~4~ Shayna

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   Ses pieds s'enfoncent dans la terre meuble. Ses chaussures claquent dans les flaques de boue dans une cadence répétée. Ses foulées rapides essoufflent ses jambes dont les cuisses s'enflamment.

Le vent lui gifle le visage, hurle à ses oreilles et s'enroule autour d'elle, freinant sa course. Son souffle saccadé résonne à ses propres oreilles. Ses poumons s'essoufflent, mais elle continue de courir.

Ses pas finissent par ralentir d'eux-mêmes lorsque ses muscles, épuisés, se trouvent à court de carburant. Sa respiration légèrement asthmatique brûle ses poumons à chacun de ses passages.

Les mains sur les cuisses, debout sur ses jambes vacillantes, elle s'accorde une minute de répit. Elle essuie d'un revers de main rageur ses larmes et relève sa vision brouillée devant elle.

Le chemin de terre qui serpente entre les arbres semble s'amuser à danser sous ses yeux. Les silhouettes épaisses des arbres fleuris qui bordent ce passage dansent au gré du vent et certains buissons s'aventurent au centre du chemin.

Le cœur battant, elle fronce les sourcils. Malgré les protestations de ses jambes lourdes qui portent leur envie de se reposer à chaque foulée, elle esquisse quelques pas. Elle reconnait cette partie de la forêt.

Elle pensait simplement courir pour échapper à cette femme ignoble qui la force à l'appeler "mère", alors qu'aucun gramme de son sang ne peuple ses veines. Elle pensait fuir un héritage indésirable. Un passé brumeux, voilà son seul héritage.

Ses pas l'ont pourtant menée vers une destination précise ; cette clairière secrète. Là où tout a commencé. Elle rejoint un buisson de feuilles sombres et, les bras levés devant son visage pour éviter de s'arracher la peau par les épines des branches, elle se faufile à travers la plante.

De l'autre côté, une petite étendue de terre vierge s'étend à ses pieds. L'herbe grasse pousse à l'abri des marcheurs et scintille sous les rayons du matin qui se reflètent dans les gouttes de rosée. Elle expire bruyamment.

La colère qui enflammait ses jambes et son cœur reflue sous les vibrations apaisantes de cet endroit paisible. Elle s'avance et se laisse glisser le long d'un tronc d'arbre. Elle s'assoit par terre, les genoux repliés sur sa poitrine, le dos appuyé sur le bois frais. L'endroit l'apaise, comme il l'a toujours fait. C'est son repaire, seulement souillé par ses régulières crises de larmes et ses peines.

Elle respire profondément, asséchant ses yeux. Ses larmes se tarissent, ne laissant de leur passage que des yeux rougis et des traces salées sur ses joues. Elle se sent vide. Que va-t-elle faire, maintenant ? Devrait-elle rentrer ce soir, faire comme si de rien n'était ?

Elle renifle et relève la tête. Son regard percute un magnifique arbre qui n'était pas là hier. Elle fronce les sourcils et rit nerveusement ; un arbre ne peut se déplacer. Il devait être là hier, comme tous les jours précédents, et elle ne l'a simplement pas remarqué. Pourtant, au fond d'elle, elle sait qu'elle connait cet endroit par cœur.

Intriguée, elle se lève et s'approche. Son tronc noueux s'élance à l'assaut du ciel de ses branches épaisses couvertes d'un feuillage verdoyant. Les gais pépiements des oiseaux qui volètent entre ses branches chantent à ses oreilles. Il n'y a aucun doute possible : il n'était pas là hier, sinon elle l'aurait vu. Elle fronce les sourcils ; comment est-ce possible ?

Le cœur battant, elle tend une main hésitante et caresse l'écorce. Le tronc est marron tabac, parcouru par de nombreuses veinures d'un marron chocolat. Elle suit les veines du bois du bout des doigts, mais la sensation est étrange : il lui semble qu'il respire.

Elle se met sur la pointe des pieds pour s'élever et effleure les feuilles avec une douceur qu'elle réserve d'ordinaire aux animaux effrayés. Les plantes apparaissent incroyablement douces au toucher. Un sourire s'immisce sur ses lèvres.

Mythomorphia ~ L'Esprit De La ForêtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant