L'écharpe

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Tout est sous contrôle.
Voilà ce que répétait sans cesse Ophélie, plus pour se convaincre elle-même que d'en être profondément convaincue.

Tout est sous contrôle.
Thorn était passé ce matin. Thorn passait la voir de plus en plus souvent à l'intendance ces temps-ci, principalement le soir, lorsque Farouk ne l'avait pas réquisitionné au théâtre ou parfois après sa représentation de vice-conteur – ou officiellement de vice-conteuse.

Ses visites clandestines, pour lesquelles il devait déjouer l'attention de son chaperon Roseline et traverser le miroir de la penderie, avaient commencé la nuit du songe, du rêve ou du souvenir. Elle ne savait comment ils devaient l'appeler. Ce rêve, ce souvenir, Thorn l'avait fait aussi et exactement au même moment.

Cette révélation les avait tous deux stupéfaits, comme si ce rêve démontrait qu'il étaient en quelque sorte liés, connectés. Si Ophélie pouvait comprendre qu'en plus de ses propres souvenirs, elle était en possession de la mémoire de Thorn. Thorn, lui, ne disposait plus que d'une mémoire ordinaire et de la lecture involontaire des lunettes d'Ophélie, épreuve bien trop courte pour en sortir autant de détails de la vie sur Anima.

Depuis ce jour, il était devenu évident pour Ophélie qu'elle ne pouvait plus faire abstraction de son fiancé et qu'il était primordial qu'elle lui refasse confiance. Alors, elle acceptait, tant bien que mal, ses visites régulières durant lesquelles il n'était plus question du songe. Plus pragmatiques, ils abordaient tous deux des sujets bien plus sérieux et tout aussi ambitieux comme les intra familiales, le sort du Chevalier, la recherche de nourriture pour substanter toute la Citacielle pour un an entier.

Thorn avait bien essayé un temps de la convaincre de renoncer à s'impliquer dans les intra familiales, jugeant l'entreprise trop dangereuse. Mais la petite fiancée dans ce corps d'homme lui avait tenu tête car elle trouvait l'idée particulièrement juste et plus proche de l'esprit d'Anima que toute la cour de Pôle et ses coups bas. Elle avait la possibilité de réhabiliter des familles entières volontairement laissées dans l'oubli depuis des années.

Ophélie commençait doucement à apprécier le calme qui regagnait dans l'intendance, loin du tumulte de la cour ou l'effervescence des sous-sols du Clairedelune. Lors des rares soirées de détente qu'elle s'imposait, elle les consacrait à découvrir l'histoire du Pôle afin de comprendre les enjeux dans lesquels elle s'était engagée. Bien calée dans un fauteuil qu'elle avait agrémenté de coussins confortables, le poêle au gaz ronronnant, les pieds glissés dans des chaussettes épaisses, un bon thé fumant et des petits biscuits, elle lisait un épais volume issu de l'encyclopédie des us et coutumes des différentes familles du Pôle. C'est ainsi que la trouva Thorn ce soir-là. Il n'était pas venu les mains vides. Il tenait dans ses mains son écharpe qui, après une certaine hésitation, franchit les quelques mètres qui les séparaient et vint se hisser au cou haut perché du corps de l'intendant pour s'y lover douillettement. Quelle sensation merveilleuse et étrange à la fois de pouvoir glisser ses doigts anguleux d'homme dans ces mailles qui l'avait tant manquées! Devant le regard étonné d'Ophélie, Thorn s'expliqua:
- Elle se trouvait parmi vos effets personnels, ceux qui nous ont été livrés depuis le manoir de ma tante.
- Et elle ne m'a pas reconnue? Fit Ophélie de plus en plus surprise.
- Il m'est difficile de comprendre le comportement des objets animés.
Ophélie ne pouvant se contenter d'une réponse si succincte l'invita à continuer.
- Dans un premier temps, elle m'a prise pour vous mais il semble qu'elle se soit vite rendue compte que quelque chose n'allait pas.
- C'est aimable à vous de me l'avoir apporté. Répondit Ophélie, ravie de retrouver ce contact chaud et rassurant auprès d'elle.
- Je dois avouer qu'elle ne m'en a pas laissé le choix.
- Comment cela?
- Son comportement envers moi était de plus en plus... Votre tante commençait à avoir des soupçons.
- Je vois. Ne va-t-elle pas s'étonner de ne plus la voir auprès de vous?
- Je pense que, tout comme ma tante, elle sera heureuse que je m'en sois... débarrassé.

Retrouver sa fidèle écharpe lui redonnait confiance et courage. Afin de n'éveiller aucun soupçon, elle l'enfermait dans la penderie pendant ses consultations, la retrouvait avec plaisir en fin de journée et ne se la quittait plus de la nuit. Elle avait enfin fait installer un lit à la taille du corps qu'elle occupait qu'elle masquait la journée derrière un paravent.

Un matin, Thorn dans son frêle corps de femme, réveilla timidement Ophélie. Il tenait fébrilement un billet en main. Il avait reçu un message qu'il ne comprenait pas mais était certain qu'Ophélie aurait la réponse. Le message provenait d'un certain G à propos d'un certain R.

La Passe Miroir Challenge A Fanarts Promise 1.0Donde viven las historias. Descúbrelo ahora