Mes Ailes Brûlées

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Ce texte est un repost.
Il parlera donc de troubles psychiques.
Si vous n'êtes pas à l'aise avec ce genre de sujet, ne lisez pas !

TW : dépression — TOC — anxiété — eatings disorders — suicide

14 Décembre

« Salut,

Je ne suis pas sûre que tu saches qui je suis. Après tout, en dix ans, j'ai eu le temps de changer. Tu t'en rends compte.. dix ans ? Dix Noëls sans que tu sois à mes côtés, dix anniversaires où tu n'étais pas présente. Dix ans. Dix ans, ça signifie que je suis majeure aujourd'hui. Alors, pourquoi je ne t'écris qu'aujourd'hui me demanderas-tu, enfin si tu pouvais encore parler ? Je ne sais pas trop en vrai, c'est comme si j'en avais eu le besoin, aujourd'hui, quand je suis enfin majeure de te dire ce que j'ai sur le cœur.

Tu ne peux pas m'en vouloir de n'être jamais allée en dix ans au cimetière, tu n'en aurais pas le droit. Essaie un instant de comprendre ce que j'ai ressenti ce jour-là. Essaie un instant ce que ça fait dans la tête d'une gamine de huit ans de trouver sa mère morte dans son lit après avoir avalé des cachets accompagnés d'alcool. Essaie bordel avant de me faire une quelconque remarque !

Tu étais morte Maman, morte dans ton lit. Tu étais glacée, gelée. Et tu souriais.. comment pouvais-tu sourire alors que tu venais de me laisser seule..?

Je ne saurais probablement jamais combien de temps je suis précisément restée dans ce lit à hurler, à te supplier d'ouvrir les yeux. Je sais juste que c'est Papa qui m'a réveillée. Je sais juste que j'avais énormément mal à la tête. Je sais juste que j'avais encore le tracé de mes larmes sur mes joues. Je sais juste que les policiers m'ont interrogée ; que les médecins m'ont interrogée ; que Papa m'a interrogée. Ils m'ont tous interrogée et pendant plusieurs jours j'ai répété exactement les mêmes mots en boucle, comme un refrain.

« Je ne sais pas ce qu'il s'est passé. J'avais fait un cauchemar. Ce qu'il se passait dans mon cauchemar ? Maman était morte et elle était transformée en ange. Ce que j'ai fait après ? Je me suis levée pour être sûre qu'elle ne se soit pas transformée, qu'elle ne soit pas partie. Et ensuite ? Ensuite j'ai voulu lui faire un câlin.. mais elle était toute froide. »

Je t'en ai tellement voulu Maman. Pendant des nuits entières, j'ai pleuré. Pendant des nuits entières, je me réveillais en sueur pour vérifier que Papa était là et qu'il n'était pas froid. Pendant des nuits entières, j'ai pleuré avec lui.

Papa avait changé ses horaires pour être avec moi la nuit. Enfin, c'est ce qu'il m'a dit. J'ai découvert plus tard qu'il avait démissionné et que c'est pour ça qu'il n'était plus là à la sortie de l'école. C'est Marianne qui me gardait. Marianne a été ma nourrice si je peux dire. Elle me cherchait à la sortie de l'école, préparait mon goûter, m'aidait pour mes devoirs, m'emmenait à la danse les lundis, mercredis et vendredis soirs, cuisinait le dîner, me disait d'aller me doucher, préparait mes affaires pour le lendemain, et me souhaitait un « bonne nuit » à vingt-et-une heure un quart précisément. Papa rentrait à vingt-et-une heure quarante. Il me rejoignait dans ma chambre, embrassait ma joue et me disait qu'il fallait dormir maintenant. Toute ma vie s'est ensuite basée sur la précision.

À vingt-et-une heure cinquante-six, je fermais alors les yeux après t'avoir raconté ma journée Maman. Je te raconter tous les détails de ma journée ; du cours de sport où je détestais les sports d'équipes, au repas de la cantine qui ne m'inspirait jamais complètement, au moment où Marianne venait me récupérer. Je te racontait tout exactement pendant seize minutes, seize minutes entre toi et moi. À vingt-et-une heures cinquante-sept, je m'endormais en entendant le bruit de la télé que Papa avait allumée. À une heure cinq, je me réveillais en sursaut. Tu étais là, près de moi. Tu me chuchotais des « désolée » et des « je n'avais pas le choix » en boucle. À une heure huit, j'étais avec Papa qui me disait que tout allait bien. Toutes les nuits, ou plutôt tous les matins, quand je le rejoignais, Papa était réveillé. Je me suis toujours dit qu'il attendait que je le rejoigne.

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