au quotidien bien réglé, au millimètre près, c'était pour elle très angoissant de partir ainsi à l'autre bout du monde, seule. Ou presque : elle devait bien se l'avouer, la présence à ses côtés de Tom avait quelque chose de réconfortant. Même s'ils ne se connaissaient que peu, il avait déjà fait plus pour elle en deux mois que certains de ses amis en des années de relation. Elle se forçait néanmoins à garder un peu de réserve : elle avait déjà trop accordé sa confiance, trop tôt et trop vite. Il fallait bien qu'elle tire un jour des leçons de ses erreurs passées et celle-ci était douloureuse. Elle n'avait pas pu faire face à Clara pour lui dire ses quatre vérités, combien elle l'avait trouvé abjecte à dévoiler aussi facilement ses informations personnelles à des inconnus. Elle aurait voulu la compter dans son cercle restreint d'amitiés mais il fallait se rendre à l'évidence : elles ne pourraient jamais devenir amies. Elles avaient déjà des tempéraments bien trop éloignés et cela aurait dû lui mettre la puce à l'oreille. Mais, petit animal perdu dans une ville qu'elle ne connaissait pas, Joanne s'était forcée à lui faire confiance. Après tout, elle avait bien réussi à lui trouver un emploi et un logement, n'était-ce pas merveilleux ? Elle s'en voulait de s'en être arrêtée à cela. Si elle avait croisé plus loin, elle aurait sans doute tourné les talons pour fuir à toutes jambes. Elle aurait ainsi évité pas mal de mauvaises rencontres mais surtout, elle en aurait raté une. Une qui lui paraissait valoir le coup.

Elle glisse un regard sur le côté. Tom a la tête qui penche sur un côté, vers son épaule, et tous les traits de son visage sont détendus, ce qui est un fait rare chez ce monsieur débordant d'énergie mais également très consumé par le stress de son étrange métier. Il s'est endormi très rapidement après le début du vol, ce qui lui laisse penser qu'il doit être épuisé. Quel rythme de vie mène-t-il ? Elle a pu voir, aux côtés de Nicholas, que les journées commençaient tôt et se terminaient tard. Parfois même, elles s'enchaînaient sans que le voile de la nuit ne se pose sur eux. Elle reste un moment à l'observer et elle en prend conscience après plusieurs minutes. Il a l'air d'un enfant, innocent et inconscient du monde qui l'entoure. Fragile et craintif, un homme ayant besoin de protection. Il semblait nourrir une aversion assez profonde pour les journalistes mais elle devinait qu'il s'agissait en réalité, cachée sous sa colère, d'une peur de voir son intimité lui être retiré. Il était un personnage public et c'était la seule qu'il lui restait. Si on commençait à l'exposer ainsi, à lui prêter mille et une aventures, sans doute que c'était pour lui très contrariant. Peut-être que lui aussi avait besoin de fuir Londres, fuir son pays, sa patrie. Et le voilà sur le même vol qu'elle. Elle ne pouvait croire en une simple coïncidence : il avait réservé le siège se situant exactement à côté du sien. Comment avait-il su, elle n'en savait rien, et cette pensée soudaine lui hérisse le poil. S'il l'espionnait ? S'il la suivait ? Peut-être que derrière ce visage charmeur, il cache en réalité des desseins tout aussi horrifiants que ce que lui avait réservé Nicholas. Elle blêmit à cette idée. Etait-elle donc à ce point naïve ? Ou devenait-elle paranoïaque ? On avait si souvent abusé de sa confiance que cela ne l'étonnerait qu'à moitié. Elle ferme les yeux et se détourne de sa contemplation. Elle ne doit pas sombrer dans cette crainte de l'autre mais seulement apprendre à connaître les personnes qu'elle côtoyait avant de leur en donner trop et de le regretter après.

Elle allume l'écran devant elle après une demi-heure passée à rêvasser. Contrairement à son voisin, le sommeil se refuse toujours à elle et elle doit donc essayer une nouvelle manière de s'occuper l'esprit, dont les divagations constantes commencent à lui peser. Elle cherche un film à regarder pendant le vol et choisit un nouveau film avec Hugh Grant et Julia Roberts, le célèbre Coup de foudre à Notting Hill. Elle ne fait pas exprès de choisir des comédies romantiques, et encore moins celles ayant en tête d'affiche le Don Juan britannique mais elle a besoin d'un film léger, de ceux qui se regardent avec délice sans prise de tête. Elle se plonge doucement dans l'histoire, qu'elle n'avait plus vu depuis une éternité. A nouveau, elle sent sur elle le regard de son compagnon de voyage qui émerge de sa sieste pour s'incruster dans sa séance de visionnage.

Those Ocean Eyes [FR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant