Mes Ailes Brûlées

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À sept heures pile, le réveil sonnait. Je papillonnais toujours des cils avant de replonger sous la couverture. Exactement sept minutes plus tard, j'étais debout dans la salle de bain. Je me brossais les cheveux pendant quatre minutes, me coiffais pendant huit. J'avais toujours la même coiffure, une queue-de-cheval haute. Je m'habillais ensuite après avoir récupéré les vêtements préparés la veille par Marianne. Onze minutes plus tard, je descendais prendre un petit-déjeuner.

Je m'asseyais toujours à la même place. Dès que l'eau à l'étage coulait, signe que Papa allait se doucher, je me levais. J'ouvrais la porte du placard où il y avait les bols. Je la refermais sans avoir rien pris avant de l'ouvrir à nouveau. Je prenais le bol bleu, puis le blanc et finissais toujours par choisir le jaune. Je versais le chocolat en poudre, toujours deux cuillères ; versais ensuite le lait, aux trois-quart du bol ; et terminais enfin par mettre le bol de lait chocolaté dans le micro-onde. Je fermais la porte, l'ouvrais de nouveau, la refermais, la rouvrais et la fermais une dernière fois avant de faire tourner le bouton pour choisir le temps. Cinquante secondes plus tard, le micro-onde sonnait et mon lait était chaud. Je plongeais ma cuillère dedans et faisais tourner le chocolat ; quatre tours à gauche, quatre tours à droite. Je prenais ensuite deux biscottes que je tartinais, chaque fois fois de haut en bas, de beurre. Je les posais près de mon bol et enlevais la cuillère de ce dernier. À gauche de mon bol jaune se trouvaient mes deux biscottes beurrées, parfaitement alignées. À droite se trouvait ma cuillère, toute droite. Je prenais tout le temps la biscotte la plus éloignée de mon bol. Je la trempais alors deux fois dans le chocolat chaud. Je prenais une bouchée, faisant craquer la tartine sous mes dents d'enfant.

Papa arrivait généralement au moment où je trempais pour la sixième fois la biscotte dans le chocolat chaud, au moment où j'allais donc prendre ma troisième bouchée. Il m'embrassait le front et je regardais l'heure sur l'horloge sur le mur. La grande aiguille indiquait le neuf et la petite était entre le sept et le huit, mais beaucoup plus proche de ce dernier. Chaque jour, quand, dans ma tête je déchiffrais sur l'horloge murale sept heures quarante-cinq, Papa appuyait sur le bouton pour allumer la bouilloire. C'est toi Maman qui, quand j'étais en CP, m'avait appris à lire l'heure. La bouilloire en marche, il fallait trois minutes pour qu'elle siffle indiquant à Papa que l'eau était chaude. Exactement le temps qu'il me fallait pour finir ma première biscotte et prendre la première bouchée de la deuxième.

Papa versait aléatoirement son café dans une tasse, il ne dosait pas. Je n'arrivais à comprendre comment on ne pouvait pas structurer précisément ce que l'on faisait. Toutes mes journées étaient chronométrées. Tous mes gestes étaient réfléchis en une suite logique. Après avoir versé l'eau chaude dans sa tasse, Papa s'asseyait en face de moi. Il tournait sa cuillère n'importe comment et du haut de mes huit ans, je ne pouvais m'empêcher de compter s'il faisait bien quatre tours à gauche et quatre tours à droite même dans sa façon aléatoire de faire. Certains matins, il arrivait à en faire quatre des deux côtés, certains jours il n'en faisait que deux de chaque côtés, d'autres matin il en faisait trois à gauche et quatre à droite. Ces matins-là, je levais ma cuillère, je la mettais dans le café noir de Papa et je tournais un tour à gauche. Papa ne disait rien, il me regardait faire. Tout comme il me regardait tremper deux fois mes biscottes avant chacune de mes bouchées, tout comme il me regardait boire la fin de mon chocolat tous les matins dans mon bol jaune. Il me regardait faire mon étrange manège chaque jour et chaque jour, je voyais une ligne de tendresse, une ligne de tristesse et une ligne de tourment se creuser au coin de ses yeux. Tu sais Maman, la place à laquelle je m'asseyais chaque jour quand je m'installais à table était la tienne. Tu sais Maman, le bol jaune que je choisissais toujours avec soin c'était celui que tu m'avais offert un jour où j'avais cassé mon bol avec Donald et Mikey, le canard et la souris inventés par Disney qui étaient bébés et qui buvaient au biberon, dessinés dessus. Tu sais Maman, ce jour-là tu m'as dit que le jaune était ta couleur préférée. Et tu sais Maman, depuis ce jour-là, le jaune est ma couleur préférée.

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