Chapitre 28

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I'm kissing you - Des'ree

Devant son miroir, Joanne ne sait comment elle se sent exactement. Depuis que Tom est revenu, sa petite routine, qu'elle avait tant apprécié mettre en place et qui la rassurait, avait été complétement chamboulé. Elle perdait ses repères et cela l'angoissait autant que cela la stimulait. Il avait eu le don de lui donner, en trois jours à peine, l'espoir fou qu'elle pouvait y arriver. Mais dans un coin de sa tête, sa nature profondément anxieuse ne la laissait pas profiter. Elle attendait le moment où tout allait s'écrouler. Pestant contre elle-même, elle enfile un gilet par-dessus sa robe. Aujourd'hui, sa tenue est un peu plus recherchée que d'habitude. Elle a retrouvé dans ses affaires ce pull si long qu'il lui arrive aux genoux. En-dessous, elle a enfilé un collant noir opaque et à ses pieds, chaussé les seules bottines à talons qu'elle possède. Et maintenant, elle s'apprête à se maquiller. Il lui semble qu'une éternité s'est écoulée depuis qu'elle a mis pour la dernière fois du fard à paupières. Quand elle était à la fac, elle avait développé cet aspect de sa personnalité et ces moments de préparation lui faisait beaucoup de bien. Elle avait abandonné cela quand elle avait rencontré son petit ami, qui trouvait que c'était une perte de temps. Elle comprenait seulement aujourd'hui à quel point elle avait été stupide de le laisser avoir ainsi l'ascendant sur elle.

Elle défait ses cheveux, qui ont bien poussé depuis l'été. Ils ondulent en boucles brunes et douces sur ses épaules, encadrant son visage un peu trop long pour être harmonieux. Elle a l'impression d'être une toute autre personne. Satisfaite, elle sort de la salle de bain, attrape son manteau et son sac à main puis file rejoindre George qui l'attend déjà depuis un moment. Quand il la voit arriver, il peste un peu pour la forme, se plaignant de son retard, avant de hocher la tête en signe d'appréciation devant sa tenue.

— Magnifique, dit-il. Une fleur prête à éclore.

Il lui ouvre la portière du côté passager de sa berline noire et elle s'engouffre dans l'habitacle, l'estomac soudain noué. Il prend le volant à ses côtés et ils se mettent en route. La radio diffuse un CD d'Elton John, dont ils avaient justement parlé plus tôt et elle se met à chantonner doucement. George, lui, pousse ses meilleures vocalises, tout pour son public. Joanne rit intérieurement, impressionnée par la désinvolture de cet homme, qui vit comme il l'entend. Elle aimerait tant être comme lui, un peu de temps en temps. Toute sa vie, elle l'a passé à suivre des règles idiotes et sans fondements, parfois qu'elle s'imposait elle-même. Il était temps de grandir. A son âge, elle pouvait enfin se permettre d'être l'adulte qu'elle avait toujours rêvé être.

Après environ une demi-heure de voiture, ils finissent par se garer devant le portail de la villa de Tom Sutton. Une pierre vient se loger dans ses entrailles alors que Joanne sort du véhicule. L'anxiété l'aurait tétanisé sur place si George n'avait pas pris les devants. Il agrippe son bras et l'entraîne à sa suite. Elle se sert de lui comme d'un pilier, une bouée dans cet océan de pensées toutes plus stressantes les unes que les autres. Et si elle était en train de faire une grosse erreur ?

L'horrible impression s'estompe quand l'acteur leur ouvre la porte et qu'il les découvre, un large sourire sur le visage. Ses yeux se plissent et elle ne peut s'empêcher de l'imiter. Sa bonne humeur est contagieuse.

— Vous voilà enfin ! Entrez, j'ai préparé du thé.

Quoi de plus anglais ? Quoique l'heure était un peu matinale mais elle ne s'en formalise pas : elle adorait commencer sa journée avec un thermos de thé vert quand elle allait à la fac. La théine était son substitut à la caféine et elle en était devenue accro. Voilà des siècles qu'elle n'en avait pas bus, se souvient-elle soudain.

Alors qu'elle s'apprête à entrer en entraînant avec elle l'agent, celui-ci la lâche sans prévenir et se confond en excuses.

— Excuse-moi Tom, j'ai oublié de te dire : j'ai rendez-vous avec l'équipe de ce film secret que tu vas bientôt tourner, fait-il avec des regards équivoques vers la jeune femme, qui doit demeurer dans l'ignorance, et je dois filer au plus vite. Mais je te confie Joanne, je sais que tu prendras soin d'elle. Joanne, ma chère, reprend-il à son intention, on se voit très vite. J'ai ton numéro, je t'appelle.

Those Ocean Eyes [FR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant