Mythomorphia ~ L'Esprit De La Forêt

~13~ Shayna

Edwina a quitté la sécurité reposante du feu pour disparaître derrière les tentes précaires, vite suivie par Cécilia, qui semble vouloir prendre la jeune fille sous son aile.

Shayna sonde l'endroit où elle les a vues disparaître, attendant leur retour. Cependant, elles ne reviennent pas. Son cœur cogne douloureusement dans sa poitrine. Une fois. Que se passe-t-il ? Ont-elles besoin d'aide ? Y'a-t-il un problème ?

Shayna réfléchit, expose différentes théories, sans pour autant agir. Elle ne dit rien, se contentant de penser silencieusement, les yeux dans le vague, les sourcils froncés.

Elle finit par admettre qu'elle panique bien vite, et patiente donc. Son pied tape régulièrement le sol, en rythme avec une mélodie imaginaire, reflet de son stress intérieur.

Lorsqu'elle pose son regard noisette sur le groupe, elle remarque Farid qui l'observe attentivement. Ses yeux semblent guetter une réponse.

Et mince, j'ai encore décroché pour partir dans mes pensées, se sermonne-t-elle.

— Oui ? Excuse-moi, je n'écoutais pas...

Le jeune homme souffle bruyamment.

— Je sais. Nous disions avec le Prince que nous nous devons de nous battre pour l'animal. Mais je ne sais pas comment on pourrait s'y prendre...

Comment sont-ils arrivés à cette conclusion ? Shayna hoche la tête distraitement. Farid continue son explication, mais déjà la jeune fille est ailleurs.

Ses iris chocolat, dans lesquelles le feu rougeoyant de l'âtre se reflète, sont posées sur l'imposant arbre derrière le jeune Prince. Son feuillage dense les surplombe, tandis que certaines feuilles tombent sous les assauts répétés du vent.

Une énorme branche craque à plusieurs reprises, et n'augure rien de bon. Elle bouge violemment, poussée par le vent dans tous les sens. Les forts bruits suspects émis par la base de la branche intriguent Shayna. Une longue fissure traverse sournoisement la branche près du tronc, glissant rapidement sur le bois comme un serpent et fissure le tour de la large branche. Celle-ci pend brutalement, et tirée vers le bas par son poids, finit par se détacher de l'arbre.

Shayna a un instant avant de réagir. Seconde fatale pour le jeune prince, assis dans la trajectoire de la bûche, comme pris pour cible par celle-ci. Un cri étranglé résonne, tandis que la jeune fille regarde le drame se passer sans avoir de possibilités d'intervenir.

La chute potentiellement mortelle d'Edwina se rejoue devant ses yeux. Elle les ferme vivement, serrant fortement ses paupières l'une contre l'autre, refusant d'assister impuissante à une nouvelle scène de ce genre. Les sons autour d'elle semblent occultés. Elle n'entend plus que son propre sang qui cogne violemment à ses oreilles, l'écho de son coeur qui se bat rageusement dans sa poitrine.

Le cri de douleur du prince semble l'électriser, mais elle n'ouvre pas ses yeux. Ses jointures deviennent blanches, ses bras exposent des veines palpitantes à force de serrer les poings, tandis qu'une grimace tord son beau visage.

Les cris de Farid ne la ramènent pas non plus à la réalité. Elle ne veut pas revivre ce cauchemar. Elle ne veut pas être de nouveau impuissante devant un accident mortel.

Elle ne veut pas. Elle ne peut pas. Elle aimerait ne pas être là. Elle aimerait ne pas à avoir à intervenir.

Mais le monde en décide autrement. Farid hurle son prénom avec un tel désespoir et empressement dans sa voix que Shayna ouvre les yeux. Ses pupilles s'écarquillent, dévorant la noisette de ses iris.

Le Prince semble avoir eu le temps de se décaler légèrement. La lourde branche repose sur son bras, douloureusement écrasé sous le bois. Une déchirure sur l'épaule de son tee-shirt laisse apercevoir une longue estafilade qui balafre son biceps. L'écorce lui a déchiré son vêtement, entaillant par la même occasion sa peau.

Shayna, paralysée par la douleur qui imprègne l'air et qui déforme le visage de Mathieu, est dans l'impossibilité de réagir. Mais une information finit par briser le gel qui emprisonne son cerveau. Le prince n'est pas mort.

Farid la secoue vivement par le bras, l'enjoignant de l'aider. Elle se met soudainement en actions, bourdonnant activement autour du blessé, et suit les directives du jeune homme.

La branche est affreusement lourde, paraissant encore pleine de vie. Pourtant, elle est tombée d'elle-même.

Shayna s'occupe alors du blessé gémissant, tandis qu'Edwina et Cécilia accourent auprès d'eux. Inquiètes, elles analysent la blessure du jeune homme, et un soulagement se peint sur leur visage presque simultanément.

La blessure ne paraissait profonde que de loin. Après un rapide examen, il s'avère qu'elle est superficielle.

Épuisé par la souffrance qui ravage son bras, Mathieu finit par s'endormir à la suite de ses soins. Cécilia et Farid l'emmènent dans la plus petite tente, celle à deux places.

Shayna soupire, profitant de ce moment de calme après la tempête, et s'allonge à même la terre nue pour observer les étoiles. Celles-ci brillent majestueusement, de la même lueur qu'hier, indifférentes à la scène de remue-ménage qui a touché l'insignifiant campement humain.

Edwina reste debout, se triturant les mains, le regard baissé. Elle se dandine, mal à l'aise, éclairée par la lumière rougeoyante des flammes qui dansent dans son dos, évoquant un démon. Ses cheveux blonds cascadent sur ses épaules, fils d'argent qui se soulèvent dans la brise, et encadrent son visage aux traits enfantins, déformés par la culpabilité.

Shayna se redresse sur ses coudes, les sourcils froncés, analysant le comportement inhabituel de la jeune fille. Il la transforme, elle paraît plus fragile.

Cécilia, le visage blême, se rend à grandes enjambées aux côtés d'Edwina et lui chuchote quelques mots à l'oreille qui se perdent dans le vent, auxquels la petite blonde acquiesce.

Shayna entend les pas de Farid derrière elle. Ils sont maintenant réunis. Le jeune homme s'est arrêté, curieux face au comportement d'Edwina.

Cécilia encourage la jeune fille d'un signe de tête, loin d'être compatissante. Son regard pâle est dur, mais ce voile de réprobation cache en fait une panique totale. Que lui a dit Edwina ?

— Je... Je suis désolée. Je m'en veux terriblement, chuchote-t-elle faiblement.

Elle ne supporte pas ses actes, quel qu'ils soient. Que s'est-il passé ?

— Et si... si je vous disais que je savais tout ? Si je vous disais que je savais que le Roi nous a menti, et que l'animal était doué de guérison ? Si je vous disais que je savais pour quelles ignobles raisons il nous a envoyés sur ses traces ?

Le sang de Shayna se glace dans ses veines, tandis que son regard bascule sur Cécilia, à la recherche d'un assentiment, d'un contredit, d'un signe quelconque.

Mais rien ne vient.