Ayaan me fixa d'un air interrogateur, se demandant surement la raison pour laquelle nous avions bien pu nous disputer, ce qui ne nous arrivait presque jamais. Morgan, lui, ne semblait pas étonné, un doute terrible s'empara de moi, lui en aurait-elle parlé ? M'aurait-elle trahie une seconde fois ? Impossible, si Morgan aimait Iris, cette dernière n'en avait que faire de lui.

    Elle me fixa, sans rien laisser paraitre du trouble qui venait d'apparaitre dans ses yeux. Je ne pouvais pas berner Iris, elle me connaissait trop bien, elle savait à quel point je détestais Ayaan, et ce n'étais vraiment pas dans mes habitudes de venir ainsi m'excuser en public, et puis, elle se doutait bien que je lui en voulais encore pour avoir juré allégeance au Malkam.

    Son œil vert semblait lire en moi, une douce nostalgie s'empara de moi, le détecteur de mensonges, comme nous l'appelions ; son œil vert, capable de savoir lorsque quelqu'un mentait. Iris était bien trop intelligente pour croire à mes mensonges.

    Je la suppliai de se taire d'un simple regard.

    Elle finit par hausser un sourcil parfaitement dessiné tandis qu'un faible sourire naquit sur ses lèvres, sourire qui ne réussit pas à chasser l'inquiétude dans ses yeux verrons.

    -Évidemment que je te pardonne, j'ai été maladroite, je n'aurais pas dû réagir ainsi. Mais nous en reparlerons plus tard, seules.

    Son regard était lourd de sous-entendus. Je souris, soulagée.

    -J'étais sûr que tu comprendrais.

    Notre échange sonnait si faux que j'eus peur qu'Ayaan comprenne quelque chose, mais non, mes talents d'actrice ne m'avaient pas fait défaut.

    -Tout est bien qui finit bien ! Rien de mieux qu'une belle réconciliation, s'exclama Ayaan, veuillez nous excuser, mais nous devons aller voir le roi.

    Ayaan m'entraina à sa suite, laissant Iris et Morgan derrière lui.

    J'avais été tellement concentré sur ma rencontre avec Iris que je n'avais pas vu le changement chez tous les invités. Chacun portait sur lui l'emblème des Malkam, de leur dictature, soit en foulard autour du biceps, soit en ceinturon autour de la taille pour les femmes, ou même brodé sur les vêtements. Un frisson me parcourut l'échine, c'était de pis en pis.

    Ayaan n'avait pas besoin d'en porter, son appartenance à sa famille était marquée à même sa peau, son tatouage sur son cou clairement visible par tous. Je devrais aussi me le faire, si j'épousais Ayaan.

    Non, j'allais fuir, jamais ils ne me marqueront de leur signe taché de sang.

    Je me demandai pourquoi Ayaan ne m'avait pas obligé de porter leur insigne, puis la lumière se fit dans mon esprit, j'étais déjà avec le prince, accompagné par lui, c'était déjà amplement suffisant, Ayaan m'avait évité tout ça.

    Melech Malkam était en pleine conversation avec mon père, mais tous deux tournèrent la tête au même moment lorsque nous arrivâmes à leur hauteur. Comme tous les autres, ils regardèrent nos mains entrelacées et le couple que nous formions d'un air intéressé.

    Melech eut un sourire satisfait teinté de malveillance, tandis que mon père ne me quittait pas des yeux, pas un sourire, rien.

    -Vous voilà vous deux ! s'exclama joyeusement Melech. Les futurs mariés dont tout le royaume d'Ivoire parle... (il me regarda, une lueur prédatrice dans ses yeux gris) je suis impatient de voir tous les jours ton joli visage au palais, Era Eléazar.

    Je fis une révérence et me forçai à sourire à cet être abominable.

    -Tout le plaisir sera pour moi, seigneur Melech.

    Il échangea un regard amusé avec mon père.

    -Dis donc, Azel, que lui as-tu donc fait à ta fille ? Elle ne m'a jamais semblé aussi agréable. Unir nos deux familles est la meilleure idée que nous ayons eux.

    C'est sûr, comparé aux autres idées débiles que tu as habituellement ...

    -Je suis sûr que ma fille saura représenter au mieux la digne famille Eléazar.

    Mon père ne parlait pas souvent, mais lorsque c'était le cas, tout le monde l'écoutait. Sa voix était aussi légère qu'un souffle de vent, aussi onctueuse que du miel, une voix faite pour séduire et apaiser, une voix de leadeur, comme celle de Melech et d'Ayaan.

    Il planta ses yeux noisette mouchetés de vert dans les miens et m'observa avec attention. Son regard était calme et doux, plus particulièrement lorsqu'il le posait sur moi. Mon père m'aimait, même s'il ne me l'avait jamais dit et qu'il n'avait jamais été affectueux avec moi ni avec Galaad d'ailleurs. Azel Eléazar m'aimait vraiment, je le lisais dans ses yeux, et quoi que je fasse, j'occuperais toujours une place privilégiée dans son cœur, une place que même ma mère et Galaad ne possédaient pas. J'oserais même dire qu'il était fier de moi.

    Tout dans son visage transpirait le calme ; ses yeux, ses traits, et même ses gestes. Mais sous ces apparences tranquilles se cachaient un homme froid et sans pitié qui n'hésiterait pas à laisser ou faire mourir des innocents pour arriver à ses fins, de même qu'obliger sa fille à épouser un assassin. En fait, il en était un également. Mes parents et mon frère étaient des meurtriers. Les miens étaient des tueurs sans scrupules, capable d'expulser des familles entières et à les condamner à une mort certaine.

    Voulais-je vraiment m'enfuir ? Ceux d'En Bas n'étaient pas mieux, la guerre et la mort m'accueilleraient à bras ouverts, je quitterais cet enfer seulement pour en trouver un autre ... Mais il était trop tard pour faire machine arrière, Anna et Arianna comptaient sur moi, elles avaient pris de gros risques pour me sauver.

    Ma mère arriva de sa démarche fière, sa robe bleu nuit - de la même couleur que ses yeux - ne passait pas inaperçue. Son visage inexpressif et dur caché sous des couches de maquillages et de poudres reflétait bien la femme superficielle qu'elle avait toujours été. Magdalena Eléazar était à l'image de la Tour d'Ivoire et de tous ses habitants, fausse et indifférente à l'humanité qui s'étiolait autour du faste et du luxe dans lequel elle vivait. Elle me dégoutait. Ils me dégoutaient. Je me dégoutais.

    Ses yeux perçants de rapace me détaillèrent de la tête au pied, je me faisais l'effet d'une proie dans les serres d'un prédateur impitoyable.

    -Tiens-toi droite, Era Eléazar, claqua sa langue avec dureté.

    Je me contentai de sourire et de la regarder avec dignité. Elle avait dit ça par pure habitude, pour continuer à exercer un pouvoir sur moi, mais tout le monde ici savait, elle y compris, que rien ne pouvait m'être reproché ce soir. J'étais parfaite, comme mes parents l'avaient toujours voulu. Rien ne pouvait m'atteindre, j'étais éblouissante, digne des plus grands hommes et femmes qui avaient un jour foulé notre chère planète Terre. Et j'étais au bras d'un prince, devenant ainsi une personnalité inatteignable, je n'appartenais plus à mes parents, mais à la famille Malkam. J'appartenais à Ayaan.

La Tour d'Ivoire - Tome 1 Where stories live. Discover now