La caravane

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Après le repas qui se termina dans une ambiance tendue, Ophélie tint sa promesse faite à son frère et entraîna Thorn et Renard dans cette petite expédition à la caravane du Carnaval. Thorn trouvait l'idée dangereuse mais Ophélie avait besoin de décompresser de ses journées remplies de chiffres, de rendez-vous et de grandes décisions.

Dans un brouhaha musical, Hector courrait, heureux, d'échoppes en chapiteaux, un petit appareil photographique portatif à la main, suivi de près par un Renard tout aussi amusé, et suivi d'un peu plus loin par le couple en pleine conversation.

Ophélie n'avait pas songé qu'une banale visite d'un cirque deviendrait une séance de travail assidue. De fait, le lieu regorgeait d'animaux sauvages non répertoriés, de travailleurs non déclarés et même de certaines personnes interdites de fouler le pied au Pôle! Thorn la secondait, ému de pouvoir enfin lui être un peu utile, tenant son carnet et inscrivant tout.

Thorn et Ophélie, sans son uniforme d'intendant, passaient presque incognito, comme un couple quelconque venus se distraire. Mais cela ne dura pas car ils furent bien vite abordés par des Chroniqueurs, la cousine de Thorn et ses frères. Ophélie voulut d'abord calmer le jeu en essayant d'instaurer une conversation polie mais bien vite elle sentit que l'animosité de ces personnes envers eux se faisait grandissante. Elle allait devoir utiliser la manière forte.

Elle se mit devant Thorn pour le protéger et lui ordonna de se mettre à l'abri. Frustré et entêté, celui-ci ne recula que de quelques pas. Thorn ne pouvait se résoudre à la laisser seule face à eux, cela devait être à lui normalement de la défendre! Ophélie voyant que Thorn ne reculait plus se mit à crier et celui-ci bascula en arrière. Assis par terre, il commença à sentir une soudaine et violente migraine. Résigné, il se décida à ramper à quatre pattes vers la roulotte la plus proche afin de se protéger derrière elle et observer la scène.

Ophélie avait sorti ses griffes, d'abord elle esquivait afin d'éviter de blesser quelqu'un mais bien vite elle comprit qu'elle serait obligée de se battre. Elle fut rassurée lorsqu'elle vit apparaître Vadislava pour l'aider. Au bout d'une lutte acharnée, elles arrivèrent toutes deux à les mettre en fuite. Thorn n'avait rien loupé de la bataille et était admiratif de la manière dont Ophélie utilisait ses griffes, sans agressivité excessive, avec une violence maîtrisée et une prestance impressionnante. Une vraie dragonne.

Lorsqu'elle se retourna, Thorn était en train d'épousseter sa robe et ses bas. Ophélie remarqua de suite qu'une manche de Thorn était déchirée et qu'une tâche rougeâtre commençait à apparaître.
- Vous êtes blessé ! S'inquiéta-t-elle.
- Oh ce n'est rien, tenta-t-il de la rassurer. Je me suis probablement retiré trop tard.
Gêné, il apposa son châle par dessus alors qu'arrivaient Hector et Renard souriants.
La visite prit fin et ils empruntèrent une rose des vents pour rentrer.

La dernière porte des vents qu'ils empruntèrent débouchait sur un étroit passage. À leur droite, le haut de la falaise, à leur gauche une muraille qui serpentait le long du précipice. Et autour, le vide, le néant. Une fine pluie commençait à tomber et Thorn ordonna à Renard de ramener Hector à l'abri près de l'embarcadère du téléphérique. Thorn et Ophélie se retrouvèrent seuls.

- Pourquoi avez-vous dit à mes parents que je pourrais rentrer à Anima après notre mariage? Demanda à brûle-pourpoint Ophélie.
- Vous m'avez clairement fait comprendre que vous ne souhaitiez pas... enfin. Dans quatre jours, lors du mariage, nous procéderons à notre échange de dons, et dès que nous trouvons la solution à cette inversion de nos corps, je vous rendrai votre liberté. Le reste ne me regardera plus.
- Mais...
Un effondrement d'une partie de la falaise au loin les interrompit. Ophélie détourna le regard ahuri vers l'endroit d'où provenait le bruit mais le brouillard enveloppait tout. Thorn lui expliqua la récurrence de ces phénomènes ce qui lui donna un frisson le long de la longue colonne vertébrale.

En se retournant en face de Thorn, elle vit qu'il maintenait discrètement son bras en faisant une grimace.
- Montrez-moi votre bras, ordonna-t-elle.
Thorn retira le châle qui couvrait ses épaules et elle se pencha vers lui afin d'inspecter la blessure. La plaie était nette autant que la découpe du tissu. Un coup de griffe à n'en pas douter.
- C'est moi qui vous ai blessé, je suis vraiment désolée.
- Ce n'est rien, fit-il d'une petite voix.

La présence si proche du visage d'Ophélie le troublait fortement. Il pouvait sentir son parfum.
- Qu'allez-vous dire à mes parents?
- Heu... que je me suis approché un peu trop près d'une bête sauvage? Hésita Thorn.
À ces mots, une de ses grandes mains toujours posée sur son bras, Ophélie lui jeta un regard de biais accompagné d'un large sourire.
- Est-ce moi la bête sauvage?

C'est alors que Thorn, sans réfléchir, laissa son cœur faire ce qu'il lui dictait. Il profita de la promiscuité de la bouche souriante d'Ophélie pour glisser sa main libre dans sa nuque et apposer ses lèvres sur les siennes. Quelle sensation étrange que de s'embrasser soi-même, comme si on embrassait un miroir. Voilà un geste qu'à l'ordinaire Ophélie est incapable de réaliser car à peine s'approche-t-elle d'une surface réfléchissante que celle-ci se trouble. Et là, troublés, ils l'étaient tous les deux!

Saisie par ce geste inattendu, il fallut quelques secondes à Ophélie pour réaliser ce qu'il se passait. Et comme si sa main ne lui répondait plus, elle lui asséna une gifle magistrale avec toute la puissance d'un Thorn qui le surplombait de plusieurs têtes. Thorn vacilla, ses pieds munis de petits souliers à talons glissèrent sur les dalles de pierres humides et il se pencha dangereusement vers le vide derrière lui.

Ophélie vit aussitôt le regard ahuri de celui-ci et empoigna spontanément la petite silhouette fébrile qui lui faisait face avant qu'il ne passe par dessus le muret. Thorn se retrouva, sans trop savoir comment, serré dans les grands bras d'Ophélie. Il entendait à travers l'épais pull à col roulé le rythme accéléré de ses battements de cœur, à moins que ce ne soit les siens... Ils étaient tous deux gênés de cette situation, aussi Ophélie lâcha Thorn et fit un pas en arrière.

- Pardon Thorn, mais... pourquoi?
- J'avais des doutes, vous venez de les écarter. Fit Thorn en détournant le regard, rouge de honte et d'émotion mélangées. Il se passa une petite main sur sa joue douloureuse.
- Quels doutes? Insista Ophélie.
- Je pensais que peut-être... on pourrait ainsi retrouver nos corps. Mentit-il. Visiblement je me suis trompé, n'en parlons plus.
Un silence arriva que Thorn interrompit, la voix sombre en lui tendant son carnet.
- Rentrez, vous avez du travail, il me semble. Je suis attendu. N'oubliez pas d'être présente dans quatre jours.
Il remit son châle, tourna les talons et partit rejoindre Hector et Renard, les épaules voûtées, les cheveux et les vêtements trempés de pluie.

La Passe Miroir Challenge A Fanarts Promise 1.0Where stories live. Discover now