Gynécée

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Thorn connaissait le Pôle. Il connaissait tout autant la Citacielle, ses habitudes et petites manies. Il avait arpenté maintes fois les rues sombres de ce bout d'arche flottante, ses bouges, ses palais, son opéra, sa jetée promenade et ses faux semblants. Il n'était pas sans ignorer les bassesses et les cruautés dont étaient capables les différents clans. Il avait également appris à vivre avec cette animosité envers lui, sa tante et maintenant sa fiancée.

Mais il n'avait jamais imaginé que le Gynécée puisse être également à cette image et de cette ampleur. Voilà plusieurs jours qu'il y résidait avec Berenilde et Roseline. Certes, leurs appartements reflétaient toute la position de favorite des favorites dont Berenilde bénéficiait, mais cet endroit réservé uniquement aux femmes de l'entourage de Farouk n'en était pas moins dangereux et malveillant. Et Thorn, dans la peau d'Ophélie, était le premier à en subir les foudres de celles qui semblaient se sentir lésées de l'attention de l'esprit de famille par le fait même de sa présence et de son nouveau statut, involontairement acquis, celui de Vice-conteuse.

Il se demandait comment il en était arrivé là. Ce n'était pas ce qui était convenu et encore moins ce qui lui correspondait. Conteur, lui? Et pour Farouk de surcroît ? Il n'était pas habile avec les mots, c'est le moins que l'on puisse dire. Lui, ses seuls amis sont les chiffres, une réponse claire à un problème précis. Point les histoires.

Farouk avait lâché cela d'un air lassif et cela avait été immédiatement retranscrit par le greffier. Les dés étaient jetés et il savait qu'il ne pourrait faire changer Farouk d'avis aussi facilement.
Il devait à présent trouver quelque chose à raconter, et cogitait sans cesse mais l'ambiance n'était pas des plus propices. Sa tante Berenilde s'absentait presque tous les soirs, le laissant seul avec Roseline et l'une des Valkyries. Cette tante d'Anima, qu'il ne connaissait pas vraiment, était très attentionnée mais il ne comprenait pas toujours ses expressions et son empressement incessant autour de lui le mettait mal à l'aise. Alors parfois, il s'isolait, affublé d'un groin de cochon ou de pustules, cadeaux de bienvenue des favorites mirages.

Un jour, le Chevalier a réussi à s'introduire dans sa chambre et c'est Berenilde qu'il l'en avait chassé à coup de griffes. Il n'avait pu se défendre, les défendre.
Le lendemain matin arriva une lettre de menace à l'attention de sa fiancée qui lui glaça le sang. Celle-ci se terminait par: « Dieu ne veut pas de vous ici. ».

Alors qu'il s'était enfermé dans sa chambre prétextant une migraine. Roseline frappa énergiquement à la porte, le faisant sortir de ses ruminations. Des paquets et des lettres étaient arrivés d'Anima et la tante piétinait d'impatience d'en découvrir le contenu. Thorn se demandait si c'était élégant de sa part de les ouvrir alors qu'ils ne lui étaient pas destinés. Mais devant l'enthousiasme du chaperon et le manque d'excuse de ne pas le faire, il s'y résigna. Après tout, ne lisait-elle pas elle-même son courrier? Pensa-t-il, en tentant de se disculper.

En découvrant le manteau mal léché, il fronça les sourcils et le tendit volontiers à Roseline. En ouvrant prudemment le contenu du paquet qui vibrait, il découvrit une toupie animée du mouvement perpétuel et admira l'habilité du jeune homme qui l'avait créée. La lettre de toute la famille était par contre des plus... personnelles. À sa lecture il se décida qu'il devrait la faire parvenir à sa destinataire légitime. Par contre, il devina que le dernier paquet lui était, en quelque sorte, destiné. Celui-ci provenait du Grand Oncle que Thorn n'avait fait que croiser mais qu'il savait proche d'Ophélie depuis la lecture de ses lunettes. A la demande d'un télégramme qu'il avait semble-t-il reçu de l'intendance, il avait envoyé un recueil d'histoires animistes afin que la nouvelle Vice-Conteuse puisse satisfaire la curiosité de l'Esprit de Famille du Pôle. Voilà un cadeau des plus utiles.

Alors qu'il feuilletait négligemment le livre de contes, il songea à cette phrase lâchée en toute franchise par Roseline à l'attention de celle qu'elle croyait être sa filleule:
- Au fond, je te plains. Je savais Mr Thorn peu sentimental, mais tout de même, il faut avoir des rouages à la place du cœur pour ne voir en toi qu'une paire de mains.
C'était en effet ce qu'il avait pensé en allant la chercher sur son arche natale. Mais maintenant qu'il habitait dans son corps, ressentait ses maux, vivait sa situation et possédait ses pouvoirs, il savait qu'Ophélie n'était pas qu'une paire de mains. Elle était bien plus que cela et elle était toujours fâchée sur lui. Il fallait y remédier. Le mariage approchait. Ils étaient toujours dans le corps de l'autre et cette situation ne pouvait plus durer. Il devait lui parler.

C'est alors que Berenilde entra, triomphante, une invitation en main. La Vice-conteuse était attendue pour sa première représentation au Théâtre Optique du Splendide... ce soir à minuit.

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