Évanescence

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Un piètre fantôme se faufile, de chemins en chemins, de sentiers dégradés en sentiers dégradés ; il se faufile au fond des abysses océaniques, dans les tunnels croisés du manteau supérieur de la terre. Il se faufile à travers le magma d'un volcan effusif. Il se faufile sur la pente escarpée, parsemée de granit blanc, d'un relief archaïque. Il se faufile et il chatoie d'inconstance. Il est une vapeur qui gravit une grande tige déiforme. Il marche et il marche, et il marche encore, à la recherche des trésors rares à nulle âme transférables.

Les souvenirs qu'il a perdus.

Aux origines, il y a sa naissance, marquée de sang et de gerbes d'eaux farouches,

Il y a ce bête accident, qui a emporté l'âme d'un pauvre garçon de troquet,

Ce jour fatidique, un instrument de métal dérapa, les yeux rayonnants et le pouls battant à trois milliers de pulsations minute. Il dérapa, comme le fond des milliers d'instruments de métal, affublés de jambes symétriques, de crocs déchirants, d'une face rêche et oblique. Á chaque avancée de la destinée, un geste lâche et un broyage large. Avec ses deux globes allumés, l'engin percuta le commis de plein fouet. Il frappa son colon si fort que les os du garçon s'effritèrent et tombèrent en miettes. Tant, que, dans l'ambulance et à la clinique, la science, la technique et la médecine, confondant les os d'un buste et ceux d'un colon, ne trouvèrent matière le guérir. Le chirurgien eut vite rayé de sa caboche la croche cinglante d'un échec cuisant.

Accordons-nous à dire qu'une vie en fauteuil, des prothèses et des organes artificiels vissés dans sa chair, ça fait grotesque quand l'on est qu'un simple garçon de comptoir, amateur de criquet.

Mais <chahut> <chahut>.... est-ce plus adapté lorsque l'on est un fils de bourgeois immature, ou enfant de vétéran politique ? Certes, il paraitrait...

Ce garçon de troquet, il fut embaumé comme les autres, ma foi, c'était un homme comme les autres. Sa mère et son père s'en souviendront, sa petite amie aussi, mais elle l'oubliera vite dans les bras protubérants d'un élégant. Le piètre dandy, chacun emportera son souvenir dans la tombe.

C'est ainsi fait.

Le serveur fut accepté auprès de dieu, dans sa maison de nacre. C'était un bon chrétien, quoiqu'il n'ait revendiqué aucune croyance. Il était bon chrétien parce qu'on l'avait classé parmi les humbles et les laborieux. Les miséricordieux. Après sa mort, c'est un prêtre chrétien qui l'eut purifié et chanté ses louanges, dans la maison de dieu.

« Fadaises », entendirent crier le mort ses plus proches fidèles. Mais la conscience collective absorba l'évènement occulte, la nature pusillanime des êtres chétifs fit le reste.

Le garçon de troquet, à un âge précoce, fut enseveli sous une pierre tombale en granit blanc, superbe et polie en pavé. On y posa des fleurs, un temps. On vint s'y recueillir, un temps. On entretint les fleurs, et on en posa d'autres, des tulipes, des roseaux. Non, en y repensant, pas des roseaux... des roses rouges et des roses blanches, nucléées d'épines recourbées, des jasmins camphrés et des myosotis encore entourés de leur fine senteur printanière.

Puis on flâna dans le cimetière, sans savoir quelle tombe accoster. On but au robinet, au goulot, à une distance incertaine de l'espace clôturé. On s'arrêta à un mausolée dont l'architecture nous rappelait le parvis d'un manoir que l'on avait visité dans un pays nordique. En Norvège ? En Finlande ? Á l'Est, en Lettonie ? En Lituanie ? Zut alors, pas moyen de se rappeler... bon, ce sera en Suède, et puis c'est marre. Non, au cercle polaire, ça sonnera mieux dans la tête, comme une petite voix fluette d'enfant sage. Le cercle « arc-tique ».

Pour la suite, on s'embrouilla. Tout de même, on se demanda, une dernière fois, pour la politesse, pour ne pas croire que l'on devenait fou ou radotant : qui fallait-il pleurer ? Pas une épitaphe sur une plaque de granit ? Pas un squelette rongé par les vers depuis lurettes. Luisants, dodus, annelés, comment étaient-ils, les descendants de ces vers qui avaient fait un festin de la dépouille de notre aïeul ?

Les fenêtres de l'âme (nouvelle)Kde žijí příběhy. Začni objevovat